Troisième

542 40 0
                                    




« Très peu de vraies paroles s'échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n'ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre.» Christian Bobin.








- Céleste. C'est un beau prénom.








Le Soleil, c'est l'étoile du jour. C'est l'étoile qui te crève les yeux, t'aveugles quand tu la regarde trop longtemps. Et puis, l'soleil, c'est l'étoile qui luit même quand t'es dans le noir. Tes yeux ne peuvent résister à la lueur perçante qui te dénudes et t'exposes. Sous le soleil, t'es plus rien. Tes défenses ne servent plus, parce que tout c'que t'a, à cet instant, c'est tes yeux. Tes yeux pour pleurer celle que t'es pas et que tu ne seras jamais. Celle que tu ne peux cacher. Parce que, Céleste, t'a l'âme qui fuit et le Soleil mitraille ton vide.





- Merci.








Gabriel a le regard posé sur moi et j'ai l'impression d'être la toile sous les yeux du peintre. Si nue. Dépouillée.

Il a les yeux du loup et la voix de l'ange. Et c'est comme se faire dévorer par la bouche que l'on baise, mordre dans la souffrance puis s'en délecter.


- La crique, je l'ai découvert quand j'étais petit. Avec mes parents, on avait l'habitude de faire des randonnées dans le coin. Un jour, je me suis perdu, il était tard, et j'ai bien cru que j'allais faire une crise de panique.


Il esquisse un sourire au souvenir de cet instant puis poursuit :


- Et puis, j'ai découvert c't'endroit. L'eau était presque fluorescente dans la nuit, et je la voyais s'écouler sur les roches, perlant par gouttelettes dans une danse enivrante. J'me suis assis sur la plage, et j'ai admiré le paysage. Mes parents m'ont finalement retrouvé, longtemps après. Mais, je crois qu'à cet instant, cet endroit m'avait déjà changé.





- Comment ça ?





Gabriel pose ses yeux sur moi. Son regard perce mon âme et me déshabille lentement, tandis que la caresse de ses yeux me fait frissonner.




- Quand t'a touché à l'infinité, tu peux plus te contenter d'une vie médiocre. Cet endroit c'est comme le rêve dont tu te souviens vaguement le matin. Il t'a bousillé le cerveau la nuit, si profondément que ne reste de lui qu'un sentiment. Le sentiment que t'a eu. Et tu vois Céleste, les sentiments, c'est la chose la plus éternelle qui soit. On peut tout oublier, mais on se souviendra toujours de ce qu'on a ressenti.





- C'est beau c'que tu dis là.




Il sourit et se passe une main dans les cheveux. Ses mèches de jais tombent sur son visage et il les rabats en arrière tandis que ses yeux perçants me mettent à nue.

Il est vraiment très beau.

Gabriel s'apprête à me répondre lorsque ses trois amis déboulent et viennent s'affaler près de lui. Ne faisant absolument pas attention à moi, ils parlent à Gabriel et ce dernier se détourne finalement.

Je soupire en constatant que mon après-midi tranquille est gâché par quatre individus, et que si l'un d'entre eux me semble être sympa, ses amis ne me le laisse pas lui parler.



En désespoir de cause, je finis par rassembler mes affaires pour sortir de la crique. Gabriel me fait un signe de main en me voyant partir et je lui réponds timidement.













Et en sortant de Saint Hélène, je nourris l'espoir secret de le revoir.











Lui, et ses yeux.


















...

Toile de JuteWhere stories live. Discover now