Première partie - Cauchemars / Chapitres 1 à 3

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1.
Ma vie est un cercle sans fin.
Michael s'avança vers moi avec un sourire joyeux. Toute ma peine envolée, je cours me jeter dans ses bras. Mon coeur est libre, il s'envole vers le ciel. Nous nous jetons dans les bras l'un de l'autre.
Mais alors que mes larmes viennent tremper ses vêtements, je sens une pression désagréable... et me rends compte que mon ami me serre si fort que j'étouffe. Je tente de me dégager. Lorsque mes yeux rencontrent les siens, je ne découvre que deux prunelles rouges sang.
- C'est à cause de toi, murmure-t-il à mon oreille. Tu portes malchance où que tu ailles. C'est à ta faute si je suis mort... c'est toi qui m'a tué.
Ses mains se transforment un griffes acérées autour de mon dos. Je me débats mais rien ne sert.
- Michael, arrête, dis-je dans un pitoyable effort pour me défendre.
- Michael n'existe plus. Il a disparu le jour où tu as brûlé ses entrailles, le jour où tu as laissé ta vraie nature apparaître.
- Ce... n'était pas... moi, hoqueté-je entre deux sanglots.
Je commence à manquer d'air. Mes poumons me font horriblement mal et Michael continue de me comprimer. Des points noirs brouillent ma vision.
- Michael...
- Mais la Voix ne fait rien, susurre-t-il. Elle t'a simplement investi et elle t'incite à te révéler. Tout est de ta faute.
Faute, faute. faute. faute. faute. faute...
Les mots résonnent et je perds connaissance...
Je me redresse en sueur. Paniquée, je scrute le paysage autour de moi. Je me lève précipitament, empoigne mon arc et en caresse l'armature en bois pour me calmer. Je suis étonnée que mes cris n'aient pas réveillé Tilly cette fois. La jeune fille dort toujours sur les couvertures, cependant son sommeil est agité. Elle semble se débattre. Show, en alerte, s'est rapproché de moi. Je le rassure d'un signe de tête.
Je vais bien, aboyé-je le plus doucement possible.
Cependant, nous savons tous les deux que c'est faux. Depuis que Michael a disparu, je fais des cauchemars toutes les nuits. Il est rare que je ne me réveille pas en hurlant à pleins poumons. Même si le scénario global diffère parfois, c'est toujours la même chose : je vois Michael et crois qu'il est vivant. Nous nous retrouvons en pleurant mais il finit toujours par me faire des reproches horribles, ses prunelles prennent une teinte rouge et il tente de me tuer.
Je frissonne, tâte ma tête, passe une main dans ma chevelure dans une vaine tentative pour l'ordonner. Mes paupières sont encore lourdes, comme si elles étaient collées à ma peau et je dois peiner pour les maintenir ouvertes. Je me frotte le visage. Je sais que mes cauchemars ne sont que le reflet de ce que je ressens. Ce que Michael me crie au visage, c'est ma propre culpabilité. Tout ce qu'il me murmure, je sais que c'est la vérité. Je suis coupable. C'est à cause de moi s'il n'est plus là, c'est à cause de moi si Melody est partie, et rien ne pourra jamais changer ça.
Le soleil se lève à l'horizon. Les chevaux sont attachés à un palmier imposant, un peu plus loin. Cela fait maintenant huit jours que nous avons quitté la forêt et deux jours que nous campons dans cette oasis. Epuisées par le voyage, nous avons décidé de reprendre des forces avant d'entrer à Libslicht. Nous aurons besoin de toutes nos capacités pour persuader les Passeurs de nous aider. Bien que notre plan soit bancal, j'essaye d'y croire, de toutes mes forces.
Lorsque Tilly pousse un cri de douleur, je me précipite à ses côtés. Désemparée, je réfléchis à toute allure. Que fait-elle lorsque j'ai des cauchemars ? Ses cheveux forment un large épouvantail enmêlé autour de sa tête, comme un soleil. Leur couleur blond-roux rend l'effet saisissant. Je pose sa tête sur mes genoux et lui murmure des mots encourageants à l'oreille. Je ne possède pas son pouvoir mais à cet instant, comme j'aimerais pouvoir entrer dans sa tête et l'apaiser comme elle le fait avec moi! Je me contente donc de la secouer doucement jusqu'à ce qu'elle finisse par émerger. Contrairement à moi, elle ne saute pas sur ses pieds et ne tente pas de m'attaquer. Elle me regarde simplement de ses yeux si particuliers. Cette fois, ils ne sont pas bleus glacier, si clair qu'on les croirait blancs. Non, cette fois, ils ont plus la teinte de la mer, une mer houleuse, d'un bleu foncé dérangeant.
- Ca va ? demandé-je.
- J'ai juste... non, tout va bien.
- T! protesté-je. Je sais que tu as tendance à vouloir m'épargner d'autres soucis, mais ce n'est pas une raison. Je suis là, ne me cache pas des choses juste parce que tu considère que je suis fragile!
Ma colère retombe aussi vite qu'elle était venue.
- Pardon, marmoné-je. Tu veux que nous restions un jour de plus ? Tu n'arrives toujours pas à t'introduire dans ma tête lorsque je suis éveillée et je ne peux toujours pas bloquer la Voix. Il faut que nous maitrisions ces deux techniques sinon ça ne marchera jamais. Nous ne pouvons pas compter sur la chance, cette fois...
Pauvre Tilly! Elle vient de sortir de son cauchemar et je l'embête avec mes histoires.
- Je vais te laisser.
Sans attendre de réponse, je me lève et me dirige vers le point d'eau. Show me suit en trottinant. Cependant, je suis plus perturbée que je ne le laisse penser.
Si Tilly se met à faire des cauchemars...
Je ne termine pas ma phrase. Mon amie a toujours été la plus forte de nous deux. C'est toujours elle qui me réconforte, m'aide, me protège... Même si pour le moment, nous n'avons pas rencontré de véritable ennemi, à part la faim et la chaleur, elle a cette tendance à me préserver de tout, à ses risques et périls. Lorsque je tente de faire la même chose, elle m'assure que je me surcharge trop. Si elle commence à flancher, qui va me soutenir ? Show doit sentir ma peur car il me lèche la main avant de plonger la truffe dans l'eau claire.
Le soleil est à peine levé, pourtant ses rayons chauds me piquent déjà. Ma peau foncée me protège, mais Tilly devient chaque jour plus rouge. Elle est obligée de se couvrir la tête en permanence, la journée, de même que le reste du corps, et étouffe sous ses couches de vêtements, ce qui rend la situation bien plus pénible pour elle que pour moi. Des gouttes de sueur dégouline le long de mon dos et, à mon tour, je me penche, les mains en coupe pour récolter de l'eau. Je bois longuement, puis finis par me redresser alors que Show trempe une patte hésitante dans la grande marre. Je le regarde, amusée. Il s'imerge jusqu'au coude, et, après un dernier arrêt, plonge complètement. Je ris doucement pendant qu'il patauge et m'éclabousse. Avec un soupir, je m'apprête à détacher les chevaux pour aller les faire boire lorsque quelque chose me tire en arrière. D'abord sur la défensive, je remarque la joie qui émane de Show et décide de me détendre. Je me retourne brusquement et découvre mon Dux, accroché à mes vêtements, qui m'entraîne férocement vers l'eau.
- Non!
J'éclate de rire au moment ou je percute la surface de la marre et commence à me battre avec Show. Il saute sur moi et je me retrouve entièrement imergée. L'eau est claire, traversée par la lumière du soleil, et je n'ai aucune peine à ouvrir les yeux. Je vois parfaitement autour de moi. Le pelage noir de mon Dux étincèle juste avant qu'il ne se jète une nouvelle fois sur moi. Je l'évite habilement, perce à nouveau la surface et c'est à moi de l'enfoncer. Il se débat et se soustrait à mes bras en plongeant encore plus profondément, ressort de l'autre côté et plaque ses pattes sur ma tête.
Nous jouons ainsi une dizaine de minutes jusqu'à ce que, fatiguée, je me traîne hors de l'eau en riant à gorge déployée. Je m'étends sur le sable de la berge et laisse la chaleur me sécher... au moment où Tilly me dépasse pour, à son tour, bondir dans la marre. Avec un soupir de satisfaction, mon cauchemar presque oublié, je la regarde prendre le relai et batailler avec Show.
A regret, je me relève et me dirige vers Oasis. Je détache sa longe avec des gestes lents et l'amène vers l'eau. Ma jument boit à longs traits pendant que je passe ma main sur son poil ras et brillant. Sa crinière lui arrive à présent en dessous de l'épaule et je décide de la couper dès que je pourrai. Lorsque j'ai fini de m'occuper de l'étalon pie de Tilly, baptisé Foudre, mes vêtements sont totalement secs, et mes cheveux à peine humides.
- Tilly! appelé-je. Tu viens ?
- J'arrive, répond-t-elle, enthousiaste.
Pendant que mon amie se sèche les cheveux, je l'observe avec admiration, des étincelles dans les yeux. Les siens sont redevenus clairs et son angoisse s'est envolée. Nous trouvons un coin d'ombre et nous asseyons en tailleur. Je prends ses mains dans les miennes, peau blanche contre peau noire, et nous commençons.

Demons In Your Eyes - Ghosts of the Past (T3)Where stories live. Discover now