Chapitres 4 à 6

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4.
Melody se toucha les tempes avec un grognement irrité. Une migraine lancinante lui traversait le crane par vague. Ses paupières papillotèrent mais un voile noir recouvrait les environs. Elle tenta de percer la couverture mais elle s'aperçu avec horreur qu'elle était comme... comme aveugle!
Avec un hoquètement horrifié, elle entendit sa respiration s'accélérer précipitament. Toujours dans le noir le plus complet, elle se redressa précautionneusement sur les coudes, puis sur les paumes de ses mains. Elle palpa la surface sous elle, de plus en plus affolée à l'idée d'avoir perdu la vue. Que ce soit dans le clan de la Louve Sauvage ou chez les Intouchables, lorsqu'on cotoyait la nature de près, il était essentiel d'avoir des sens très développés ; mais la vue était sans conteste le plus important. A 13, aveugle, elle ne pourrait jamais survivre, et elle ne tenait même pas à rester en vie si elle se retrouvait condamnée à dépendre des autres pour le restant de ses jours.
Sous ses doigts, elle sentait un tissu rêche, lui-même sur une surface dure et plane, mais inconfortable.
Le sol, devina-t-elle.
Puis, sans s'abandonner à sa panique croissante, elle étira ses autres sens. Autour d'elle, le calme régnait, impassible, même pas percé par les bruits naturels de respiration ou de ronflements. Son odorat, peu développé par rapport à ceux des animaux, ne détecta qu'une légère senteur de cendres, de braises à moitié éteintes. Puis elle tenta, avec ses dons d'empathe, de détecter d'autres présences. Elle étira son champ de vision autant qu'elle le put mais continua de ne percevoir à l'horizon que des émotions indiquant la présence de petits animaux. Après toutes ses lunes passées dans la nature, en compagnie de Coral et de Michael, la jeune fille avait appris à différencier avec certitude les animaux des humains.
Aucun Intouchable par conséquent! conclut-elle.
Elle était seule, manifestement près d'un feu éteint, et ne pouvait même pas se reposer sur sa vision pour s'en sortir et comprendre la situation. Triste bilan. Comment était-elle arrivée là ? Qu'est-ce qui avait bien pu pousser les Intouchables à l'abandonner ici ? La seule solution plausible : son récit ne les avait pas convaincus et elle n'avait pas gagné le droit d'intégrer le clan. A cette pensée, sa terreur devint incontrôlable. Elle poussa un gémissement pitoyable et se recroquevilla sur elle-même. Pour comble du malheur, sa migraine ne cessait de grandir et tous les efforts qu'elle avait fourni n'arrangeaient rien. Roulée en boule dans la poussière, elle sombra de nouveau dans les ténèbres accueillantes du sommeil.
Lorsque Melody se réveilla à nouveau, le noir obsédant était toujours là, mais, point positif, son mal de tête avait presque disparu. Avec soulagement, elle recommença le même manège de repérage que la première, sans plus de succès. Soupir.
- Je suis bien foutue, ça on peut le dire, marmonna-t-elle.
Un rire hystérique lui échappa lui échappa lorsqu'elle se rendit compte qu'elle avait parlé à haute voix.
- Je parle toute seule, mainteant, continua-t-elle, hésitante.
Et elle pouffa de plus belle. Lorsque son fou rire se fut un peu éteint, elle se leva péniblement. Ce n'était pas la première fois qu'elle essayait de marcher sans voir : enfant, elle s'était souvent adonnée à ces jeux pour s'entraîner. Cependant, une différence de taille séparait les deux situations : avant, elle pouvait ouvrir les yeux à tout moment pour se rattraper. Maintenant, la moindre erreur le resterait, irrécupérable. Et dans cette situation, chaque erreur pouvait se révéler mortelle.
Une fois sur ses deux pieds, Melody tâta sa ceinture et constata avec soulagement que son couteau de chasse y pendaient toujours. Elle aurait préféré sa hache, mais c'était mieux que rien, même si dans son état, elle risquait plus de se blesser elle-même que d'atteindre un potentiel ennemi. Avec un froncement de sourcil, elle étendit ses perceptions et se promit de ne plus jamais baisser sa garde. Son talent d'empathe devenait son meilleur attout. Peut-être lui permettrait-il de chasser des petits animaux, ou de repérer d'autres humains assez à l'avance pour pouvoir se cacher ? Avec un soupir de frustration et de désespoir, elle esquissa son premier pas d'aveugle. Un élancement à sa cheville lui rappela avec horreur que celle-ci n'était pas encore guérie. Même si Europa, la guérisseuse des Intouchables, avait fait des miracles, l'adolescente éprouvait toujours des difficultés à marcher. Des larmes silencieuses commencèrent à rouler sur ses joues. Quelles chances avait-elle de pouvoir s'en sortir ? Aucune, elle le savait parfaitement. Aveugle, handicapée à la cheville, dans un environnement qu'elle ne connaissait absolument et avec toutes ces questions dans sa tête, elle n'avait pas la moindre chance. Si Meghan avait été là, avec elle, il aurait pu chasser pour elle et la défendre, mais combien de temps aurait-il tenu ? Non, même avec lui, les chances été minces.
Cependant, elle ne pouvait pas abandonner. Elle repensa à toute la route qu'elle avait parcouru jusqu'ici et, malgré la douleur, invoqua une image de Michael, souriant, ses dents blanches dévoilées. Sans cesser de penser à son ami perdu, elle sécha ses larmes d'un geste rageur de la main et reprit son parcours.
Quelques mètres plus tard, alors qu'elle commençait à prendre un peu d'assurance... sa jambe se tordit violemment en arrière et elle chuta tête la première vers le sol. Un petit cri lui échappa et elle tendit les mains en avant dans un réflexe naturel pour se recevoir. Elle manqua de laisser s'échapper un hurlement de rage, ainsi prostrée dans la poussière, mais se retint de justesse. Faire autant de bruit ne pouvait lui apporter que des problèmes.
- Je te promets... que je vais survivre... Michael, grommela-t-elle, déjà épuisée.
Elle se releva péniblement. Elle allait sûrement avoir des bleus, mais au moins, elle n'avait rien de cassé, à part sa cheville déjà endommagée, dont le cas ne semblait pas aggravé par la chute. Avec un regain d'énergie, elle répéta ainsi sa promesse comme un mantra.
- Je ne te... trahirai plus... pas cette fois...
Dix minutes plus tard, elle heurtait un arbre de plein fouet. Après cette deuxième expérience désagréable, elle commença à préserver son corps déjà endolori. Elle se baissa et commença à ramper précautionneusement par terre, jusqu'à tomber sur une branche morte, d'environ sa taille et d'un poids supportable. Son prériple reprit, mais cette fois-ci, elle prit grand soin de tendre un bras en avant pour prévenir les obstacles en hauteur et de tater le sol avec sa canne improvisée pour ceux au sol. Sa technique se révéla payante et les chutes se firent de moins en moins fréquentes à mesure qu'elle avançait dans la forêt.
Cependant, la faim et la soif commençaient à se faire sentir et bientôt, la faiblesse la reprit. Faiblesse physique cette fois. Depuis combien de temps n'avait-elle pas alimenté son corps ? Elle n'aurait su répondre à cette question. Par ailleurs, sa vue la privait également de la notion de temps : comment deviner l'heure sans le soleil ou les étoiles pour s'aider ?
Elle se décida à marcher jusqu'à trouver un ruisseau pour s'abreuver. Sa gorge s'assechait de minute en minute. Heureusement, grâce à son don, elle repéra la conscience et les sentiments particuliers d'animaux caractéristiques de l'eau. Avec soulagement, elle suivit leur piste et son pied s'enfonça rapidement dans de la mousse spongieuse. Même aveugle, elle pouvait entendre le rugissement de l'eau à quelques mètres. Avec un petit cri de joie, baissant temporairement sa garde, elle se rua vers le ruisseau autant que son corps endolori le lui permettait. Lorsqu'elle sentit l'eau froide s'insinuer dans ses chaussures, elle tomba à genoux, lâcha son bâton de marche, et plongea les mains dans le liquide bénit. Elle s'aspergea le visage, but longuement et, revigorée, finit par se débarasser promptement de ses vêtements de cuir pour s'imerger toute entière. Apaisée, elle offrit son visage aux rayons brûlants du soleil et réfléchit songeusement.
Avec une telle chaleur, elle ne pouvait être qu'en milieu de journée environ. Il lui restait donc une demi-douzaine d'heures pour établir un campement et trouver de la nourriture. Elle remercia le ciel de l'avoir maintenue en vie jusque là et sortit de l'eau en se secouant, toutes ses pensées à présent tournées vers un seul être : Meghan. 

Demons In Your Eyes - Ghosts of the Past (T3)Where stories live. Discover now