Demons In Your Eyes - Ghosts of the Past (T3)

Chapitres 13 à 15

13.
Pendant que mes compagnons d'armes se préparent, je n'arrive plus à détacher mes pensées de Killian. Sa réaction, ce qu'il a demandé en échange d'informations sur ma famille, et ensuite son arrogance, m'ont beaucoup surprise. Moi qui le comptait comme l'un de mes plus fidèles alliés, avec Runa, il me repousse à présent totalement. Je compte bien l'éviter le plus possible. Et si jamais il décidait de me forcer ? Suis-je prête à le laisser faire rien que pour ne pas trahir mon secret, rien que pour ne pas dévoiler que le bracelet à mon poignet est un faux ? Et même avec mes pouvoirs, je ne pourrais pas vraiment me défendre. Quelle explication donnerais-je ensuite aux Passeurs si j'attaquais leur prince ? La vérité ? Impossible qu'ils croient la fillette folle, qui les avait trahis à plusieurs reprises, au lieu de l'un des leurs, Killian qui plus est. Je passerais encore une fois pour une menteuse et les conséquences seraient dramatiques. Je suis donc complètement coincée, et cette situation m'effraie horriblement. Tout à mes réflexions paniquées, je ne pense même pas à contacter Tilly et Show, dans un premier temps.
Lorsque je me décide enfin, Ruby revient me chercher avec un air grave. Tant pis, je n'ai pas le choix! Il faudra que je remette cette conversation avec mes amis à plus tard, même si ça me tord le coeur. Après tout, même si Killian est là pendant la mission, il n'osera rien me faire devant tout le monde. Le coeur serré, le coeur battant la chamade, je marche à la recontre de Ruby.
- Nous partons ?
- On ne part pas ensemble. N'oublie pas que tu dois rentrer seule dans sa maison.
Elle m'explique alors en détail le chemin vers la maison de Seth O'Sahkir. Lorsque j'ai bien tout assimilé, elle me tends une cape noire à capuche, dont je me recouvre le corps et le visage. Je baisse la tête pour dissimuler mes traits. Il ne faut surtout pas que quelqu'un me reconnaisse pendant le trajet. Enfin, avec un soupir, elle me demande de tendre le bras.
Elle plonge ses yeux dans les miens.
- J'espère que je ne fais pas une grossière erreur.
Et elle me retire l'objet, sans se douter que c'est un faux. Je prie pour qu'elle ne le découvre pas, d'une quelque manière que ce soit, en tentant de le mettre à quelqu'un d'autre par exemple, et fais semblant de me frotter le poignet avec soulagement.
- Merci, murmuré-je. Vous pouvez me faire confiance.
- Je l'espère, répète-t-elle. Maintenant, pars. Nous serons tout près, de sorte que la personne qu'il enverra nous prévenir nous trouvera facilement. N'oublie pas : marche vite et ne te fais pas remarquer. Normalement, ta cape suffira à te protéger des indiscrets. Et si jamais quelqu'un te provoque, passe ton chemin, ne répond surtout pas. S'il insiste, envoie le balader avec l'un de tes pouvoirs, discrètement cependant. Quelqu'un de trop puissant se fait aussi remarquer, par ici.
J'aquièsce à chacune de ses instructions.
- Tu iras bien.
Je m'enhardis à poser une main sur son bras.
Elle regarde avec une expression étrange sur le visage.
- Et dire que la personne la plus dangereuse qui soit actuellement, une personne qui pourrait anéantir la race humaine, n'est qu'une enfant, souffle-t-elle.
Elle a raison, songé-je amèrement. Après tout, même si les derniers mois et les horreurs que j'ai vécues me le font fréquemment oublier, je n'ai que treize étés, et des traits d'adolescente. La situation est vraiment ironique.
- Extérieurement, peut-être. Mais pas intérieurement.
Ruby hoche le menton, ouvre la bouche pour me préciser autre chose :
- Ah oui, j'ai failli oublier. Quand nous arriverons, crache-nous des insultes au visage, débats-toi... donne l'impression que tu nous hais, si ce n'est pas déjà le cas. Et dernière chose, ne nous appelle jamais par nos vrais noms. Une telle familiarité mettrait à Seth la puce à l'oreille. Pour le temps de la mission, je suis Ruby, pas Nocturna, de même que Runa est Brasier, etc...
- Compris, approuvé-je, admirant avec quelle autorité Nocturna m'édicte ses ordres, alors même que je pourrais la tuer en quelques instants.
A la grille de la demeure de Seth, presque aussi imposante et somptueuse que le palais, personne ne m'intercepte, comme prévu. Le noble n'est pas encore assez riche et influent pour se payer la protection de gardes à l'extérieur. Par ailleurs, tous les soldats de la ville sont appelés à surveiller le palais et l'entrée de Libslicht, dans la crainte que je passe leurs défenses. Tout le monde est en état d'alerte. Je regarde anxieusement autour de moi, sous ma capuche, mais les rues environnantes sont désertes. L'étape suivante n'est pas facile. Je me concentre sur mon magnétisme et tente d'écarter les barreaux assez pour que je puisse passer. Après quelques minutes d'efforts qui me vident partiellement de mon énergie, l'espace est enfin assez grand et je me faufile à l'intérieur, toujours aux aguets. Pour ne laisser aucune trace, je referme péniblement les barreaux, la sueur dégoulinant entre mes omoplates.
Je pousse un soupir de soulagement et reconstitue mes réserves en puisant dans l'air ambiant l'énergie nécessaire. Revigorée, j'entre dans la maison et traverse les couloirs au pas de course. Je ne tarde pas à rencontrer une domestique, que je plaque précipitament contre le mur avant qu'elle n'ait pu crier.
- Où puis-je trouver Seth O'Sahkir ? grogné-je avec hargne.
En temps normal, la femme aurait peut-être défendu courageusement son maître, refusant de me donner les informations que je désirais. Mais j'ai sûrement l'air particulièrement effrayante et dangereuse car elle lâche en tremblant :
- Le prochain couloir... tournez à droite... vous allez trouver une porte en fer sculpté, vous ne pouvez pas... la rater... normalement, il est dans son bureau...
Je parie sur le fait que, dans l'action, elle ne m'aura pas reconnue et l'assomme avec le manche de mon couteau. Elle pousse un cri inarticulé et je prie pour que personne ne l'ait entendue. Je ne prends cependant pas le temps de vérifier que personne ne vient, détalant à toutes jambes en suivant ses instructions, qui se révèlent exactes. Arrivée à la porte, je reprends mon souffle, remets en ordre mes idées et pousse les battants. Heureusement, ils ne sont pas vérouillés, et je referme discrètement derrière moi.
Me tournant le dos, un homme est assis sur un tabouret et examine quelque chose sur sa table de travail. Grand, élancé, ses cheveux noirs lui tombent en boucles jusqu'aux épaules.
- Ah, Melissa, il était temps. J'avais justement...
Il s'interrompt au milieu de sa phrase, comme pris d'un doute, et se retourne lentement.
- Vous n'êtes pas Mélissa, déclare-t-il avec un calme souverain.
Son visage est parcouru de rides, et je lui donnerais dans les quarante étés. Des sourcils épais surmontent ses yeux verts très étonnants et les coins de sa bouche tombent vers le bas, comme si les déceptions de la vie avaient fini par les figer dans cette position.
Je repousse ma capuche et dévoile mon visage avec un sourire carnassier.
- Non, effectivement.