Demons In Your Eyes - Ghosts of the Past (T3)

Chapitres 4 à 6

4.
Certains verraient notre avancée comme un bien maigre progrès, mais pour moi, c'est un véritable exploit.
J'ai peut-être légèrement sous-estimé ton amie, mais toi, je sais parfaitement que tu n'en es pas capable.
Pas capable de quoi ?
De te débarasser de moi, voyons...
La Voix a beau affirmer que cela ne la dérange pas outre-mesure, je sais cependant que ma victoire l'agace profondément. Bien sûr, elle ne l'admettra jamais, mais elle commence sûrement à douter de sa capacité à m'arrêter.
Immédiatement sur mes gardes, je me demande ce que Black va lancer pour contrer cette pensée positive mais... rien. J'attends et je finis par me souvenir qu'elle ne peut plus entendre ce que je pense, sauf si je lui en donne l'autorisation. A présent, elle se retrouve exactement dans la position dans laquelle j'étais, lorsque je me trouvais à l'intérieur de ma propre tête : elle ne peut plus connaître mes plans mais elle sait ce que je ressens et elle peut toujours polluer ma tête avec ses paroles intempestives. Cependant, le sentiment de joie et de soulagement qui se propage en moi réussit, pour le moment, à contenir les vagues de découragement qu'elle tente de m'envoyer.
- Alors ? me demande Tilly. Je suppose que nous allons enfin pouvoir passer à la partie la plus intéressante de notre plan. Du moins... maintenant que nous pouvons en éllaborer un sans que cette peste le sabote!
Elle ponctue sa remarque d'un sourire éclatant.
Dès lors qu'elle a compris que ma confiance en Show m'amenait à baisser naturellement mes défenses, il lui a été très facile de plonger dans ma tête et d'utiliser son don pour m'aider à ériger des barrières contre la Voix. Au bout d'environ vingt minutes, elle avait déjà saisi ce que je devais faire, et après une dizaine de minutes, j'avais à mon tour compris le principe. Ensuite, il ne m'avait plus fallu que quelques heures d'exercice, bien qu'éreintantes, pour maîtriser parfaitement la technique. Je devais simplement m'imaginer en train d'enfermer la Voix et ses tentatives pour lire dans mes pensées dans une boîte très lumineuse, à l'intérieur des méandres de mon cerveau. Ensuite, je devais entourer ce réceptacle mental de murailles de pierre et de bois imaginaires, et enfin créer un toit afin de clore hermétiquement le tout.
J'avais été très étonnée de l'efficacité du processus, mais lorsque Tilly avait tenté de m'expliquer, à grands renforts de gesticulations, que l'imaginaire était étroitement lié au réel et que la puissance de cette boîte mentale n'était absolument pas surprenante, j'avais fini par l'arrêter d'un geste : je ne comprenais absolument rien à son charabia. De même, j'imagine qu'elle ne saisirait pas grand chose si je tentais de lui expliquer le tourbillon d'énergie qui bouillonnait en moi, de même que tout ce que je pouvais faire avec, mais surtout la manière dont je devais le manier selon la forme que je voulais qu'il prenne. Avec un pincement au coeur, je songe soudain que seule Melody et Showalex seront jamais capables de comprendre ce que je ressens réellement, le poids qui pèse sur mes épaules, le fardeau de la Voix et la lutte qui se joue continuellement dans mon être.
- Oui, tu n'imagines même pas à quel point je suis... libérée. Bien sûr, la Voix est toujours là, mais je ne m'étais jamais rendue compte auparavant combien savoir qu'elle connaissait chacune de mes pensées, chacune de mes réflexions, chacun de mes espoirs... pour pouvoir les contrer ou les réduire simplement à néant.
Nous nous sommes entrainées tout l'après-midi, et à présent la nuit tombe. La Lune est pleine ce soir, aussi n'allumons-nous pas de feu. J'étends nos couvertures sur le sable fin, pas loin de l'eau, et nous entamons nos dernières réserves de viande séchée. Cependant, je ne suis plus inquiète à propos des provisions : à présent que nous sommes parées, nous pouvons partir dès demain. Et une fois à Libslicht, la nourriture ne sera plus tellement un problème.
Tilly me presse affectueusement l'épaule.
- Je suis contente pour toi, sourit-elle, des étincelles dans ses magnifiques yeux bleu glacier.
Alors que nous savourons la nourriture, une pensée me frappe soudain avec la violence d'un coup de hache. Je mets mes idées en place, m'assure que je suis bien calme et finis par déclarer :
- Au fait, vas-tu enfin te résoudre à me raconter le cauchemar qui t'a fait hurler cette nuit ?
Comme mon amie reste silencieusement, je m'empare à mon tour de ses mains pour les serrer avec encouragement.
- Allez, ça ne doit pas être si terrible que cela.
- Je ne pense pas que tu tiennes vraiment à le savoir, lâche-t-elle enfin après un silence angoissant.
- Si, bien sûr, protesté-je, sûre de moi. Je suis capable de savoir.
- Tu ne diras sûrement pas la même chose quand tu sauras...
- Cesse d'essayer de me dissuader. Franchement, penses-tu que je vais renoncer ?
S'il est vrai que Tilly est dotée d'un caractère particulièrement fort et entêté, je ne suis pas loin de l'égaler : quand je veux quelque chose, je recule rarement, en tous cas pas sans me battre de toutes mes forces.
Tout en clignant des yeux avec force, je me roule en boule contre Show et lui offre un par un des petits morceaux de nourriture que je découpe au fur et à mesure dans ma propre part, avec un des couteaux tranchants de Tilly. Je prends bien soin de ne plus regarder cette dernière, et mon Dux n'interrompt pour une fois pas notre lutte silencieuse.
- Bon, d'accord, cède finalement Tilly. Pour être honnête... j'ai rêvé de toi.
- Moi ?
Je grimace, mais plus question de l'arrêter, même si je sens que la suite ne va pas me plaire.
- Enfin, disons plutôt que j'ai rêvé de la Voix, rectifie-t-elle, mais elle avait ton corps. Tes yeux étaient injectés de sang et tu étais toi-même physiquement en très mauvais état, comme la dernière fois qu'elle a pris le dessus. Elle était dans mon village, et... il brûlait.
Quand je relève enfin les yeux vers elle, je m'aperçois qu'elle pleure et je me recroqueville encore un peu plus contre mon Protecteur. Je me rends compte alors que je retiens ma respiration et je m'applique à relâcher la pression dans mes poumons, tandis qu'elle continue son récit.
- Et moi, j'assistais impuissante à la destruction de tout ce et ceux que j'aime. J'entendais les hurlements de ma famille et de mes amis. Et la Voix me regardait avec tes yeux et continuait à tout détruire sur son passage, mais je n'osais rien faire par peur de te blesser. C'était insupportable, je ne saurais vraiment bien te le décrire...
- Tu n'as pas besoin.
Ma voix est moins ferme que je l'aurais voulu.
- Je suis désolée de t'avoir forcé à raconter ça. Je n'aurais pas dû. Désolée.
- Je crois... je crois que ça m'a fait un peu de bien de le dire, me rassure-t-elle cependant. Je n'aurais pas dû le garder pour moi aussi longtemps. Ne t'excuse pas.
J'aquiesce en silence et me rallonge contre Show, sans plus dire un mot. Aucune de nous ne rompt le silence et nos respirations finissent par s'apaiser. Même si je ne lui avouerai jamais, ses révélations m'ont énormément blessée. Je repense de nouveau à Michael, et je comprends que c'est toujours la même chose : je fais fuir tous ceux que j'aime parce que, lorsqu'elle prend le contrôle, la Voix réalise des horreurs avec mon corps. Et les gens, même s'ils savent que ce n'était pas vraiment moi, ne peuvent pas nier que c'est mon pouvoir qui a détruit leurs amis, que ce sont mes mains qui sont couvertes de sang...
C'est déjà arrivé une fois avec Melody.
Je ne laisserai pas la situation se reproduire avec Tilly, ou, encore pire, avec Show.
Tourmentée et perturbée, je ne réussis pas à m'endormir de toute la nuit, et je sais instinctivement que Tilly non plus. Toujours vigilant, Show garde lui aussi les yeux ouverts toute la nuit.
Pour la première fois depuis que nous avons quitté le campement de la Louve Sauvage, nous n'avons pas dormi ensemble. Quand nous finissons par nous lever, comme si nous avions réellement dormi, ni elle ni moi ne mentionnons les évènements de la veille. Nous repartons vers Libslicht, après plusieurs jours de repos, dans une atmosphère tendue. Quelque s'est brisé entre nous.