Chapitre 22 - La raison du cœur

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Après m'être tari comme une rivière en pleine période de sécheresse, je m'endors à nouveau éreinté par la fatigue et les émotions débordantes. Je fais surface en milieu d'après-midi. Thomas est toujours à mon chevet et me sourit en me voyant ouvrir péniblement les yeux. Il s'assoit au bord du lit et me tend un jus d'orange, qu'il a préparé. Je le bois docilement, sa fraîcheur me sortant de mon brouillard. Il bredouille timidement :

- Excuse-moi pour tout à l'heure, j'ai manqué de tact et je t'ai bousculé alors que tu as besoin de repos.

- C'était assez inattendu, oui. Je ne sais toujours pas quoi en penser d'ailleurs.

- Ecoute, voilà ce que je te propose : accorde-moi un mois, rien qu'un mois. Tu peux te réinstaller dans la chambre d'amis, tu pourras aller et venir comme bon te semble et bien sûr tu es libre de rentrer chez toi quand tu veux. Je ne te demande pas de mettre tes sentiments de côté, au contraire. Je veux juste que tu me laisses une chance de comprendre ce que je ressens. Un mois Gaby, s'il-te-plait...

Son regard ressemble à celui d'un chiot quémandant de l'affection : dur de résister à cela. Une fois de plus ma raison et mon cœur livrent bataille : elle, me hurle que je vais le regretter alors que lui, bondit de joie. Après de longues minutes d'hésitation, je soupire et lui réponds :

- Un mois et rien de plus. S'il y a la moindre chose qui ne me va pas, je m'en vais. Je te préviens que je ne compte pas marcher sur des œufs le temps que tu fasses le point. Je n'ai donc pas l'intention de t'épargner quoi que ce soit. Est-ce que c'est clair ?

- Limpide ! Tu veux qu'on passe chez toi dès ce soir ?

Il sourit comme un gamin. Il est simplement irrésistible. Je me redresse un peu plus sur le lit, saisis ses joues entre mes mains et dépose un léger baiser sur ses lèvres. Devant sa mine surprise, je lui indique :

- Je t'ai bien dit que je ne t'épargnerai rien. Dis-je en souriant à mon tour.

Je me lève et me dirige vers la salle de bain, satisfait de l'avoir déstabilisé à mon tour et le laissant pantois dans la chambre.

*

Je mets en ordre mon appartement et prépare une valise. Thomas patiente sagement dans le salon. Il feuillette un manga boy's love cette fois avec un intérêt nouveau. Je reconnais la couverture : il ne va pas être déçu car il n'a pas choisi le plus soft. Ses réactions me font ricaner dans mon coin. Il fronce ou lève les sourcils, et passe par une panoplie d'expressions amusantes. Je peux deviner quel passage il visionne rien qu'à sa tête. Je le tire de sa lecture lorsque je l'avise que je suis prêt. Il relève la tête, les joues légèrement rosies, du coup je ne peux m'empêcher de l'asticoter :

- Alors, on s'instruit ?

Il m'adresse une grimace pour toute réponse et nous quittons mon appartement, moi pouffant de rire et lui bougonnant.

Mes affaires rangées, il vient s'enquérir de savoir si j'ai faim mais une préoccupation taraude mon esprit depuis que j'ai accepté la proposition de Thomas. Il y a une chose que je dois absolument faire : parler à Éric et l'idée me serre le cœur. Je l'annonce à Thomas qui fait la moue à l'évocation du prénom d'Éric. Je lui fais comprendre que ma décision n'est pas juste envers lui et je dois m'expliquer en face à face par correction.

Je lui donne rendez-vous dans un parc du centre-ville plutôt qu'un bar pour plus de tranquillité. Il me rejoint l'air anxieux : mon dieu, je déteste ce que je m'apprête à faire...

Après quelques banalités échangées, je l'informe de l'objet qui m'a amené à le voir ce soir. Il affiche alors une consternation qui me fend le cœur. J'endosse le rôle du méchant, de celui qui fait du mal à l'autre et ça me tue. La mine renfrognée, il me demande :

- Et s'il se trompe, tu réalises que celui qui sera blessé sera toi, pas lui ?

- Oui, j'en suis conscient mais j'ai choisi de prendre le risque. Tu savais que c'était de lui dont je suis amoureux, n'est-ce pas ?

- Comment ne pas s'en douter ? Je ne vais te dire que je me réjouis pour toi car cela serait hypocrite. J'ai des sentiments sincères pour toi et je suis frustré que tu lui donne une chance à lui et non à moi.

Il soupire puis reprend :

- Mais je respecte ton choix. Ce n'est pas comme si tu ne m'avais pas prévenu. Par contre, s'il s'avère que le résultat de cette « expérience » n'est pas ce que tu attends, s'il-te-plait, appelle-moi.

- Pardon Éric, mais si je fais cela, c'est comme si je te considérais comme un choix de substitution et tu mérites bien mieux que ça...

- Ça, c'est à moi d'en décider je crois... Je tiens à te remercier d'être venu en personne pour m'en parler en tout cas, c'est un acte courageux et qui me conforte dans l'idée que tu es quelqu'un de bien.

- Si tu savais, je me sens tellement désolé. Dis-je la voix pleine d'émotions.

Je me sens d'autant plus désolé alors qu'il me réconforte et me rassure me disant de ne pas m'en faire. Sur le moment je maudis Thomas pour le mal dont il est responsable.

*

C'est complètement déprimé que je regagne le pavillon. Je suis loin d'être fier de moi et je m'interroge durement sur le bien fondé de ma décision. On dit qu'on doit toujours suivre son cœur, alors pourquoi je me sens si mal maintenant ?

Mon désarroi est tel que, sans un mot, Thomas s'approche et me serre contre lui, cherchant ainsi à me consoler et apaiser mon âme torturée. Puis il m'entraine vers la cuisine et me concocte un repas léger, devinant mon manque d'appétit mais m'obligeant à manger tout de même, ne serait-ce qu'un peu. Il ne me questionne pas sur mon entrevue avec Éric et je l'en remercie intérieurement.

Le repas terminé, il m'incite à aller me reposer dans la chambre me rappelant que j'ai besoin de récupérer et qu'une bonne nuit de sommeil me fera du bien. Je m'exécute sans rechigner, la fatigue émotionnelle étant, sur le moment, bien plus grande que la fatigue physique. Je m'endors assez rapidement non sans laisser s'échapper quelques sanglots.

Il fait nuit quand j'entrouvre les yeux, un mouvement m'a réveillé. Thomas est venu s'allonger contre mon dos et m'apporte la chaleur de ses bras. Dans la pénombre, je lui chuchote :

- Es-tu sûr de ne pas faire une erreur ?

Je ne sais même pas si je lui parle du fait de me rejoindre dans ma chambre ou de son invitation à m'installer chez lui. Il me répond doucement :

- Pour la première fois de ma vie, je ne suis sûr de rien mais je sais que là, à cet instant précis, je suis à l'endroit où j'ai envie d'être.

Une onde de chaleur me traverse le corps. Sans rien ajouter, je me tourne et me blotti contre son torse, la tête lovée au creux de son cou. Il m'entoure tendrement de ses bras. Je me sens toujours triste mais son contact m'apaise. Le sommeil me cueille à nouveau mais quelques mots à peine audibles franchissent ma conscience avant qu'il ne m'enveloppe totalement :

- Tu m'as manqué.

***

Le voir aussi troublé, perdu et bouleversé est déchirant mais je ressens une joie qui me gonfle le cœur lorsqu'il accepte de revivre avec moi ne serait-ce que pour un mois.

Je réalise ce que je lui demande vraiment et je prends conscience de toute la portée de ce que cela implique si je me fourvoie dans mes sentiments.

L'évocation d'Éric m'irrite aussitôt mais je comprends sa démarche qui est louable et digne de lui.

Quand je me réveille dans la nuit, une pensée m'assaille : pendant le laps de temps où nous nous sommes éloignés, il m'a manqué. Puis une autre pensée se matérialise : il est là, juste à côté et j'ai brusquement envie ou besoin, je ne parviens pas à le déterminer, de le prendre dans mes bras.

L'enlacer, lui, un homme, est un acte qui me surprend toujours mais pourtant que je fais presque naturellement. Je retrouve son odeur fleurie, son corps tenant si parfaitement dans mes bras et je m'endors avec une sérénité que je n'ai pas connu depuis de longs jours. 

Le ChallengeWhere stories live. Discover now