Chapitre 28 - Le tournant

5K 385 63
                                    


Je ne sais pas pourquoi, les homophobes ou les non-initiés, comme je les appelle, voient systématiquement les gays comme des êtres extravagants portant du rose et des paillettes tout en tortillant exagérément du popotin. Tout comme, pour eux, une lesbienne est forcément une espèce de camionneuse aux cheveux courts et s'habillant comme un mec. Pour eux, ils ont « l'indécence » de vous jeter à la figure leur sexualité et de la brandir comme le Saint Graal.

Ces clichés ont la vie dure malheureusement, alors que la plupart des gays et lesbiennes que je connais aspirent simplement à vivre la vie de monsieur et madame tout le monde : aller au boulot, se trouver un bon logement, voir les amis, la famille et retrouver son conjoint à la fin de la journée.

Je fais généralement parti de ceux qui ne renient jamais leur homosexualité, mais qui ne voient aucun intérêt à le crier sur les toits non plus. En tant qu'hétéro, ça ne vous vient même pas à l'esprit de préciser votre orientation sexuelle quand vous vous présentez, alors pourquoi, nous, devrions-nous le faire ?

Je ne parle pas de se cacher ou de taire à tout prix ce que vous êtes pour rentrer dans le moule. Non, je veux juste dire que je ne vois pas en quoi c'est si important pour la société de mettre absolument les gens dans des cases.

J'ai également horreur des personnes qui disent « c'est bien il assume son homosexualité » : assumer, je déteste ce mot, il a une connotation, pour moi, de prise de responsabilité. On assume les conséquences d'une connerie qu'on a faite, on assume un choix politique ou professionnel, mais que je sache, à aucun moment de ma vie, on m'a tendu un QCM me demandant :

Choisissez-vous d'aimer :

a) Les hommes.

b) les femmes.

c) les deux mon capitaine !

d) peu importe, tout me va.

e) mon corps n'appartiendra qu'à Dieu sauf si un curé libidineux passe par là.

Je n'ai pas « choisi » d'aimer les hommes, je suis né avec cette « option », je m'en suis juste rendu compte un peu tardivement, c'est tout. Je n'ai donc pas à assumer ce qui n'est pas un choix !

Pourquoi cette réflexion philosophique en ce lundi matin ? Et bien parce que Thomas a décidé « d'assumer notre relation » selon ses propres termes. Me voilà donc dans l'ascenseur nous menant à son agence, ma main enfermée dans la sienne. Je ne peux évidemment pas occulter les coups d'œil curieux, amusés ou dégoûtes des personnes présentes. J'ai beau, généralement, avoir une certaine assurance, j'avoue que là, je ne m'attendais pas à ça, ou en tout cas pas si vite.

Je connais pourtant son caractère et sa personnalité à présent : quand il a décidé quelque chose, il s'y tient comme un molosse dont il est impossible de faire lâcher sa prise.

Quand il pousse la porte de l'agence, il tient toujours fermement ma main et traverse ainsi l'open-space, me traînant à sa suite, moi, aussi rouge qu'une pivoine fraîchement éclose. Il rappelle à tous le briefing prévu ce matin sous les yeux médusés de ses partenaires.

Il s'arrête subitement alors que les autres nous fixent encore ahuris :

- Ah, pendant que j'y suis, vu que vous avez l'air de vous poser des questions, je vous avise que Gabriel et moi sortons ensemble. Merci pour votre attention. On se rejoint en salle de réunion.

Il reprend sa marche, moi toujours à sa suite, plus rouge que jamais, gémissant d'embarras.

*

Le ChallengeWhere stories live. Discover now