(6) - La nuit des ancolies

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Novembre 1942

Assise à son bureau, elle écrivait.
À quoi, à qui, elle l'ignorait, mais tout du moins, elle écrivait.

Elle avait toujours trouvée les filles qui tenaient un journal intime d'un tel ennui, qu'elle n'en avait jamais vraiment eu, ni même ressenti le besoin d'en avoir un.
Jusqu'ici, elle n'avait jamais eu de secrets à garder, ni même tellement de problèmes.
Lorsqu'elle allait mal, elle allait toujours voir Mike, parfois son père, quand il n'était pas la source de ses émois.
Lui, eux, de manière plus générale, avaient toujours été là pour la conseiller, ou bien la rassurer.
Mais aujourd'hui, elle portait juste le signe du deuil, un deuil qui la peinait, à travers lequel elle n'arrivait pas à passer, elle le bloquait, et plus personne n'était là pour elle.

Hansi ?
Elle y avait bien pensée, mais il y a certains de ses sentiments dont elle ne pouvait pas parler à l'alsacienne, parceque elle savait par avance qu'elle ne comprendrait pas.
Et même si Mike avait été là, sans doute ne lui en aurait elle pas parlé non plus.
Son père ?... Il était bien gentil et compréhensif, mais elle aurait eu trop peur de sa réaction, si toutefois il avait toujours été de ce monde.
Ne restait plus que Sasha, mais avec le rationnement très strict des allemands, elle passait le plus clair de son temps en forêt, à chasser pour espérer avoir un peu de nourriture.
Les seules fois où elle la voyait, c'était quand elle avait eu une bonne traque, et qu'elle lui apportait un peu de gibier qu'elle avait en trop.

L'hiver s'annonçait rude, les stocks étaient maigres, et leur ration de calories par jour était déjà bien diminué.

Sur son carnet, elle posait calmement ce genre de problèmes de sa plume, évitant d'abord subtilement le problème qui lui rongeait la tête, craignant de simplement le poser sur papier.
Que pourrait il arriver si jamais ce journal allait le répéter à quelqu'un d'autre ?
Les français la mépriserait sûrement, et les allemands, seraient peut être un peu étonné, mais ne tarderaient pas à s'en moquer à gorge déployée.
Mais lorsqu'elle eut enfin fini de confier tout les petits problèmes du domaine, ceux de Hannes avec l'alcool, sa mère qui refusait de sortir, Mike qui lui manquait terriblement, les larmes qui ne cessaient de couler lorsqu'elle pensait à son père, ces pauvres enfants qu'elle savait on ne sait où dans la nature, ceux du monde en général, elle savait précisément à cet instant, qu'il manquait une pièce cruciale à ce tableau qu'elle était en train de peindre.

Il était pourtant bien moins dangereux d'écrire "ça", plutôt que de dire qu'un juif lui manquait, ou bien qu'elle s'inquètait pour des enfants de la même religion que son ami, ou de dire encore, qu'elle haïssait Sieg de tout son être, et que rien que de le croiser au loin lui donnait une irrepréssible envie de meurtre.

Pourtant elle bloquait...

D'apparence, il n'avait pourtant pas l'air si différent de Sieg, ou même des autres.
Au premier abord, elle les avait tous placé au même niveau, mit au même plan les uns avec les autres.
Puis elle avait vu, elle avait entendu, elle avait ressenti, et enfin, elle avait comprit.

Son père n'avait pas tort, lorsqu'il disait qu'ils n'étaient pas tous pareils.
Du moins pour elle, un se détachait plus du lot que les autres.

Sieg était sans aucune surprise le bon nazi, qui crachait ses valeurs immondes et immorales à longueur de journée, en pensant que ce qu'il faisait était bien et nécessaire.
Mais le capitaine Ackerman....
Lui, elle ne pouvait pas l'associer à ça.
Il avait toujours l'air de faire les choses plus par devoir que par passion.
Combien de fois aurait il pu la tuer depuis qu'il était là ?
Lorsqu'il pouvait ne pas appliquer les règles, il le faisait bien volontier, et ça n'avait aucunement l'air de l'écorcher de désobéir à ses codes.
Elle mentirait, si elle disait ne lui en avoir jamais voulu, ni même détesté à la même échelle,qu'elle détestait l'aîné Jäger.

Livaï X Reader | L'absurdité de ce monde Where stories live. Discover now