20 - Les Mémoires

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Mai 1985- 40ans après la fin de la seconde guerre mondiale

Le crépuscule s'abbattait sur la campagne française avec fatalité, comme il le faisait depuis la nuit des temps. L'extérieur se noyait d'obscurité et de froideur, laissant place peu à peu aux terreurs de la nuit.
Au chevet d'un bureau enseveli de livres et de papiers en tout genre, un homme, qui n'avait pas été épargné par l'âge, demeurait étalé sur la boiserie, la respiration lente et profonde.

Le travail acharné l'avait emporté dans une curieuse somnolence, où le sommeil demeurait assez important pour être propice aux rêves, mais bien insuffisant pour être reposant.
Que voulez vous ? Cet homme avait bien toute sa vie derrière lui désormais, et en son sein, bien des regrets, bien des terreurs, bien de la peine.
Il aurait cru qu'après 40ans, qu'après avoir fait bien des choses reculés dans sa campagne, les cauchemars de sa jeunesse l'aurait quitté.
Mais une fois encore, malgré ses futiles espoir, ses hantises ne l'avait pas quitté, même du haut de ses soixante neuf ans, cheveux tout grisonnant qu'il avait. Aboli le Reich, aboli Hitler, aboli les valeurs, mais quand était il de la folie des Hommes ? Livaï doutait de l'abolition de celle si, puisqu'il ne savait faire autre chose que de vivre dans l'absurde. Camus, Sartre, Zweig, bien des auteurs lui tournait en tête, bien des ouvrages couvraient ses étagères. Et les films ? Quels terribles ouvrages pourtant rempli de cruelles vérités.
Nuit et Brouillard ? L'effet d'un couteau en plein cœur pour le jeune allemand tout juste sorti de la guerre. Et s'en était suivi toute sa vie d'ouvrages divers, des questionnements et d'interview pour alimenter son imaginaire. Le plus terrible des tyrans n'était pourtant pas encore né, et Livaï savait bien après une vie de recherche acharnée, que la démocratie demeurait toujours bien éphémère. Pire encore, c'était elle, le berceau même du totalitarisme. Hitler ? Rien d'autre qu'un type qui avait usé du populisme, grande figure d'une idéologie dévastatrice, méchant incontestable de l'époque. Et pourtant, c'était bien le peuple qui avait voté pour lui en 33, et malgré les contestation de son arrivée frauduleuse, il n'en restait pas moins qu'il avait été élu pour diriger l'Allemagne.
La démocratie si durement obtenue, le semblant de liberté récupéré avec acharnement, ne demeurait pas éternel. Livaï avait de quoi en devenir fou, mais au moins, s'était il battu en son temps pour la posséder.
Et quelque fois, la voyait il arrachée à lui dans son sommeil, Livaï aurait toujours incontestablement une partie de lui dans les méandres sombres de l'obscurantisme nazi.
Parfois rêvait il de choses qu'il avait bien bien vu, de ses propres yeux, les autodafés, les drapeaux rouge à croix noire, les marches militaires, les cadavres, les larmes de sa femme, Sieg... Mais certaines nuits était il hanté par des songes auxquel aucun souvenir n'était rattaché. Rêvait il ainsi de ces piles de vêtements, de vestes, de chaussures, entassées les unes sur les autres dans une pièce d'une hauteur de dix mètres, mourant écrasé sous le poids de sa propre culpabilité et des âmes errantes et tournante autour de biens qui leur avait été arraché.
Plus concret était les fois où il voyait tout ce qu'il avait lu des camps, de ses propres yeux. Et il avait beau faire tout son possible, il demeurait toujours impuissant, inutile, juste un minuscule insecte tout juste bon à être écrasé par l'immense machine dans son dos, si jamais il ne se dépechait pas de s'enfuir. Mieux valait mourir que d'adhérer à ça une minute de plus, Livaï le pensait toujours au réveil. L'évocation de sa jeunesse sous la croix gammée lui donnait même parfois une nausée irrépressible, et pendant longtemps, il avait préféré ne pas en parler.
Mais dans ses rêves où était donc passé l'honneur et sa légendaire fierté ? Envolée, pouf, disparue.
Parfois aussi imaginait il retrouver là bas, le corps de sa mère et de son oncle, qu'il n'avait jamais pu retrouver dans la réalité. Oh, il avait bien cherché, longuement même. Mais probablement s'étaient ils égarés du mauvais côté du rideau de fer et s'étaient éteint à l'est, sans qu'il ne puisse jamais rien en savoir.
Qui sait après tout ? Il n'avait jamais reçu de lettre de l'un ou de l'autre.
Et vu son âge aujourd'hui, il doutait qu'ils soient encore en vie aujourd'hui. Petra ? Il n'en savait rien de plus également, elle ne lui avait jamais écrit non plus, il avait bien retrouvé son nom dans les registres d'arrivée à Auschwitz, mais nullement sur celui des exécutions. De toute façon, il savait bien que vers la fin, ces carnets n'étaient plus une valeur sûre avec tout ceux qu'ils tuaient en urgence et à tour de bras.

Livaï X Reader | L'absurdité de ce monde Where stories live. Discover now