• Chapitre 24 •

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Naomi

Nous sommes lundi matin. Je verrouille la porte derrière moi et me mets rapidement en route pour la Brown'sEntreprise. Je suis en avance ce matin, ce qui est assez surprenant, je l'avoue. Le nez fourré à l'intérieur de mon sac à main dont je m'efforce de fouiller, cherchant avec désespoir mon téléphone. Je ne prête pas attention aux passants qui m'évitent et continuent leur trajet. Cependant, arrivée au bout d'un croisement, je suis forcée de m'arrêter lorsqu'une ombre surgit devant moi. Je relève le menton, figée de surprise et croise le regard brun d'un homme.
— Bonjour, vous êtes Naomi ? Naomi Anderson ?
— Euh...oui ? Me méfié-je. Excusez-moi, on se connait ?
— Non pas tout à fait, je m'appelle Jack Liam, se présente-t-il en me donnant une petite carte cartonnée de couleur corail, je suis journaliste à Weekly'Experts.
Journaliste à Weekly'Experts ? La célèbre agence de presse dans le Queens ? Que vient-il faire ici et surtout comment connait-il mon nom ? Aussitôt, la voiture qui s'est brutalement envolée me revient en tête, est-ce que c'était lui ?
— Excusez-moi, comment connaissez-vous mon nom ? m'enquiers-je, sur la défensive.
— Je voudrais vous poser quelques questions concernant votre travail à l'entreprise Brown et le contrat que vous et Adan Brown avez signé la semaine passée.
Il brandit son microphone et me le pointe sous le nez, je recule d'un pas et le dévisage, incrédule. Pour qui se prend-t-il ? Il ne fait pas partie du projet alors comment cela se fait-il qu'il soit au courant ?
— Excusez-moi, je dois y aller.
Je le contourne et trace ma route mais, bien décidé à me suivre sur plusieurs mètres, il enchaîne les questions dont je ne comprends que quelques bribes. Quand va-t-il me lâcher ?
— Arrêtez de me suivre, je ne répondrai pas à vos questions alors rentrez chez-vous !
Il commence sérieusement à me taper sur le système ce type. Postée sur la rue qui précède celle de la Brown'sEntreprise, je relève un attroupement devant les deux grandes portes vitrées. Que se passe-t-il encore ? Je sors mon téléphone et envoie un message à Jeff afin d'essayer de récolter des informations, mais ce dernier m'indique qu'il n'est pas encore arrivé.
J'approche à pas de loup du regroupement et passe à côté des personnes tassées les unes contre les autres, afin de pousser la porte et pénétrer dans le hall mais, un des hommes se tourne vers moi et écarquille les yeux, tout en s'écriant.
— C'est elle !
Moi ?
— Mademoiselle Anderson, comment avez-vous fait pour convaincre le célèbre P-DG, Yuki Changmao ?
— Plusieurs personnes racontent que vous n'aviez pas de chaussures, est-ce vrai ?
— Mademoiselle Anderson ! S'il vous plait ?
— Par ici, mademoiselle Anderson !
Leurs mots résonnent plusieurs fois dans mon crâne et ils m'entourent de leurs regards interrogateurs tout en me plantant plusieurs micros et caméras devant les yeux. C'est quoi tout ça !
L'affolement prend part en moi et j'en bouscule quelques uns afin de me poster devant le vigile aux épaules aussi imposantes que ces fichues portes automatiques. Ce dernier me reluque de la tête aux pieds et regarde mon badge avant d'ouvrir la porte. Sauvée par cette masse de muscles, je me faufile à l'intérieur et trottine vers les ascenseurs, empêchant les appareils de me photographier.
En sûreté dans l'ascenseur, je reprends mon souffle, une main sur la poitrine. Qu'est-ce que c'était que ça ? Comment sont-ils au courant de toutes ces informations et en quoi cela les regarde ? Lorsque les portes s'ouvrent, je lance de briefs regards aux deux femmes derrière le comptoir et toque à la porte d'Adan.
— Entré.
Je me glisse timidement à l'intérieur et observe le visage impassible de mon boss déjà au travail. Il ne semble pas secoué par tout ça, c'est censé être rassurant ?
— Il y a un problème ?
Bien sûr qu'il y en a un ! Est-il aveugle ?
— E...en bas, il y a beaucoup de...
— De journalistes, je sais. Ils ont réussi à trouver votre adresse, je ne sais pas comment à vrai dire. Toutes vos données personnelles sont naturellement stockées et protégées dans les registres de l'entreprise donc quelqu'un a dû les trouver sur un autre réseau que le nôtre.
— Quoi ? Mais...
— Lisez ça.
Il me tend un journal encore emballé derrière un film plastique. Je défais l'emballage tout en regardant Adan et lis les quelques premières phrases. "Naomi Anderson, nouvelle secrétaire de direction, forçant la main à Yuki Changmao, le contrat est finalement accepté" Quoi ? Hurle ma conscience, rouge de colère.
— Je ne lui ai pas du tout forcé la main ! M'écrié-je, vous étiez là vous aussi.
J'explose de contrariété et resserre ma prise sur le papier rêche du journal.
— Quelqu'un a dû entendre notre conversation lors de cette soirée, les reporters savent très bien se camoufler parmi les hommes d'affaires. Votre adresse ainsi que votre nom seront censurés pour votre sécurité.
—Vous pouvez faire cela ?
— Oui, je le peux et je le fais.
— Merci. Soufflé-je.
— Dorénavant, faites attention lorsque vous rentrez chez-vous, ne répondez à aucune de leurs questions et évitez de vous retrouver toute seule le soir.
Il m'ordonne tout cela sans sourciller.
— Oui.
— Bien, l'entretien avec Richard Ross à neuf heures est annulé alors veuillez le retirer de l'agenda mais, ajoutez Margareth Hartley pour le déjeuné. Aussi, appelez Russel Depalma et confirmez la commande pour mercredi.
— D'accord, ce sera tout ?
— J'aimerais que vous jetiez un œil au traité de John Poders, si possible avant demain soir, ce sera tout. Ajoute-t-il, concentré sur son ordinateur. Je ne vais pas m'ennuyer à ce que je vois.
— Je vous l'enverrai dès ce soir.
Il relève la tête.
— Vraiment ?
Il semble surpris, moi aussi je peux travailler vite et efficacement monsieur !
— Oui, je le déposerai sur votre bureau.
— Très bien.
Je quitte le bureau d'un pas pressé et commence à composer le numéro de monsieur Depalma. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ce week-end mais Adan semble sur les nerfs, ou bien c'est cette histoire de journaliste qui le tracasse ? Je pourrais lui demander mais vu son humeur acariâtre, il m'enverrait bouler dans mon bureau plus vite qu'il ne faut pour le dire.

Les heures ont défilé à une de ces vitesses, le soleil est tombé, seule la lumière bleue de l'ordinateur me permet d'y voir quelque chose. Comme je l'avais assuré à Adan, le traité de John Poders est complet, la demande de permis de construire qu'il a émis au près de la Brown'sEnterprise a été refusé avec des raisons plus qu'évidentes. Arracher la moitié des arbres de Alley Pond Park Loop, pour placer des canalisations souterraines est juste une idée impensable, j'ai remarqué que dans le passé sa demande a été acceptée puis refusée. Je me demande bien pourquoi ?
Je referme le classeur avec un soupir éreinté et pose brièvement mon gilet sur le bord de mon épaule droite. J'éteins l'ordinateur et attrape mon sac à main puis, je referme la porte derrière moi et fais quelques pas dans le hall, plongé dans l'obscurité. L'écho de mes talons me donnent des frissons, j'ai l'impression d'être perdue au milieu d'un parking. Je secoue la tête afin d'oublier mes inepties et toque à la porte d'Adan, d'où se dégage une faible lumière tamisée. Curieusement, je n'obtiens aucune réponse de sa part, est-ce qu'il est parti ? J'appuie sur la poignée sans faire trop de bruit et passe la tête à l'intérieur. Il est là, endormi sur son bureau, les yeux clos, la bouche faiblement entrouverte.
Je m'approche à petits pas et dépose le classeur sur le bord du meuble massif, son visage est si doux...C'est la première fois que je le vois avec une telle expression, il semble calme, sans crainte.
Inconsciemment, je tends la main vers son visage, mais je n'ai même pas le temps d'éffleurer sa joue qu'il relève la tête, attrape mon poignet et le serre avec force. Outch, quelle poigne de bête !
— Ah !
— Qu'est ce que...vous êtes encore là ?
Sa voix est rauque, ensommeillée, mais regard reste accroché à sa main qui entoure mon poignet.
— Le...le traité. Bafouillé-je, intimidée.
Il s'attarde un moment sur moi puis jette un rapide coup d'oeil au classeur sur le bureau. Je danse d'un pieds à l'autre en passant de sa main à ses yeux, comme s'il comprenait la situation d'un coup de fouet, il relâche sa prise et se relève vivement.
— Pardonnez-moi, c'était un reflex.
— Quel reflex...marmonné-je encore troublée.
Il m'observe, intrigué, sans dire un mot. Ne me regardez pas comme ça nom de Dieu. Je soutiens son regard et écoute le tintement aiguë de ma poitrine. Ses yeux semblent plus sombres sous la lumière de la lune.
— Vous partez ?
— Ah, euh...oui.
— Très bien, attendez une seconde, répond-t-il en enfilant sa veste de costume, je vous raccompagne.
— Non, ne vous dérangez pas pour moi, je vais m'en sortir.
— Ce n'était pas une question.
— Quoi ? Je couine sous le choc de sa réponse abrupte.
— Vous venez ?
Il m'ouvre la porte, tendant également la main vers le hall.  J'obéis sans un mot et le suis dans l'ascenseur, lorsque les deux portes se ferment je ne peux m'empêcher de ressentir une drôle de tension. Une chaleur vient comprimer ma poitrine, s'insinuant même sous mes joues. Ne le regarde pas, ne le regarde pas, ne le regarde pas...
Le clignotement des portes me sauve la vie, je retrouve aussitôt l'air frais du hall mais la tension est toujours là, présente au creux de mon estomac. Est-ce cet ascenseur qui me met dans cet état ? Je n'ai jamais été claustrophobe pourtant, ou alors c'est la présence magnétique de l'homme à mes côtés ? Merde...je suis en train de dérailler.
— Je vais finir le trajet à pieds, merci de m'avoir accompagnée jusqu'ici.
Je vais pour m'éloigner de lui mais, la voix forte qui m'interpelle ensuite, me cloue sur place.

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Haut Niveau - Tome 1 -Where stories live. Discover now