♦ Prologue

2.3K 176 38
                                    

Des pas effleurant le sol, un souffle haletant, un cœur palpitant. Sous un ciel empreint de tristesse et désespoir, sur une terre mourante et désarmée, elle court, parmi la grisaille, à travers les fourrées, pieds nus dans la terre abîmée, imbibée du sang d'innocents. La lune est rouge, la nuit saigne.

Soit ils échouent, et le monde sombre dans la Mort.
Soit ils en sortent victorieux, et la Mort reste sous terre.

Ses joues rosies par le froid sont malmenées par ses larmes salées, qui irritent sa peau fatiguée. Sa gorge nouée lui rappelle à quel point sa sensibilité est sa faiblesse.

Les a-t-elle menés à leur perte ?

Alors que son ascension continue, dans le froid et la crainte, alors que son coeur martèle sa poitrine, assourdit son ouïe, elle lève les yeux vers le ciel, légèrement camouflé par les branches nues des arbres autour d'elle.

Les nuages se dissipent, le soleil se lève et la lune cicatrise.

— Non... marmonne-t-elle entre deux respirations.

Enfin, elle y parvient. Elle arrive au bord de cette haute falaise donnant sur le vide, le néant. Là où un château se dresse, en ruine, meurtri par les années.

Elle cesse sa course, ses pieds nus s'enfoncent dans les feuilles mortes. Un homme est dos à elle, un genou à terre, les deux mains sur le manche de son épée d'argent, le front collé à celui-ci. À sa droite se trouve une femme et à sa gauche, un homme. Ils tiennent tous les trois la même posture et sont vêtus de la même armure noire.

Elle s'avance lentement, reprend son souffle petit à petit.

— Qu'avez-vous fait ? murmure-t-elle.

Sa voix résonne en un écho que les arbres se renvoient. Elle contourne l'homme dos à elle, se retrouve au centre du perron bétonné et détruit partiellement, là où quelques feuilles gisent encore. Elle se penche légèrement en avant, l'armure de la femme ne porte plus son pouvoir, puis celle des deux autres non plus.

— Où sont-ils ? Où sont vos gemmes ? Où sont vos gemmes ?!

Elle se tourne vers la femme aux cheveux courts, au visage tuméfié, son front toujours collé à son épée dorée.

— Adélaïde ?! Où est ton rubis... ?

Elle fait ensuite face à l'homme à l'épée de bronze.

— Alexius...? souffle-t-elle en se penchant légèrement en avant. Où est ton Saphir ?

Enfin, elle s'appuie sur ses genoux, tente de sonder le regard du dernier Gardien, en vain. Il fixe le sol, une balafre encore toute fraiche sur le front.

— Ezekiel... ton... ton émeraude ? Qu'avez-vous fait ?!

— Nous sommes désolés... marmonne Adélaïde en se redressant.

Les autres Gardiens la suive. D'une seule main, ils lèvent leur épée, la pointent en direction de la jeune femme.

— Nous devions faire un choix, poursuit Alexius. Nous devions choisir entre toi et ce monde.

— On s'était promis de...

— Mais parfois, les promesses ne suffisent plus, l'interrompt Ezekiel.

Il lève ses yeux de la même couleur que sa gemme vers elle, ses cernes soulignent parfaitement l'éprouvante bataille qu'il vient de mener.

— Nous sommes les derniers Gardiens des gemmes, les derniers Gardiens de ce monde, reprend Adélaïde de sa voix grave. Nous devons faire les choix en conséquence de nos actes. Nos gemmes et ton pouvoir seront le sacrifice ultime pour offrir le repos à tout un Royaume.

La jeune femme ne dit rien, ses larmes ne cessent de couler et son cœur de se déchirer. Trahie par les siens, le cauchemar qu'ils viennent de traverser prend fin, avec elle.

— Pardonne-nous notre faiblesse, déclarent les Gardiens en même temps.

Ils lèvent leur épée en même temps, vers la lune ensanglantée qui bientôt, laissera place au soleil. Puis saisissent fermement le manche de leurs deux mains, pointent la lame vers le sol, ignorant la crainte de leur amie, piégée. Enfin, ils la plantent dans le sol qui se fissure sous leur force. Celles-ci se frayent un passage instable jusqu'aux pieds de la jeune fille qui s'arc-boute, puis s'écroule aussitôt sur le sol.

Son cœur qui palpitait quelques minutes plus tôt, s'est arrêté brutalement au contact des épées des Gardiens, avec la terre. Le lien se brise, la malédiction disparaît et le soleil reprend sa place. Ses cheveux bruns recouvrent son visage, ses yeux gris fixes, livides, sans pupille... Son regard semble braqué sur l'un d'entre eux, mais aucun ne parle, aucun ne bouge. Ils reposent tous un genou au sol, le front contre le manche de leur épée, dans un sinistre silence pendant que la tiède brise matinale de cet été, vienne enfin réchauffer le Royaume tout entier.

Les Gardiens ont sacrifié leurs gemmes et leur Guide, pour endormir un puissant ennemi.
Mais le sommeil n'est que temporaire. Aussi éphémère que la vie des innocents.

Le sursit du Royaume ne durera pas plus de cent cinquante ans.
Ce jour là, le sacrifice n'aura plus d'importance et les larmes de leur guide auront été vaines.

Les erreurs du passé restent dans le passé.
Un Gardien ne peut tisser de liens, ni regarder en arrière, ni même ressentir un seul sentiment.
C'est pourquoi, un Gardien est capable de commettre les plus grands sacrifices, pour atteindre le seul but pour lequel ils vivent : la protection du Royaume tout entier.

Petit avant-goût, avant la publication de l'histoire ! J'espère que ça vous aura plu !

Les Derniers Gardiens - I La Confrérie du RubisWhere stories live. Discover now