6 ♦ Nocturne

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"Sous la lueur de la lune, la brise nocturne voyageait au travers des rêves silencieux."

ADÉLAÏDE

La salle de Bal s'était vidée et tous les convives rentraient chez eux ou séjournaient dans le palais, ce n'était pas difficile pour le roi de loger des invités dans l'une de ses cent trente chambres disponibles.

Je me trouvais à l'extérieur, là où l'air frais soulageait ma pensée. La petite fille qui avait assisté au Bal toute la soirée dans son coin s'arrêta à côté de moi et observa le labyrinthe devant nous, éclairé par les lampadaires encore allumés.

Sa petite taille, son innocence, me rappelait à quel point les enfants étaient insouciants et bien plus heureux que des personnes adultes, confrontés à la dure réalité de notre monde. Je lui contai quelques voyages que j'avais fait en tant que Gardienne. J'avais vu les plus hautes montagnes du Royaume, navigué sur le plus vaste Océan de notre monde et je voyais, dans ses petits yeux noirs, l'étincelle rêveuse d'une enfant en quête d'aventure.

Je n'eus le temps de terminer mes récits que sa sœur, Elyanore, nous rejoignit, s'accroupit devant Agnès, et saisit ses deux bras en la secouant légèrement.

— Tu m'as fait peur ! Où étais-tu ?

— Je parlais avec Adélaïde, rétorqua Agnès. Elle m'a raconté tous ses voyages, elle a vu plein de paysages, de la neige, la mer, les montagnes... moi aussi j'aimerais voyager quand je serai plus grande !

— Nous verrons cela... soupira Élya en se redressant et se tournant vers moi.

Elle était plus petite que moi, frêle mais très jolie. Son visage aux traits fins était lumineux, sa voix mélodieuse mais je pouvais facilement sentir l'angoisse terrible de la séparation de sa sœur. Elle me paraissait très protectrice envers elle, ce qui n'était pas un défaut en soi, bien au contraire. Cependant, le Titre qu'elle arborait dorénavant demandait certains sacrifices et quelques efforts difficiles.

— Je ne faisais que lui conter certaines histoires, rien de bien dangereux.

— Il vaut mieux éviter de faire rêver les petites filles comme Agnès. Vous n'avez pas voyagé pour les bonnes raisons.

— Je ne pense pas que tu saches de quoi tu parles, jeune fille, protestai-je quelque peu vexée.

Élya se baissa vers sa sœur.

— Tu montes dans notre chambre ? Je te rejoins.

Agnès hocha la tête, les épaules basses et rentra à l'intérieur du palais. Ainsi, nous pûmes nous parler en toute liberté.

— Tu es très protectrice à ce que je vois, constatai-je.

— Elle n'a que moi et je n'ai qu'elle.

— Est-ce que tu seras prête à la quitter si nous devons partir à l'autre bout du pays pour retrouver les gemmes ?

Élya poussa un profond soupir puis détourna le regard. Difficile à dire. Je n'avais pas besoin de lui poser des questions pour deviner qu'elle avait dû vivre toute sa vie avec sa sœur, et s'en occuper comme si c'était sa propre fille.

— Tu es Guide, nous avons besoin de toi, insistai-je.

— Je ne comprends pas pourquoi... moi ?

— Tu sais, même en tant que Gardiens, nous n'avons pas toutes les réponses aux questions que l'on peut se poser.

— Oui mais... vous savez ce qui est sur le point de nous attaquer, non ?

Je lui adressai un faible sourire puis lui proposai d'aller marcher dans le labyrinthe. Élya hésita mais accepta après mures réflexions. La lune était ronde, sa lumière argentée suffisamment forte pour nous éclairer à travers ses interminables couloirs de fleurs, buissons et autres plantes. Le silence nocturne était apaisant, la fraîcheur d'une nuit d'été tout autant. Les cigales chantaient, la brise légère apportait de la douceur au tranchant du soleil en journée.

— Connais-tu la Nécromancie ?

— Non... je ne connais pas. Enfin, j'en ai entendu parlé. C'est une forme de magie, n'est-ce pas ?

Je hochai la tête.

— Mais une forme de magie très dangereuse. La magie noire maniée par des sorciers est dévastatrice pour celui qui l'utilise et ceux qui en font les frais.

— Un sorcier l'utilise en ce moment ?

— C'est bien plus complexe que cela puisque tous les sorciers ne peuvent pas l'utiliser. C'est une magie que peu de personnes connaissent et même si j'y ai été confrontée, je serai incapable de t'en dire plus à ce sujet. Là où je voulais en venir en te demandant cela, c'est que tout est lié à la Nécromancie. Ce n'est pas un sorcier qui l'utilise en ce moment, c'est le sorcier. Personne ne l'a jamais vu, mais nous avons déjà dû nous battre contre sa magie.

Élya fronça les sourcils. Difficile pour une Humaine comme elle de tout comprendre. Très souvent, les humains savaient que les sorciers existaient, beaucoup allaient même en école pour apprendre l'art de la magie et ils étaient utiles à la prospérité du Royaume et même admirés par beaucoup mais ils ne connaissaient pas tous les secrets de leur monde et les dangers desquels nous les protégions.

— Mais... c'était il y a très longtemps, remarqua Élya.

— Nous vivons très longtemps, nous les Gardiens. Le Nécromancien, lui, est probablement immortel puisqu'il est en réalité... mort.

Élya s'arrêta juste avant la sortie du labyrinthe et se tourna vers moi.

— D'après les légendes et tout ce que j'ai pu entendre lors de ma formation il y a bien longtemps, le Nécromancien s'est lui-même jeté un sort pour mourir et revenir à la vie, sans perdre son âme. Maintenant, est-ce vrai... je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'il se nourrit d'âmes, et que lorsqu'il est repu , il peut dormir des décennies avant de se réveiller. C'était le marché qu'il avait conclu avec le Royaume d'Aphebis bien avant que nous ne naissions mais il est triste d'admettre que très souvent, lorsqu'un pacte est scellé, l'une des deux parties le brise tôt ou tard.

Je marquai une pause puis sourit à Élya qui semblait troublée par toutes ces histoires.

— Je te raconterai la suite de cette histoire un autre jour, ça fait beaucoup d'informations à emmagasiner pour toi pour le moment.

Je posai ma main sur l'épaule d'Élya qui fut en proie à une violence vision. Ses pupilles se dilatèrent instantanément aussitôt, ma respiration se bloqua puis nous vîmes, en même temps, des images successives : une rivière ruisselante au courant brutal, une forêt à la mousse verdâtre puis enfin, un grand bâtiment ancien mais entretenu, aux fortifications dissuadant n'importe quel ennemi d'approcher puis un Rubis rouge comme le sang, étincelant, immaculé, posé délicatement sur un coussin de soie, protégé par une vitre épaisse dans une salle paraissant sombre, là où l'unique halo de lumière se déposait sur la gemme.

Je retirai ma main de son épaule et repris ma respiration. Nous nous regardâmes un long moment, dans un drôle de silence.

— C'était mon... mon Rubis, balbutiai-je.

— Je suis désolée... bafouilla Élya en passant ses mains dans ses cheveux. Je... je vais aller me coucher. Merci pour la balade.

Elle quitta le labyrinthe, les bras le long de son corps et me laissa ainsi, seule avec mes tourments. Seule avec l'image de mon Rubis, dont on m'a privé du pouvoir. Personne ne peut comprendre le lien entre le Gardien et sa gemme, c'est si puissant que parfois, cela nous en tord les boyaux, nous brise le cœur, nous rend accro, à vif, à sang... C'est unique et à la fois destructeur. C'est pour cela que les gemmes sont confiées aux Gardiens, des individus dotés de capacités hors normes, entraînés et torturés pour supporter le pouvoir d'un Rubis, d'un Saphir ou même d'un Émeraude et encore bien d'autres, qui ont été détruit par les guerres passées.

La lune était haute ce soir là, et mon cœur embrumé par le désir de retrouver mon Rubis.

Les Derniers Gardiens - I La Confrérie du RubisWhere stories live. Discover now