9 ♦ Au revoir

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"Aussi difficile est-il de dire au revoir, parfois, la raison prend le contrôle. Adieux ou au revoir, l'un ou l'autre procurera la même douleur à celui qui le prononce."

ÉLYA

    Je respirais fort, face au miroir, dans les sanitaires, là où un bain tout juste prêt m'attendait. Je retirai ma robe, arrachai mon corset, avec cette impression d'étouffer. J'inspectai chaque parcelle de ma peau, le cœur battant la chamade. Je levai légèrement le menton, pour ainsi observer la marque sur ma poitrine, aussitôt, j'entrai dans le bain, retins ma respiration et m'immergeai sous l'eau. 

    Le bruit sourd qu'émettait la pression du liquide tiède sur mes tympans me soulagea de tous mes maux, toutes ces pensées qui affluaient dans ma tête. Je gardai mes yeux fermés,  ma respiration bloquée, puis laissai les images venir puis partir, quitter mon esprit, apaiser mes angoisses. 

    Mes visions se mélangeaient entre le volcan, la rivière, le rubis, la grande bâtisse, le corbeau... Lequel devions-nous aller chercher en premier ? Et alors que toutes ces images se bousculaient dans ma tête, une seule retint mon attention, une seule eut l'effet d'un poignard en plein cœur, par son image d'horreur. Un mort, gisant là, dans la terre boueuse, le corps ensanglanté, si bien qu'il était impossible de savoir où se trouvait sa blessure, partiellement décomposé, rongé par les vers et le temps qui soudain, ouvrit les yeux et se releva sur ses deux pieds, comme vivant, mais sans âme. Ce macchabée, malgré sa peau putréfiée, affichait les mêmes traits que ma mère. 

    J'ouvris les yeux sous l'eau, battis des bras et des jambes et me redressai brusquement en toussotant. Je passai mes mains sur mon visage pour l'essuyer, me tins aux rebords de la baignoire, le cœur lourd. 

    Je n'y connais rien en Nécromancie, mais je sais ce que veut dire ce mot. Ce sorcier dont personne ne connaît l'apparence, est capable de ramener des morts à la vie. Sa magie dépasse toutes espérances et n'importe quelle science. 

    Une fois sortie du bain et rhabillée, je regagnai ma chambre avec Agnès, la nuit était déjà bien entamée et je n'eus guère le droit de dormir. Ma petite sœur reposait sur son lit, les yeux clos, sereine, épuisée par la fête et le stress. Elle s'était bien amusée sur le dos d'Ezekiel, mais je continuais de détester cet homme. 

   Je m'allongeai près d'elle, laissant ma tête reposer sur ma main et l'observai tout en lui caressant le front. Agnès était ma famille, ma petite sœur, mon pilier. Me convaincre que je devais l'abandonner pour une cause qui n'était pas la mienne me brisait le cœur. Je laissai alors couler quelques larmes silencieuses, alors qu'intérieurement, je sanglotais sans pouvoir m'arrêter. 

— Fais de beaux rêves, petit ange... murmuré-je. 

   Je déposai un baiser sur son front, alors elle remua le nez, gigota légèrement puis entrouvrit ses petits yeux.

— Hm... Élya... ? marmonna-t-elle. 

— Scchhh, rendors-toi... 

    Elle referma aussitôt ses yeux en hocha la tête.

— A demain...

    Je me mordis les lèvres pour ravaler mes sanglots, alors qu'elle replongeai dans un profond sommeil. 

— Au revoir, petit ange...  

    Après quelques minutes qui me parurent les plus longues de ma vie, je dus quitter la chambre, sans rien d'autres que les vêtements que je portais sur le dos, des pantalons, un corset plus souple, une chemise blanche et des bottines étouffantes vu la chaleur de cet été. 

   Le valet qui m'attendait à l'extérieur m'escorta jusqu'au bureau du roi à l'étage du dessous, là où les trois Gardiens se trouvaient. Alexius et Adélaïde m'adressèrent un sourire discret tandis qu'Ezekiel restait droit comme une statue, les yeux rivés devant lui. Je me postai à côté d'Alexius, croisai mes mains devant mon bassin et suivis le roi du regard lorsqu'il s'approcha de moi. 

— Avez-vous fait vos adieux à votre sœur ? 

— Je... 

    Je poussai un profond soupir, ravalant mes émotions.

— Je ne lui ai pas dit adieu, je lui ai dit au revoir. Je reviendrai la chercher lorsque les Gardiens auront récupéré leurs gemmes. N'est-ce pas là le but de mon Titre, Majesté ? 

    Il pencha la tête sur le côté pour me dévisager. 

— Vous avez raison. Nous prendrons soin de votre petite sœur le temps de votre absence. 

 — Merci, votre Majesté. 

     Il m'adressa un sourire courtois puis s'avança vers les Gardiens. 

— Je compte sur vous pour retrouver les gemmes avant que le virus ne se propage dans ma cité. 

— Votre Majesté, grommela Ezekiel, il convient de faire évacuer la cité sur le champ. 

    Le roi s'arrêta devant Ezekiel qui gardait le menton levé, le buste droit, les mains derrière le dos. 

— Vous n'êtes ni Main du Roi, ni Conseiller, ni membre de cette cour. Vous êtes Gardien, vous obéissez aux ordres et protégez nos nations. 

— Sauf votre respect, j'ai vu de mes propres yeux le virus, il infectera les humains juste après avoir pourri tous les animaux d'élevage que vous aurez, l'eau ne sera plus potable et...

— Il suffit, gronda le roi. Vous avez une mission, une seule, celle de détruire le Nécromancien avant qu'il ne détruise notre civilisation et vous allez le faire, me suis-je bien fait comprendre ? 

    Je pus voir les mâchoires d'Ezekiel se crisper, il ravala sa fierté.

— Oui, votre Majesté. 

— Parfait, je sais que je peux compter sur vous. J'ai foi en vos pouvoirs, en vos liens à tous les quatre. Élyanore, avez-vous vu l'emplacement d'une gemme ? 

    Je déglutis, tentai de paraître sûre de moi. En réalité, je ne comprenais rien aux visions qui altéraient ma perception de la réalité. 

— Oui, le Rubis. 

— Alors vous commencerez par le Rubis. Nous vous avons préparé des chevaux, des provisions, et du linge propre. Votre quête commence dès aujourd'hui, le soleil est sur le point de se lever sur un avenir meilleur. Mes valets vous guideront jusqu'aux écuries. Merci pour vos sacrifices et votre bravoure, elle sera hautement récompensée. 


     Après la réunion avec le roi, nous dûmes suivre les valets jusqu'aux écuries à l'extérieur tandis que le ciel rosé laissait comprendre que le jour se levait, sur un nouveau soleil de plomb. Les trois Gardiens avaient leur chevaux et moi, je dus monter derrière l'un d'entre eux. Je choisis Alexius qui ne sembla pas déçu. J'entourai sa taille de mes bras, des questions pleins la tête, le cœur lourd à l'idée de quitter ma sœur avec ce sentiment constant que je l'abandonnais. 

    Il me fallait me ressaisir, plus vite nous trouvions les gemmes, plus vite je reviendrai auprès de ma sœur et plus vite encore, je rentrerai chez moi, à Novendill. 


Les Derniers Gardiens - I La Confrérie du RubisWhere stories live. Discover now