7. Le correcteur, cet outil magique

579 73 61
                                    

SOLAL

Au moment où je m'éloigne, je sais que Jaleesa ne m'a pas quitté des yeux. Je marche, sans me retourner une seule fois, et m'engouffre dans la bouche de métro. Ce n'est qu'une fois sur le quai que je me retourne. Évidemment, elle n'est pas derrière moi. Mais son visage est encore imprimé sur mes rétines : ses cheveux roux et frisés, sa bouche charnue, ses yeux surmontés par d'épais sourcils bruns – on croirait presque qu'ils sont vivants, tant ils bougent au gré de ses expressions.

Qui aurait prédit que nos chemins se recroiseraient ? Certainement pas moi. Si on m'avait dit que je reverrais Jaleesa après notre rencontre au bar, j'aurais éclaté de rire. New York est une grande ville, les chances de la revoir étaient infinitésimales. Pourtant, c'est bien elle qui a rejoint notre équipe, hier. C'est bien elle que j'ai chambrée, il y a quelques minutes. Je ne crois pas au destin, mais là... Pardon pour la vulgarité : cette coïncidence me troue le cul. Pour autant, je ne m'en plains pas. Un petit vent de nouveauté ne fera pas de mal au restaurant.

Je monte dans le métro, l'esprit ailleurs. Mis à part un homme qui écoute de la musique, le wagon est vide. Je m'affale sur un siège et étends les jambes, les bras croisés. En me ressassant ma discussion avec Jaleesa, je souris comme un con.

« — C'est un défi que tu me lances ?

— Prends-le comme tu veux. »

Comme un défi, alors. Mon petit doigt me dit que les prochains jours seront très intéressants.

Et j'ai hâte.

Je déverrouille mon téléphone pour voir si Sofía a répondu au texto que je lui ai envoyé. Chaque soir, je lui demande comment s'est passé sa journée. J'aime quand elle me raconte ses péripéties étudiantes. Contrairement à elle, je n'ai jamais connu la vie à l'université.

Sofía : J'ai passé la journée à la BU, aujourd'hui. Pas de nouvelles anecdotes :/

Sofía : Ah et maintenant que j'y pense ! Je vais passer récupérer mon briquet chez toi, demain. Je commence à 8h et il faut vraiment que je me grille une clope avant. Je serai chez toi vers 6h30, OK ?

Sofía : Je crois que je vais dormir, je suis claquée. Bosse bien, bisous !!

Moi : Pas de problème, je mettrai mon réveil. Bonne nuit et bisous.

Je règle mon alarme à six heures et ferme les yeux en attendant d'atteindre mon arrêt.

Le hall du bâtiment est vide lorsque j'y entre. Je le traverse à grandes enjambées et grimpe dans l'ascenseur, pressé de retrouver mon lit. Au moment où j'allume la lumière de l'entrée, Alfredo surgit en remuant la queue, surexcité. Même s'il aime dormir plus que tout, il guette toujours mon retour et m'accueille avec des léchouilles. Je m'accroupis, tout sourire, tandis qu'il m'aboie copieusement dessus.

— Pas si fort, Alfredo, les gens dorment à cette heure-ci.

Il se couche sur le dos, les pattes en l'air. Je lui caresse le ventre car il adore ça.

— Dis donc... Margaret te gâte avec ses biscuits. Il faut que je lui demande où elle les achète. Comme ça, tu auras les mêmes ici. Qu'est-ce que tu en penses ?

Il me regarde dans les yeux, la langue sortie, et je prends ça comme un « oui ». Je lui fais des petits bisous puis pars me servir un verre d'eau. Tout en buvant, j'admire la vue que m'offrent les fenêtres de mon appartement : la façade illuminée du bar d'en face. Celui où je passe la plupart de mes soirées en solitaire, quand j'ai besoin de relâcher la pression.

Celui où j'ai rencontré Jaleesa, la semaine dernière.

En parlant de notre rencontre, c'était du jamais vu. Un vrai bordel. Et qu'est-ce que c'était drôle ! En particulier ce moment surréaliste où des passants ont cru que je demandais Jaleesa en mariage. Elle ne l'a peut-être pas remarqué, mais j'étais à deux doigts de mourir de rire. Ses expressions faciales n'arrangeaient pas la situation, bien au contraire.

His new beginning [Terminée]Where stories live. Discover now