Chapitre 4

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Le lundi suivant, moins 4 kilos sur la balance. Rien que le fait d'avoir entamé cette démarche la rendait plus légère. Elle était aussi très fière d'elle car tous les jours, de manière méthodique, elle avait noté ses repas et était à l'objectif que lui avait fixé son médecin. Elle ne dépassait pas ses 1300 calories/jour et la composition de ses menus était plutôt équilibrée. D'ailleurs le Docteur Philippot avait peu de choses à redire sur son alimentation de la semaine passée. Ce qui permit à celui-ci de passer rapidement à l'étape suivante : aborder le côté psychologique de la chose.

Dans un premier temps, il encouragea Sarah à parler de sa famille puisque c'est toujours par-là que l'on commence.

Sarah raconta alors de manière synthétique son enfance en soulevant uniquement les côtés positifs qu'elle en avait retenu.

C'est vrai qu'extérieurement on aurait pu croire à une enfance quasi idéale d'après ce que Sarah décrivait.

Ses parents étaient encore mariés, avec des hauts et des bas mais comme dans tous les couples. Elle avait trois frères, n'avait jamais manqué de rien matériellement. Elle avait eu un cursus scolaire classique malgré un redoublement en classe de 4e qu'elle savait mérité puisqu'à cette période elle était en pleine rébellion et était déterminée à ne plus se laisser faire.

Car durant les deux premières années de collège, elle subissait du harcèlement de la part des plus fortes têtes : crachats dans son dos, moqueries sur son poids à chaque pause, abus de la part de ses « camarades de classe ». Elle en avait eu marre de porter le sac de ses soi-disant copines et d'entendre dire que si on ne l'aimait pas c'était de sa faute. Alors elle avait décidé de passer du statut de gentille petite fille naïve à celle de caïd de sa classe, allant même jusqu'à insulter ses professeurs. Du coup les avertissements de travail et de discipline tombés en fin d'année lui avaient valus de redoubler.

Mais cette nouvelle attitude lui avait permis de se faire respecter et après cela, rares avaient été les moments où elle s'était retrouvée en position de victime.

Cette période qu'elle avait affrontée avec la force et le courage qui la caractérisaient avait bien évidemment laissé des traces mais Sarah se voilait la face et pensait que tout cela était désormais derrière elle.

Le Docteur Philippot, lui, ne fût pas dupe. Autant de souffrances ne pouvaient pas être digérées aussi simplement parce qu'elle l'avait décidé, et son objectif était aussi de comprendre pourquoi sa prise de poids avait été si importante, d'où venait ce besoin de se remplir en se faisant mal.

Il était convaincu, contrairement à l'entourage de Sarah que chaque pathologie avait son homologue au niveau de l'esprit.

C'est ce qu'il chercha à savoir dès cette deuxième séance.

« Vous me dîtes que vous vous entendez bien avec vos parents malgré un passage un peu compliqué avec votre père à l'adolescence, mais comment se fait-il que vos parents n'aient pas réagi à toute la violence que vous subissiez à l'école ? » interrogea le médecin.

Sarah regarda en l'air et réfléchit.

« et bien... ce n'est pas tout à fait vrai ce que vous dites. Ma mère a pris le problème à bras le corps. Elle m'a emmené voir différents spécialistes, mais de toute façon je cachais tout à tout le monde. On ne pouvait donc pas vraiment m'aider » répliqua Sarah.

« D'accord, je vois. Mais justement pourquoi n'avoir rien dit à votre mère, pourquoi ce manque de confiance si vous vous entendiez si bien ? »

Sarah se sentait un peu gênée... sûrement parce qu'elle savait inconsciemment que sa question allait soulever des problématiques qu'elle avait toujours refoulées.

« Vous n'allez quand même pas me dire que si je suis obèse c'est à cause de mes parents » répondit Sarah sur un ton légèrement agacé.

« Pas du tout, mon rôle c'est de comprendre, pas de juger qui ou quoique ce soit. Je ne doute pas que tu arrives à changer physiquement, mais si tu ne connais pas la cause de ton obésité, ce problème reviendra à coup sûr comme les fois passées. Ta mauvaise alimentation est un simple symptôme d'un mal être que tu ressens. Je veux tenter de comprendre d'où vient ce mal être » expliqua-t-il.

Sarah se radoucit car le raisonnement qui venait d'être exposé résonnait dans tout son être.

Elle fit une pause. Elle sentait les larmes monter et comme elle le faisait à chaque fois, fit tout pour les retenir.

D'un ton fébrile elle reprit : « Je n'ai jamais rien dit à ma mère car je ne voulais pas lui causer plus de problèmes qu'elle n'en avait déjà. »

Son regard se posa sur le sol. Un regard triste, évoquant un malaise douloureux qui en disait long sur sa souffrance.

« Elle est fragile vous savez, elle n'a pas toujours eu la vie facile. » continua-t-elle.

Elle sentait qu'il serait bénéfique de se laisser aller. Elle avait besoin de laisser couler ces larmes trop longtemps retenues, ces larmes qui s'étaient cristallisées et qui d'année en année transformaient sa personnalité si douce au demeurant.

« Et puis, mon père était très absent car il travaillait beaucoup et elle faisait tout à la maison sans avoir beaucoup de reconnaissance. »

« Mon père n'est pas quelqu'un de facile à vivre vous savez. Il se met facilement en colère et effraie beaucoup de monde. Même mes copines ont peur de lui ».

« Alors c'est vrai que pour la protéger je ne disais rien. J'avais comme une double personnalité : je feignais la jeune fille souriante et positive mais je m'enfermais rapidement dans ma chambre pour me laisser lentement ronger par les souffrances vécues à l'école. Je ne pouvais pas l'inquiéter car je l'aime trop pour ça, vous comprenez ? ».

Le Docteur Philippot pris un regard empathique, mais ne se laissa pas désorienter :

« Penses-tu que c'est à l'enfant de protéger son parent ? » lui demanda-t-il.

Sarah ne pu répondre. Elle éclata en sanglots. Sa voix tremblait trop pour qu'elle puisse s'exprimer.

Le médecin la laissa quelques instants, lui proposa un mouchoir puis reprit :

« Je vois que tout cela te touche. Peux-tu me dire ce que tu ressens si tu en es capable ? ».

« Ça me rend triste pour elle car elle est gentille et généreuse. Elle ne mérite pas ça. Je lui ai même conseillé de divorcer quand il était trop méchant avec elle. J'étais souvent présente lorsqu'elle pleurait. Je ne pouvais pas la laisser seule car je la comprenais. Je trouvais tout ça tellement injuste ! » dit-elle avec colère.

Elle continua de sangloter. La séance touchait à sa fin et le Docteur Philippot proposa d'en rester là pour aujourd'hui, ce que Sarah valida d'un hochement de tête.

Sortie du cabinet, Sarah s'installa sur le siège de sa voiture. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle avait mal. Au fond de sa gorge elle sentait une chaleur intense qui insistait pour sortir. Elle avait envie de hurler, de crier de douleur. Aucune blessure apparente mais elle avait mal. Ses tripes la suppliaient mais elle était dans l'incapacité de mettre des mots sur ce que tentait d'exprimer son corps.

Elle s'effondra, le front sur le volant et pleura à chaudes larmes, se regardant de temps en temps dans le rétroviseur, observant la détresse qui émanait de son visage si jovial habituellement.

Puis, elle se ressaisit, le coeur un peu plus léger et sentit le besoin de compenser. Mais pas en s'empiffrant pour une fois. Non, il fallait que ça sorte et qu'elle arrête de réprimer ce qu'elle ressentait. Elle commençait seulement à comprendre.

Cela lui demanda beaucoup d'efforts mais elle se força à enfiler sa tenue de sport et ses baskets quasiment neuves, dont elle ne s'était jamais servies, son physique ne lui permettant pas d'aller se dépenser avec aisance et plaisir.

Les premières foulées furent très difficiles mais sa rage l'emporta pour ne pas faiblir et elle réussit à courir 30 minutes. Elle pouvait être fière d'elle et ce nouveau pas vers la santé décupla sa motivation à continuer le travail qu'elle venait tout juste d'entamer avec le Docteur Philippot.

LA REVOLUTION DU TOURNESOLWhere stories live. Discover now