Chapitre 6

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Elle continua son petit train de vie, la même routine mais le coeur et le corps plus légers et ce de jour en jour. La reprise d'une activité sportive régulière et l'alimentation saine qu'elle avait mis en place commençait grandement à porter ses fruits : déjà 15 kilos de perdus. Il lui en restait encore une bonne trentaine pour arriver à son objectif, mais les remarques positives qu'elle entendait de la part de son entourage et de ses collègues lui donnaient de l'entrain. Elle changeait extérieurement et intérieurement et commençait à rayonner de nouveau. Ce rayonnement n'avait jamais totalement disparu car malgré son physique désavantageux, on lui
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avait toujours dit qu'elle avait un très beau visage. Et en réalité, c'était plus que ça. Ses traits étaient fins, ses yeux marrons exprimaient vivacité et malice, sa bouche pulpeuse et sensuelle était parfaite comme si quelqu'un avait pris le temps de la dessiner et son sourire affichait de belles dents blanches bien alignées. Sa mère lui disait toujours pour la rassurer : « mieux vaut être grosse et avoir un joli visage plutôt que moche et mince car le visage, c'est pour la vie ! »
Mais là, ses yeux brillaient davantage, on pouvait voir qu'elle était mieux dans son corps. Elle dégageait plus d'assurance. Elle s'était achetée de nouveaux vêtements moins larges, et commençait même à flirter avec un de ses collègues, qui lui avait l'air d'apprécier ses rondeurs.
Puis un lundi, en séance, alors qu'elle commentait son journal alimentaire, elle s'arrêta sur ce qu'elle nomma un « incident de parcours », même si celui-ci n'avait pas eu d'impact sur sa perte de poids hebdomadaire. Le Docteur Philippot la questionna sur la situation qui avait déclenché l'envie de manger en quantité déraisonnable.
« J'étais invitée chez mes parents. C'était l'anniversaire de mon frère. Tous mes frères étaient là, et d'autres membres de la famille. J'avais prévu de me faire plaisir en limitant les quantités mais je ne sais pas ce qui s'est passé, rapidement, j'ai eu envie de me remplir. Alors j'ai pris tout ce que j'avais à ma disposition : fromage, pain, barres chocolatées. Je culpabilise beaucoup mais je vous assure que c'était une envie irrépressible. Comme avec le tabac d'ailleurs ».
« Y a-t-il eu un évènement ce jour-là qui t'aurait contrariée ? » demanda le Docteur Philippot.
« Et bien non justement... l'ambiance était au beau fixe, tout le monde riait et se racontait sa vie autour de la table. Je me souviens juste que j'ai ressenti une forme d'appréhension une fois arrivée là-bas. Quelque chose d'intangible. Je n'étais pas à l'aise »
« Te sentais-tu à ta place ? » enchaîna-t-il.
« Oui... enfin, je ne saurais pas vous dire. Je ressentais un stress peu intense mais maintenant que vous me posez la question, je suis sûre que je me suis jetée sur la nourriture pour le faire taire. » répondit Sarah d'un air inquiet.
« Ce sont de bons indices qui vont nous permettre de mettre en lien l'ingestion de nourriture en excès et leurs causes... » rassura le médecin d'un ton professionnel.
« ...reste à savoir d'où venait ce stress... » poursuivit-il.
« Mais je ne sais pas justement » trépigna Sarah.
« Rassure-toi », dit-il, « je te propose de noter toutes les situations où tu ressens ce stress qui te pousse à manger trop. Cela va nous permettre de voir s'il y a des corrélations entre les différents épisodes. Est-ce que ça te convient si on procède comme cela ? »
« Oui, je trouve que c'est une bonne idée » acquiesça la jeune femme.
La séance prit fin et Sarah resta pensive. Pourquoi serait-elle stressée de se retrouver en famille ? Elle aimait plus que tout ses frères et ses parents même si leurs relations avaient pu être compliquées dans le passé. Peur de quoi ? Son père ne levait plus la main sur elle depuis ses douze ans lorsqu'elle s'était rebellée en le provoquant et en demandant à se faire mettre une claque, sa mère restait fidèle à sa douceur, ses frères l'entouraient de sympathie et d'encouragements. Non, vraiment elle n'arrivait pas à faire de lien pour le moment.
Elle laissa ses interrogations de côté car ce soir elle avait un rendez-vous. Un rendez-vous différent de ceux qu'elle avait pu expérimenter jusque-là. Alors que ces dernières années n'avaient été que manipulations pour profiter de sa gentillesse et de son corps, elle avait invité chez elle ce nouveau collègue qui avait l'air sensible,
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doux et sympathique. Il s'appelait Julien. Il était plus vieux de 7 ans et sa timidité lui donnait un charme qui faisait littéralement craquer Sarah.
Il était très fin, presque maigre mais Sarah, paradoxalement, était toujours attirée par ce genre d'homme. Ses cheveux étaient blonds, ses yeux bleus très clairs et il n'était pas très grand, bref tout l'opposé de la jeune femme.
Ce soir-là, Sarah était aux anges. Julien avait fait preuve de prévenance en lui apportant un bouquet de roses, il l'avait complimentée sur le repas qu'elle avait préparé et dans l'intimité il avait su faire preuve d'une grande douceur. En sus de toute cette galanterie, elle sentait que son physique ne le dérangeait pas du tout. Pour la première fois de sa vie de jeune femme, elle avait une vraie relation, tous les deux avaient une envie commune d'être aimés, d'aimer et de se respecter avec un désir sincère de se projeter ensemble et de partager la vie de l'autre.
Le lendemain, de retour au travail où ils se rendirent ensemble, au fond d'elle, Sarah sautait de joie. Enfin la vie commençait à lui sourire.
Elle s'était pourtant toujours considérée comme chanceuse malgré les défis auxquels elle avait dû faire face. Elle sentait, mais plus qu'un ressenti, elle savait que quelque chose de plus grand la protégeait, une sorte d'ange gardien qui lui soufflait à l'oreille depuis son enfance des encouragements, qui lui redonnait espoir dans les moments les plus critiques.
Mais là, c'était différent. Elle vivait et était aujourd'hui habitée par ces changements positifs, bien décidée à poursuivre son chemin dans ce sens.
Il était très agréable pour ce nouveau couple de se retrouver ensemble sur la même plateforme téléphonique. Julien était lui aussi téléconseiller et ils travaillaient l'un à côté de l'autre, avec exactement les mêmes horaires.
Au fil des jours, il se révéla être un homme fiable, prônant des valeurs qui rassuraient Sarah qui avait de plus en plus confiance en lui. Julien dormait quasiment tous les soirs chez elle et malgré leurs différences ils s'entendaient plutôt bien.
Lui vivait encore chez ses parents dans une de ces nouvelles résidences des années 90 où les familles se côtoyaient régulièrement et où les enfants avaient grandi ensemble et suivi la même scolarité. Il avait donc plein d'amis avec qui il adorait passer des soirées autour d'un burger, en regardant un match de football à la télévision. Ils se retrouvaient le dimanche matin sur le terrain de football de leur résidence pour jouer ensemble et partaient en week-end de temps à autres.
Bref, encore une fois, tout l'opposé de Sarah qui avait en tout et pour tout 2 amies avec qui elle partageait ses histoires de coeur mais pas réellement sa vie intérieure. Elle ne dévoilait que ce qu'elle voulait bien dire. Au quotidien, son entourage amical se cantonnait à ses collègues de travail qui l'admiraient beaucoup pour sa joie de vivre, son professionnalisme et son écoute. Sarah, par son manque de fidélité dans ses relations, avait peu de monde avec qui partager sa vie, mais cela lui convenait. Et puis pour être entourée, elle avait ses frères et leur bande de copains. Ceux-là donnaient à Sarah l'impression d'avoir une vie sociale normale.
La deuxième passion de Julien était le golf. Il y jouait régulièrement puisque la résidence bourgeoise au sein de laquelle il avait grandi mettait à disposition un terrain de 18 trous.
Rapidement, Sarah fit connaissance de son entourage. Julien la présenta à sa famille qui lui fit un accueil chaleureux.
Les parents de Julien étaient à la retraite et malgré leur niveau de vie élevé, ils avaient su rester des gens simples et accessibles. Sarah sentait qu'elle était appréciée, ce qui solidifia d'autant plus leur relation, car pour elle la famille était une valeur primordiale.
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La mère de Julien, Dominique, avait un cancer des os. C'était une femme très maigre mais qui restait positive et souriante malgré l'usure que renvoyait son visage fatigué. Son père, passionné par l'Afrique et ancien vétéran passait le plus clair de son temps à regarder la télévision, et quand il quittait son écran, il prenait beaucoup de plaisir à taquiner les membres de sa famille avec des blagues bien à lui.
Sarah aimait beaucoup sa « belle-mère » car elle sentait son extrême sensibilité qui la touchait. Elle peignait des toiles aux couleurs chaudes. Il s'en émanait toute la délicatesse et la bonté de Dominique et simultanément une souffrance palpable qui nourrissait Sarah. Elles prirent rapidement l'habitude de s'asseoir ensemble autour d'un café pour échanger sur l'intention et le contenu de ses peintures.
Les artistes la faisaient rêver, elle qui avait toujours voulu en être une, elle qui n'avait jamais su dessiner, ni peindre, enviait ces personnes qui savent exprimer librement leur créativité, qui ont le don pour inventer et pour se laisser guider par leur intuition.
« Tu as l'air passionnée par la peinture » constata rapidement Dominique, « pourquoi n'en as-tu jamais fait ? »
« Oh vous savez, je n'ai pas de beaucoup de talent donc je préfère me laisser submerger par les créations des autres. Et puis je suis nulle en dessin, je n'ai aucune notion des perspectives, ni des proportions et ce que j'ai pu produire dans le passé relève plutôt d'un niveau CP. » répondit Sarah sur un ton amusé.
« Personne n'est nul quand il s'agit de créativité, » rétorqua Dominique « chaque être a son propre génie quand il s'agit d'art. Tu es une jeune femme très intelligente et sensible. J'ai du mal à croire que tu ne puisses pas créer de belles choses. Certes la technique s'apprend, mais tu n'es pas obligée de réaliser des choses très techniques. Commence par prendre les couleurs qui t'inspirent et laisse ta main se poser sur la toile où elle le décidera. Il y a de grands artistes qui n'ont rien représenté de tangible et dont les oeuvres ont pourtant fait parler d'elles ! » insista-t-elle.
« Oui je sais bien, mais je suis comme paralysée quand on me demande de créer quelque chose... j'ai une sorte de bavardage mental qui juge en permanence et du coup je n'arrive pas à créer librement comme vous l'évoquez. »
« Tu dois apprendre à te faire confiance et à faire taire le redresseur de torts qui s'agite dès que tu te mets en action. Peut-être qu'un art thérapeute pourrait t'accompagner sur le sujet. J'en connais une près d'ici, elle fait partie de mon atelier et elle m'a toujours donné de très bons conseils pour mes toiles ».
« Oui je veux bien ses coordonnées » répondit Sarah, sachant très bien qu'elle n'allait pas la contacter mais plutôt en parler avec le Docteur Philippot le lundi qui suivait.
Julien lui, n'était nullement intéressé par leurs discussions de filles et préférait largement en profiter pour passer du temps avec ses amis. Mais cela ne gênait aucunement Sarah qui était centrée sur son régime et sa thérapie, et qui se contentait de sa présence rassurante et du fait qu'elle était en couple. Seul cela lui importait, il n'y avait pas de place pour une autre remise en question.

LA REVOLUTION DU TOURNESOLWhere stories live. Discover now