Chapitre 8

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La semaine suivante Sarah lui proposa d'espacer les séances hebdomadaires car elle venait d'avoir une promotion et allait devoir travailler à temps complet, elle souhaitait garder plus de temps pour elle, d'autant plus que le besoin de suivi était désormais moins présent. Ses habitudes alimentaires installées, le moral au beau fixe, un homme à ses côtés, et maintenant un travail plus intéressant et mieux rémunéré, Sarah se sentait épanouie et joyeuse et avait moins envie de se torturer en séance. D'ailleurs ce jour-là, à part l'annonce de son évolution professionnelle, elle ne savait pas trop quoi dire au Docteur Philippot.
« Moi je suis ok avec ça si c'est ce dont tu as besoin Sarah. Est-ce qu'un rendez-vous toutes les deux semaines te conviendrait ? » proposa le médecin.
« Oui c'est parfait » répondit Sarah.
« Et à part ça, tu continues à aller courir ? »
« Oui, mais un peu moins car je commence à avoir un peu mal au dos. Et puis avec ce nouveau travail, je ne vais pas pouvoir aller courir le matin comme je le faisais et je n'aime pas faire mon footing alors que la nuit tombe. Il y a bien la piscine, d'autant que je sais très bien nager mais je n'arrive pas à me motiver à y aller seule. Et mes copines ne font pas de sport... »
Le Docteur Philippot réfléchit un instant puis lança à Sarah : « Ecoute Sarah, je n'ai pas l'habitude de proposer ça mais ma femme va à la piscine toutes les semaines. Peut-être qu'elle serait d'accord pour que vous y alliez ensemble ? »
Sarah n'était pas ravie à l'idée de faire une nouvelle rencontre, surtout la femme de son thérapeute mais comme elle avait beaucoup de difficultés à dire non, elle accepta par politesse.
Ils convinrent ensemble que les deux femmes se contacteraient pour fixer les modalités malgré les résistances intérieures de Sarah.
Quelques jours plus tard, après un échange par texto, Sarah avait rendez-vous avec Elise, la femme du Docteur Philippot.
C'était un mardi soir, Sarah n'avait aucune envie de retrouver Elise car malgré le travail effectué ces derniers mois et son changement radical de morphologie, elle vivait toujours chaque nouvelle rencontre avec appréhension... toujours cette boule au ventre qui lui faisait mal. Elle redoutait de devoir s'exposer au regard de l'autre et à ses jugements. Elle redoutait d'être elle-même et de décevoir l'autre comme si autrui pouvait avoir un quelconque pouvoir sur elle.
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De plus, elle trouvait vraiment étrange qu'un professionnel de santé puisse la mêler à sa vie privée. En y réfléchissant, elle trouva cela malsain et annula sa séance de piscine avec Elise, prétextant ne pas se sentir bien ce soir-là.
Et de nouveau, elle entra dans des cogitations sans fin... ce que lui avait dit le Docteur Philippot la semaine passée à propos de sa famille et des changements qui devraient s'opérer concernant sa vie puis maintenant cette proposition qui la faisait entrer doucement dans la vie de son thérapeute. Elle l'appréciait beaucoup mais elle trouvait que tout cela allait bien trop loin et qu'il y avait quelque chose de dérangeant qui planait.
Aussi, elle décida de prendre un peu de recul face à la situation et annula la séance prévue deux semaines plus tard avec le Docteur Philippot. Facile pour elle, car elle était tombée sur son secrétariat et n'avait pas eu à expliquer le pourquoi de l'annulation.
De toute façon elle pouvait continuer seule son régime désormais, et pensait avoir fait le tour des raisons qui la poussaient à manger en excès. Elle ne voyait plus l'intérêt de continuer à prendre du temps pour être accompagnée par une personne en qui elle n'avait plus confiance de surcroit. Aujourd'hui, elle était plus préoccupée par son nouveau job qui allait lui demander plus d'investissement personnel et professionnel.
Cette promotion était arrivée sans qu'elle ne s'y attende. Il y avait eu une création de poste au sein même du centre de relation clients dans lequel elle travaillait et n'y avait même pas prêté attention. Un jour alors qu'elle était en plein travail, sa responsable lui demanda de venir dans son bureau.
Cet entretien, qui n'était pas prévu, surprit Sarah qui n'avait pas l'habitude de se faire convoquer. Ses chiffres de production étaient les meilleurs de toute l'équipe. Elle était assidue et travaillait tellement vite qu'on lui confiait de petites responsabilités pour optimiser son temps de travail.
C'est autour d'une cigarette que Valérie, son superviseur, lui demanda pourquoi elle n'avait pas postulé à l'offre qui venait de paraître. Sarah fut très étonnée par cette question étant donné que cette idée ne l'avait même pas effleurée.
Mais Valérie tout aussi surprise insista sur le fait que Sarah était une personne très appréciée avec de nombreux savoirs faire mais aussi dotée de grandes qualités relationnelles et que pour elle, il ne faisait aucun doute qu'elle était faite pour ce poste.
Chaque responsable devait désigner une personne de sa propre équipe qui pourrait se présenter à l'entretien de recrutement. Et Valérie avait en tête le profil de Sarah. Mais Sarah ne se voyait pas comme ça. Certes, elle performait sur la prise d'appels et la saisie des mails, elle accompagnait les nouveaux collaborateurs et elle savait qu'on lui faisait confiance, mais de là à prétendre à un poste de responsable il y avait là un gros décalage de perception.
Flattée par cette proposition qu'elle se hâta d'accepter, elle s'était présentée à l'entretien avec le directeur du centre d'appels et se démarqua par ses qualités d'expression et son authenticité. Sarah n'avait jamais fait de management, ça lui faisait d'ailleurs très peur, mais les motivations qu'elle exposa, centrées principalement sur l'accompagnement humain avaient convaincu immédiatement son supérieur hiérarchique, malgré les anciennes collègues du plateau qui avaient à première vue toutes leurs chances.
Elle accompagnait désormais une équipe de 15 téléconseillers et devait quotidiennement assurer le suivi de l'activité et donc manager plus de 40 personnes. Malgré les tentatives des plus anciennes pour la piéger dans les domaines où elle manquait de compétences, son humilité et sa capacité à se remettre en question lui permettaient de gagner en expertise et elle fut rapidement la responsable la plus appréciée du plateau.
Il faut dire qu'elle avait le don pour écouter et remotiver les gens. Son expérience précédente lui permettait d'être empathique en comprenant leur situation. De plus, elle n'adoptait pas la posture directive de la plupart de ses homologues, peu appréciée des équipes.
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Ce qui lui plaisait, c'était la diversité des missions qui ponctuaient son planning. Un jour superviseur de plateau, un autre, formatrice, puis un autre coachant individuellement ses anciens collègues, Sarah prenait de plus en plus confiance en elle.
C'était sans compter sur la présence de Julien sur son lieu de travail.
Parallèlement, ils avaient décidé de vivre ensemble pour s'installer dans un grand appartement puisque le nouveau salaire de Sarah le leur permettait.
Tout allait bien, Julien n'était pas difficile à vivre et Sarah était aussi très complaisante. Mais la routine s'installa rapidement et Sarah n'était pas à l'aise avec cela.
Elle était de plus en plus entourée car reconnue au sein de son entreprise, elle faisait un travail dont elle était fière de parler, car socialement elle pouvait dire qu'elle commençait à faire carrière. Elle vivait en couple, bref la vie dont elle avait toujours rêvé.
Mais ses accès de boulimie restaient parfois incontrôlables. Elle faisait attention en permanence à ce qu'elle mangeait mais souvent, le soir elle se jetait sur les paquets de gâteaux que Julien pouvait, quant à lui, se permettre de manger sans prendre un gramme. Cela la faisait beaucoup culpabiliser. Chaque matin, elle scrutait la balance et avait l'impression d'avoir grossi quand elle affichait 200 grammes de plus et doublait ses séances de sport pour compenser.
Ça devenait une véritable obsession. Elle se regardait en permanence dans le miroir et les variations de son poids pouvaient lui gâcher une journée entière. Son physique était toujours au centre de son attention et elle savait que rien n'était réglé mais elle se laissait vivre dans cette zone de confort qui la rassurait.
Parfois elle avait l'impression que son corps ne lui appartenait pas, qu'elle n'était que l'ombre d'elle-même. Elle partait dans ses pensées au beau milieu d'une conversation, se cognait souvent sans s'en rendre compte... Malgré son corps qui répondait de plus en plus aux critères de beauté imposés par la société, elle ne l'aimait pas et s'obstinait à l'oublier et à le faire souffrir.
Toutes ces préoccupations, elle n'en faisait jamais part à son homme qui avait l'air d'être complètement indifférent à son évolution physique, voire même la désirait de moins en moins, ce qui ne posait aucun problème à Sarah puisque le sexe l'intéressait peu. D'ailleurs ça l'arrangeait que leurs soirées se cantonnent à se raconter leur journée et à fumer des joints pour se détendre.
Au fil des mois, Sarah continuait doucement à perdre du poids. Elle pensait parfois au Docteur Philippot avec nostalgie car pour la première fois de sa vie elle avait pu échanger sur ses problèmes et établir une relation de confiance.
Il y avait bien sa tante, Hélène qui l'écoutait beaucoup mais Sarah avait tendance à lui téléphoner uniquement quand elle allait mal et qu'elle avait besoin de conseils. Elle ne lui avait jamais honnêtement parlé de sa boulimie qui était réduite aux yeux de tous à de la simple gourmandise et avec du recul voyait bien qu'entre ce qu'elle lui racontait et la vraie nature de sa vie intérieure, il y avait un monde.
Il y avait aussi sa meilleure amie Sophie avec qui elle passait des heures à discuter mais avec qui elle n'avait jamais honnêtement parlé de ses problèmes de nourriture.
Au moment de leur rencontre, à son entrée en école d'infirmière, Sarah avait littéralement eu un coup de foudre pour Sophie. Dès le premier jour, sa personnalité avait attiré Sarah comme un aimant. Il faut dire que Sophie n'avait pas non plus sa langue dans sa poche et que son authenticité laissait transparaître une personne sincère et spontanée, des traits de caractère qui plaisaient beaucoup à Sarah.
Rapidement elles avaient noué une très forte amitié. Elles s'étaient raconté leurs vies respectives et s'étaient trouvé de nombreux points communs, notamment sur leur vision de la vie. Pour la première fois, Sarah côtoyait une amie qui lui ressemblait. Physiquement elles n'avaient rien à voir, mais la manière dont elles pensaient et
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raisonnaient était étonnamment similaire. Toutes les deux prenaient les études à la légère et voulaient avant tout profiter de la vie et des moments passés ensemble. Sophie était bien plus délurée que Sarah, qui à l'époque sortait à peine de l'enfance. Elle qui, à 18 ans, ne buvait pas, qui s'était toujours promis de ne jamais toucher à quelque drogue que ce soit, qui culpabilisait quand elle mentait à sa mère, avait rapidement perdu sa naïveté aux côtés de son amie. Elles s'étaient mises à fumer des joints à chaque pause déjeuner après avoir mangé un burger dans leur voiture et étaient très indisciplinées pendant les cours. Elles s'amusaient beaucoup, défiant l'autorité de la direction de l'école qui voulait faire de ses élèves infirmiers des clones. Leur soutien mutuel leur avait permis de passer deux ans à bachoter pour assurer la moyenne aux examens continus, d'affronter les périodes de stage avec un peu plus de légèreté pour finalement abandonner leur projet quasiment au même moment.
Sophie s'était réorientée vers une carrière sociale, et malgré cela, elles avaient su rester en contact et continuaient de partager leurs joies et leurs déceptions.
Depuis quelques temps, elles se voyaient un peu moins, toutes deux prises dans le flot de leurs vies professionnelles et amoureuses. D'autant plus que Sarah sentait bien que plus elle s'amincissait, plus Sophie changeait de regard sur elle. Sarah se demandait si son amie allait continuer à l'aimer alors qu'elle restait pourtant simple et fidèle à ses valeurs. Elle se renfermait de plus en plus, partageant de moins en moins ce qu'elle ressentait de peur que Sophie la juge.
Paradoxalement, Sarah faisait tout pour avoir une vie sociale riche tout en ressentant un vide intérieur pernicieux qui ne faisait que croître.
Les quelques moments où elle se sentait en sécurité et où elle pouvait être réellement elle-même restaient insatisfaisants. Ce n'est pas une vie que de s'isoler pour se mettre devant un écran et tenter d'étouffer ses souffrances en se droguant.
De jour en jour alors qu'elle devenait une belle jeune femme et qu'elle commençait à toucher du doigt son rêve d'adolescence, celui d'être comme tout le monde physiquement, elle se rendait bien compte que ses angoisses étaient toujours présentes et que peu de choses arrivaient à la satisfaire.
Sarah était de plus en plus sollicitée, notamment par ses anciens collègues de travail, pour ses grandes qualités humaines et son énergie qui rayonnait autour d'elle comme un soleil réconfortant. Tout le monde cherchait sa présence car Sarah était toujours de bons conseils et n'avait aucun mal à les comprendre. Plus que comprendre, elle pouvait presque lire en eux et terminer leurs phrases.
Mais, elle commença à se sentir envahie, recherchant de plus en plus la solitude, même à son travail. Elle supportait difficilement les personnes qui se confiaient mais qui ne prenaient pas leur vie en main, ces personnes qui disent constamment « oui mais... » et qui restent inactifs lorsqu'on leur apporte des solutions. Son égo lui, était pourtant très flatté de ces situations ... Elle avait réussi à renverser la vapeur mais cela la laissait de marbre.
Malgré tout, Sarah avait passé un cap de sa vie. Celui de s'affranchir du regard des autres, celui de s'entourer de personnes qui la respectent, le cap qui amorçait pour Sarah un aboutissement mais qui en réalité n'était que l'étincelle qui annonçait le début d'une renaissance.

LA REVOLUTION DU TOURNESOLWhere stories live. Discover now