Chapitre 5

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Le lundi suivant, la balance affichait encore 1.5 kilo en moins. Sarah était fière de dire qu'elle était allée courir un jour sur deux et qu'elle avait tenu son journal alimentaire quotidiennement. Elle prenait ses médicaments sérieusement même si elle ne voyait toujours pas l'intérêt de ceux-ci. Mais cette joie exprimée fut de courte durée.
Le médecin la félicita tout en émettant quelques réserves en précisant que nous n'étions qu'au début du processus et que selon lui elle ne voyait que la partie visible de l'iceberg.
Sarah en était maintenant consciente et acquiesça aux propos du Docteur qui, avec pugnacité, la relança sur le sujet de la semaine passée.
« La dernière fois tu me parlais du caractère compliqué de ton père. Peux-tu m'en dire plus ? Comment se comportait-il avec toi et tes frères ? » demanda-t-il.
Sarah, mal à l'aise, hésita puis décida d'être transparente. Après tout, jusque-là, cet homme l'avait aidée à apporter des changements positifs dans sa vie, alors autant tout raconter, quitte à se sentir déloyale envers son père.
« Et bien... vous savez mon père n'a pas eu la vie facile lui non plus... » Elle avait déjà analysé le parcours de son père, ce qui lui permettait d'expliquer ses comportements.
« ... comme je vous l'ai dit, il travaillait beaucoup. Il rentrait donc tard le soir et le week-end lui permettait de décompresser. Nous partagions peu de choses en réalité. Il avait besoin de temps pour lui car ses semaines étaient éreintantes. Mais nous étions habitués... »
« Du coup, c'est vrai qu'il s'énervait rapidement et souvent. Plus jeune, il lui arrivait de nous frapper. C'est pour ça qu'on avait peur de lui. On savait que si on allait trop loin, sa colère s'abattait sur le premier qui était de la partie. Et c'est vrai qu'il n'y allait pas de main morte ; heureusement que ma mère était là pour faire le tampon car ça pouvait aller loin » termina-t-elle.
« Quand tu dis que ça pouvait aller loin, qu'as-tu vécu concrètement ? » demanda le Docteur, intrigué.
« Et bien je me souviens qu'il avait acheté un martinet pour le chien et qu'il lui est arrivé de s'en servir sur un de mes frères qui était un peu sa tête de turc. Heureusement qu'une fois encore ma mère était là pour dire stop. Elle a jeté le martinet. »
Sarah racontait cela comme si ce genre de comportement était totalement normal.
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« Et puis je me souviens d'un épisode qui reste encore très choquant pour moi. » poursuivit-elle.
« Oui ... » ponctua le médecin.
« Un jour alors que nous étions en train de jouer dans la galerie d'un grand supermarché, mon frère, Yannick, le 3ème de la fratrie, sa tête de turc donc, s'est pris une table en plein dans les dents. Son visage était ensanglanté. Ses dents défoncées par le coup qu'il venait de se prendre. Mes parents étaient encore en train de faire la queue à la caisse et quand nous sommes allés les voir pour leur exposer le problème, mon père était tellement en colère qu'il l'a frappé violemment au visage alors qu'il était déjà bien amoché. Je m'en souviens comme si c'était hier, le pauvre il devait déjà avoir tellement mal. Nous avons tout de même fini à l'hôpital pour soigner ses dents ».
Une fois ces mots prononcés, Sarah s'arrêta, puis comme elle le faisait souvent trouva des excuses à son père.
« Il a un bon fond vous savez. C'est juste qu'il a du mal à gérer sa colère. En même temps ma grand-mère lui en a fait voir aussi. Il doit beaucoup souffrir pour en être arrivé là. »
Le médecin hésita un instant. Il savait qu'il y avait une brèche.
« Penses-tu qu'il est normal de frapper ses enfants, même si l'on est très en colère ? » demanda-t-il.
« Non, enfin...nous n'étions pas des enfants battus tout de même. Rien à voir avec le père qui tape sur tout ce qui bouge quand il rentre bourré du bistrot » dit-elle pour alléger ses propos.
« Tu ne réponds pas à ma question Sarah. Est-ce que toi, quand tu auras des enfants et que tu seras en colère contre eux, tu pourrais les frapper ? »
Sarah réagit, véhémente : « Ah non ça jamais, c'est certain !!! ».
« Donc tu ne trouves pas ça normal de frapper des enfants ? »
« NON !... Mais où voulez-vous en venir à la fin ? » répliqua Sarah avec une pointe de colère.
« Ce que je tente d'éclaircir », répondit le Docteur Philippot, « c'est ton rapport à la violence, ce que ça a pu provoquer en toi ; toi la petite fille sensible et fragile de l'époque... »
« ...Si je te dis que peut-être tu aurais pris du poids pour te protéger, pour être forte face à cette violence. Que cela t'évoque -il ? »
« ... d'ailleurs on dit aussi que tu es forte pour éviter le mot « grosse » ou « obèse n'est-ce pas ? ... »
Il la laissa réfléchir.
« Oui, c'est peut-être une explication » dit-elle.
La séance se termina sur cette ouverture qui laissa Sarah interrogative. Ce que venait de lui dire le Docteur Philippot résonnait en elle, mais seulement partiellement. Il y avait là un côté logique, presque indiscutable mais Sarah sentait que la source de ses problèmes était bien plus profonde.
Et ce n'est que quelques séances plus tard que son sentiment se confirma.

LA REVOLUTION DU TOURNESOLWhere stories live. Discover now