Chapitre III

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— Oui, entrez !

Quand Charlie entendit son patron, elle s'empressa d'ouvrir la porte, son nouvel article en main. En entrant dans le bureau, elle eut du mal à s'adapter à la pénombre de la pièce. A dix sept heures, le soleil était déjà retombé et Thierry ne l'avait même pas remarqué. Ainsi, l'écran de son ordinateur et sa lampe de bureau étaient les seules sources de lumière qui éclairaient encore la salle.

— Ah, Charlie ! Vous venez pour le nouvel article ?

— C'est ça, je l'ai terminé il y a deux minutes. Je tenais à ce que vous le voyiez pour me donner votre avis.

L'homme au crâne dégarni et à la peau foncée tendit son immense main, et la jeune femme y glissa le fruit de son travail. Pendant que les yeux du patron parcouraient rapidement le document, Charlie en profita pour allumer discrètement la lumière et se mit à se mordre la lèvre en attendant le verdict. Finalement, Thierry fronça les sourcils un instant, sourit légèrement puis se retourna vers son employée.

— C'est pas mal.

— Pas mal ? Vous attendiez... quelque chose de plus ?

— Non, non, c'est vraiment bien. Le travail est là, il y a de la rigueur, mais je ne retrouve plus vraiment cette passion... toi qui la partageais tant dans tout ce que tu écrivais.

— Oh... C'est peut-être à cause du sujet, j'ai eu un peu plus de mal que d'habitude.

— Je ne pense que pas que ce soit le sujet...

En lançant cela, le patron se redressa sur sa chaise et délogea ses lunettes de son nez pour planter ses yeux noirs dans ceux de Charlie.

— D'autant plus que tu en étais tout à fait capable. Non, ce qui me dérange, c'est que ce n'est pas la première fois que je me rends compte de ce détail. Dans tes textes, il n'y a plus d'ambition, plus de joie de vivre depuis quelques temps. Quelques mois, je dirais. J'ai l'impression que tu t'éteins, petit à petit. Quelque chose ne va pas, d'un point de vue personnel ? Ou professionnel, d'ailleurs.

En entendant cela, la jeune blonde sentit sa paupière tressauter, et elle ouvrit la bouche sans lâcher un mot. Elle n'avait rien dit au sujet d'Ezra à Thierry, tout simplement parce qu'elle avait peur qu'il l'empêche de travailler pour se remettre de cet événement. Elle avait réellement besoin de ce travail, ou bien elle ne pourrait plus subvenir à ses besoins financiers. Et ce serait le retour vers la case « parents »... Ce qui n'était pas envisageable, elle qui attendait cette autonomie depuis si longtemps.

— Je... non, non, je suis juste un peu fatiguée.

— Fatiguée...

Le ton du patron était suspicieux, mais Charlie affirma une nouvelle fois de la tête avec le plus de vigueur dont elle était capable.

— Si tu le dis. Mais si quelque chose se passe mal, n'hésite pas à m'en faire part. Dans ta façon de t'habiller, quelque chose aussi  a changé. Avant, tu additionnais les robes et les bijoux, tu faisais toujours attention à ta présentation et maintenant, tu arrives tous les matins en jean et pull. Pas que cela me dérange, mais encore une fois, j'ai l'impression que quelque chose ne tourne pas rond.

— J'essayerai de faire attention, répondit la jeune femme.

Et sans un mot de plus, elle sortit de la pièce et adressa un bref « au revoir » avant de se diriger vers son bureau. C'était trop à écouter. Le cœur au bord des lèvres, Charlie s'empressa de ranger sa table, et elle s'empara de son manteau et de son écharpe. Sidonie et Benoît, eux, s'affairaient encore à ses côtés.

— Tu t'en vas ? risqua Sidonie.

— Oui, et je suis déjà en retard.

Sans rien ajouter, la femme exténuée ferma la porte derrière elle et s'empressa de sortir de l'immeuble. Au-dessus d'elle, le nom du magazine « Science & fuse » étincelait dans la nuit, et elle apercevait la fenêtre de son bureau, du trottoir où elle se trouvait. Habituellement, elle restait bien plus tard au travail, mais Marilyn voulait la voir et elle avait l'autorisation de partir dès seize heures quarante cinq, les lundis.

Pourtant je t'attends toujoursWhere stories live. Discover now