Chapitre X

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— Attends, je... Comment ça ? Qu'est-ce qu'Ezra m'a caché ? balbutia Charlie en se laissant tomber sur le canapé.

Ashley l'imita et se positionna gracieusement à côté d'elle, la jambe droite repliée au-dessus de la gauche. Ses mains fines cherchèrent à tâtons celles de Charlie, et elle les pressa fortement, puis lança :

— Pour commencer... Nous n'avons jamais eu de chien, bégaya Ashley.

— Je ne pense vraiment pas que ce soit le plus important ! s'emporta la blonde. Viens-en aux faits !

— Très bien. D'une certaine façon, Ezra n'a pas menti quand il t'a dit que nous étions une famille unie. C'était vrai... jusqu'à l'anniversaire de Nathan.

Charlie fronça les sourcils tellement fort que deux longues rides se formèrent sur son front. Ses paupières se plissèrent, et elle dégagea lentement ses mains de celles d'Ashley.

— Qui est Nathan ?

La gorge de la jeune femme était de plus en plus sèche, elle sentait qu'elle allait apprendre beaucoup de choses qui ne lui plairaient pas. La brune, elle, souffla difficilement et se redressa sur le canapé. Charlie décelait de la pitié dans les yeux d'Ashley, et ils s'étaient assombris. D'habitude, ses iris étaient brunes et aussi lumineuses que l'ambre ; à présent, elles étaient métalliques, froides.

— Nathan était... mon grand-frère. Notre grand-frère, à Ezra et moi.

— C'est pas vrai, bredouilla la blonde. Il ne me l'a jamais dit. Il ne m'a jamais parlé de lui, je n'ai jamais su qu'il était en vie, quelque part !

— C'est parce qu'il ne l'est plus. Charlie, il est mort quand j'avais sept ans.

La jeune femme se raidit et porta sa main à sa bouche. Ses doigts tremblaient. Ashley, elle, continua en essayant de ne pas faire attention à Charlie.

— Avant sa mort, nos parents étaient heureux et nous l'étions aussi, par la même occasion. Nous n'avions rien de spécial, on profitait des petits bonheurs de la vie, et pour l'anniversaire de Nathan, mon père a décidé de tous nous amener à la plage. Nous habitions près d'Amiens, en Picardie, donc c'était la mer du nord... Elle était fraîche, mais nous étions en pleines vacances d'été, ce n'était pas problématique. Il y avait du monde, plus aucune parcelle de sable sur laquelle installer une serviette après notre arrivée. Maman était restée sur le bord de mer avec Axel, il était encore trop jeune pour se baigner. Ezra, Nathan et moi, nous avons tout de suite sauté dans les vagues, et comme des enfants normaux, nous nous sommes amusés comme des fous. On s'est envoyé de l'eau au visage, on a bu la tasse, on a fait des acrobaties, on a cherché des animaux marins... En réalité, nous nous sommes éclatés. Et puis, les garçons ont voulu s'éloigner du bord, et plus ils avançaient, plus j'avais peur de complètement perdre pied. Je savais nager, pourtant, mais j'étais une vraie trouillarde, à l'époque ! Au bout d'un moment, j'en ai eu marre et j'ai rebroussé chemin. La mer était froide et j'avais beaucoup bougé donc en arrivant de nouveau sur la plage, j'avais un peu le tournis. Je n'ai pas tout de suite entendu les cris de mes frères, ni ceux de ma mère. J'ai entièrement retrouvé mes esprits quand j'ai vu mon père sauter à l'eau, alors qu'il avait encore son pantalon et ses lunettes de soleil.

Charlie écoutait son récit, et restait suspendue à ses lèvres. Ashley avait un don pour raconter des histoires, elle le savait, mais elle voulait absolument connaître la fin de ce récit. Elle s'empêchait de faire des remarques anodines et se retenait presque de respirer pour connaître l'aboutissement de tout cela au plus vite. Qu'est-ce qui s'était donc passé ?

— En tournant la tête, j'ai remarqué que les garçons s'étaient beaucoup écartés du bord de mer. Beaucoup trop... Et ensuite, j'ai découvert qu'une seule tête dépassait des vagues ; la deuxième était introuvable. Alors, j'ai compris que c'était sérieux. Maman m'avait retrouvée et avait agrippé mon épaule comme pour s'en rattacher. J'avais l'impression qu'elle avait peur de tomber... Elle tenait Axel contre sa poitrine, elle se cramponnait à lui comme à une bouée de sauvetage. Cette image m'avait horrifiée... Elle avait écarquillé les yeux, avait arrondi la bouche comme un poisson en manque d'oxygène, et elle s'était mise à crier. Elle suppliait notre père de retrouver Nathan et de ramener mes deux frères sur la rive. Et puis Axel s'est mis à pleurer, et ses sanglots ont couvert ceux de ma mère. Moi, je tremblais, je sentais tous les regards qui étaient portés sur nous, et j'ai attendu que papa revienne avec Ezra et Nathan. J'ai eu l'impression que son retour avait duré des heures. Au final, j'aurai préféré qu'il n'arrive pas, que le temps s'arrête et que je continue d'espérer que mes deux frères étaient sains et saufs. J'aurais voulu que les flots emportent tout ça, et que je ne connaisse jamais la vérité.

Pourtant je t'attends toujoursحيث تعيش القصص. اكتشف الآن