𝑬𝒏𝒕𝒓𝒆 𝒍𝒆𝒔 𝒍𝒊𝒈𝒏𝒆𝒔 (Prof/Élève)

Chapitre 19

Assise à son bureau, le regard perdu dans les nuages qui voyageaient au-dessus d'elle, Jade avait beau faire, elle n'arrivait pas à se concentrer sur ses devoirs. Ses pensées se dirigeaient immanquablement vers lui. Sur le moment, peut-être était-ce l'adrénaline, elle n'avait ressenti que du bien-être. Mais désormais, seule dans sa chambre, elle ne savait quoi penser de ce baiser. Peut-être l'avait-il fait parce qu'il en avait envie, tout comme elle, et que cela ne voulait rien dire de plus. Elle ne s'en porterait peut-être pas plus mal. Toutefois, elle espérait qu'il s'agisse là davantage d'une promesse, dont elle ne connaissait pas encore la nature. Plus elle y songeait, plus cela la rendait anxieuse.
Son père toqua à la porte, l'arrachant à ses pensées.

— Oui, dit-elle.

— Tu ne m'as pas entendu ? demanda-t-il. Le dîner est prêt.

— Ah, oui, j'arrive.

Les dîners avec son père étaient depuis toujours des moments où chacun d'eux se racontaient leur journée ou bien conversaient sur un ou plusieurs sujets. Jade écoutait toujours attentivement les propos de son père, mais ce soir-là, elle était ailleurs.

— Il t'a raconté une bonne blague le haricot ? demanda-t-il.

— Comment ? répondit Jade en levant les yeux de son assiette.

—  Tu as le sourire depuis dix minutes et tu regardes ton assiette, et je ne pense pas que ce soit la condition des travailleurs dans les mines d'argent qui provoquent cette réaction. Enfin j'espère pas, dit-il sur un ton rieur.

— Non, oui, pardon. J'étais dans la lune.

— Je vois ça, dit-il.

Il s'écoula plusieurs secondes avant que son père, désormais les bras croisés sur la table, ne reprenne la parole.

— Tu as... Comment tu m'as dit que ça s'appelait, déjà... Un crush, c'est ça ?

— Argh, on est obligé d'avoir ce genre de conversation ? demanda-t-elle, mal à l'aise.

— Oh non, tu n'as pas à me répondre si tu ne veux pas. C'est ta vie privée, dit-il avec un sourire rassurant.

Il se pencha et caressa brièvement la joue de sa fille d'un geste de la main, puis se leva et s'occupa de la vaisselle. Jade prit le temps d'y songer. Elle aurait aimé pouvoir lui en parler, mais naturellement, il en était hors de question. Toutefois, il n'était pas obligé de savoir de qui il s'agissait. Peut-être pouvait-elle lui poser quelques questions. Elle débarrassa son assiette à son tour et se posta à côté de son père.

— Dis, j'aimerais te demander quelque chose, dit-elle.

— Oui ?

— Comment on sait si on est simplement attiré par quelqu'un, ou si on en tombe amoureux ?

Son père réfléchit quelques instants à sa question et expira profondément.

— Ce que je vais te dire, ça vient de mon expérience. Mais je crois que l'attirance, c'est momentané. Si tu es amoureuse, tu vois un avenir avec cette personne. Et tu as un lien de confiance assez fort qui se tisse, une complicité, et c'est quelque chose qui prend du temps, pour connaître la personne par exemple. Quelle que soit la situation, fais confiance à tes sentiments. Ce genre de chose, c'est purement émotionnel.

Un silence s'ensuivit durant lequel Jade médita sur ces paroles. Son père, plongé dans la vaisselle, lui lança un coup d'œil.

— En tout cas, je sais que celui, ou celle, dont il sera question, sera quelqu'un qui te correspondra. Je sais que tu y veilleras, ajouta-t-il.