𝚌𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚝𝚛𝚘𝚒𝚜

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Bonne lecture !

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Assis sur une chaise en bois au dossier rembourré, Oikawa avait le visage tourné vers l'extérieur. Au-delà de sa fenêtre, au troisième étage d'un immense palais, il pouvait apercevoir l'agitation en contre-bas. Les rondes des gardes, le tumulte des servants, le travail des jardiniers avant que l'hiver ne tombe réellement.

Les deux semaines de voyage presque sans repos avaient été suffisantes pour que le temps change : le soleil n'apparaissait plus que rarement, et toute la ville au-delà les limites du château étaient recouvertes d'une brume épaisse jusqu'au midi. Oikawa s'était réveillé aux aurores les trois derniers jours, le corps ankylosé par le chemin et la carriole, et s'était contenté d'étudier sa chambre dans les moindres détails.

Elle était grande, et cela ne l'avait que très peu étonné, mais également aussi confortable qu'une chambre aurait pu l'être. Il n'avait pour l'instant aucun droit d'en sortir, mais les tableaux somptueux qui recouvraient les murs l'avaient occupé un moment. De grandes figures, d'une histoire qu'il ne connaissait pas très bien mais qu'il n'ignorait pas non plus. Des stratèges, des commandants, des comtes, des ducs. Les rois et reines devaient posséder une galerie entière pour leurs portraits, comme cela se faisait à Aoba Johsai. Mais les sept tableaux de sa chambre étaient tout aussi intéressants que des souverains.

Au sol, des tapis moelleux et certainement assemblés récemment couvraient plusieurs mètres des planches en bois de hêtre. Le parquet grinçait un peu lorsqu'il s'appuyait trop dessus, alors il s'était entraîné à arpenter la pièce de long en large, depuis son lit caché par les grands baldaquins jusqu'à la porte de la petite pièce attenante menant au bain et aux commodités. Il avait marché encore et encore, sous le regard un peu perplexe de son chevalier. Quand il s'était senti prêt, il avait demandé à Iwaizumi de fermer les yeux, et d'attendre dix secondes avant de pointer du doigt là où Oikawa se trouvait. Ils l'avaient fait trois fois. Et trois fois Iwaizumi s'était trompé. Satisfait, le prince était ainsi passé à autre chose.

Le deuxième jour au matin, des femmes en tenue noire étaient entrées dans sa chambre sans même frapper. Elles portaient chacune des vêtements dans leurs bras, et avaient pris leur temps pour les déposer dans une immense armoire en bois sur le côté non loin du lit. Quelques mots avaient été prononcés, du bout des lèvres :

— Cadeau de Sa Majesté.

La vieille femme, la troisième à être entrée dans la pièce, avait choisi ses mots : ne pas s'adresser directement à Oikawa, ne pas l'appeler par un quelconque titre qui n'avait pas encore été décidé. Il avait souri.

— Délicate attention. Je n'aurais donc pas à me promener les fesses nues.

Certaines s'étaient trouvées rougissantes, d'autres s'étaient éclipsées rapidement. La vieille femme n'avait pas flanché, et s'était inclinée légèrement avant de tourner les talons.

— Je reviendrais avant la nuit pour votre bain et vos draps.

Puis, sans un mot de plus, avait posé sa main sur la poignée ronde de la porte en bois. Oikawa l'avait arrêté sans même se retourner vers elle.

— Une dernière chose, avait-il dit avant qu'elle ne s'échappe. Je ne vous conseille pas d'entrer à nouveau sans vous annoncer. Mon chevalier a le sang chaud, voyez-vous : je ne voudrais pas que vous tachiez ces magnifiques tapis avec un peu de sang et un cou brisé.

Elle était sortie sans demander son reste, et à présent il ne voyait plus que deux filles par jour. L'une préparait son bain et l'autre nettoyait sa chambre avec minutie. Une fois sur deux, elles faisaient de même avec la plus petite chambre accolée à la sienne, par lequel on pouvait accéder à travers une porte étroite sur la gauche de son lit. Iwaizumi était toujours alerte, mais lui aussi devait se reposer : Oikawa n'était pas entré dans sa chambre, mais il supposait qu'elle devait être à son goût.

À présent continuellement assis sur ce fauteuil en cuir et en bois, il ne pouvait rien faire d'autre qu'observer. Derrière lui, toujours silencieux, Iwaizumi veillait sur lui avec inquiétude. Plus le temps passait, et plus son chevalier semblait tendu.

Alors quand la brume s'écarta enfin des toitures de la ville et que les cloches au loin résonnèrent pour déclarer midi, Oikawa se retourna vers Iwaizumi avec un visage ennuyé.

— Tu as le droit de poser tes questions, Hajime. Si tu continues de me fixer ainsi, je vais finir avec un trou à l'arrière du crâne.

Le chevalier fronça les sourcils. Une lumière pâle se diffusa dans la pièce.

— Je... je ne sais pas par où commencer.

— Dis-moi la première chose qui te passe à l'esprit.

Oikawa croisa les jambes et attendit sagement. Sur la petite table ronde recouverte d'une nappe blanche, à côté de son siège, il attrapa un verre à pied rempli d'eau claire.

— Je me demande également la raison de notre traitement. Nous sommes... vous êtes...

— Des prisonniers de guerre ? Des otages ? Des esclaves ?

Le prince semblait légèrement s'amuser.

— Pourquoi m'ont-ils gardé ? Je ne suis personne. Ils auraient pu vous garder, et me tuer au moment où ils m'ont pris mon épée. Et pourquoi... cette chambre....

— Tu t'attendais aux cachots ?

Iwaizumi hocha la tête. Il avait l'air d'un enfant, comme si avouer que certaines choses lui échappaient était honteux. Sa fierté était sans faille, autant dans sa force que dans sa bravoure, mais malheureusement les intrigues de l'esprit et les mensonges lui donnaient toujours l'impression d'avoir un temps de retard.

Oikawa pencha la tête.

— Je t'ai demandé si tu me faisais confiance, pour la simple raison que je joue à un jeu dangereux. Si je me trompe, nous sommes morts. Si je perds, nous sommes morts.

Il but un peu d'eau, puis observa son verre.

— Si tu avais hésité, je t'aurais demandé de partir. Tu aurais pu te cacher dans le château, et avoir la vie sauve.

— Je n'aurais jamais....

— Je sais. Je suis un homme égoïste, vois-tu. Alors je t'ai gardé, car peut-être qu'au fond je ne voulais pas être seul. C'est plus simple de se jeter dans un puis sombre lorsqu'on est accompagné.

Les fenêtres étaient fermées, pourtant la pièce était si silencieuse qu'Oikawa put entendre des rires à l'extérieur. Sa curiosité lui donna envie de se pencher un peu pour voir de qui ils provenaient, mais Iwaizumi ne détourna pas le regard alors il ne le fit pas non plus.

— Pour répondre à ta question, ils nous traitent ainsi sous l'ordre de leur roi. C'est un homme fier, il me veut vivant. Si c'était pour m'envoyer au cachot, autant me tuer tout de suite : je ne lui aurais servi à rien.

Le chevalier ne l'interrompit pas, même s'il en eut très envie. Sa réponse fit résonner en lui une nouvelle question : cela signifie donc que vous lui servez à quelque chose, actuellement ?

— Pourquoi abîmer ses trophées de guerre ? Pourquoi me traiter comme un esclave quand on peut prouver sa supériorité par mon obéissance ? Je ne doute pas que je serais bientôt convié aux bals et aux fêtes, et qu'on me montrera du doigt comme le prince déchu dont le royaume n'est plus qu'une province voisine sous la joue de leur pays tout puissant.

Il soupira et, cette fois, brisa le contact en détournant les yeux. Il n'avait même pas remarqué que la lumière était à nouveau partie, cachée par d'épais nuages sombres qui apportaient sans aucun doute plusieurs heures de pluie.

— Va donc attraper une servante dans le couloir, veux-tu ?

— Votre Altesse ?

La conversation était terminée. Oikawa reposa son verre sur la table. Il pensa distraitement à son épée, laissée chez lui. Il avait hésité, ne sachant trop comment le voyage allait se dérouler, mais à présent il regrettait son oubli.

— Qu'on m'apporte un livre. Qu'importe le sujet, du moment qu'il soit épais.

Iwaizumi n'attendit que quelques secondes avant de s'incliner. Il sortit de la pièce, et Oikawa soupira gravement. Tout cela était fatigant.

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Ad Vitam Aeternam | UshiOiWhere stories live. Discover now