𝚌𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚗𝚎𝚞𝚏

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Bonne lecture !

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À tout point de vue, le bal est grandiose et a tout d'une réussite.

Tooru observe, avec une moue un peu ennuyée. La salle est immense : un grand dôme au toit de verre, éclairé par des centaines de bougies à moitié fondues. Il faudra les changer un peu plus tard dans la nuit, et c'est une véritable aventure à chaque fois. En attendant, elles forment une lumière un peu intime, une soirée hors du temps où la nuit est là mais où le soleil ne se lèvera pas.

En contre-bas, des nobles dansent. L'orchestre est impressionnant cette fois, son père a dû mettre la main dans les coffres royaux. Un piano dans un coin, des violons de toute forme, des instruments à vent. Ils sont tous sur une estrade, et une femme à la voix intense pousse parfois quelques notes dignes de l'un des plus grands opéras : la rumeur dit qu'elle était la favorite de la reine, avant que cette dernière ne soit emportée quelques années plus tôt. Il n'a lésiné sur rien, depuis la musique tantôt calme tantôt entraînante, jusqu'à l'immense buffet exotique qui parcourt l'un des côtés de la salle. Les nombreux verres, l'alcool pétillant, les danses à répétition.

Plus petit, il aimait beaucoup jouer avec les autres enfants. Des futurs ducs, des fils de seigneurs, des princes étrangers. Ils couraient tous dans les salles de bal, essayant de fuir à l'extérieur en slalomant entre les jambes des danseurs. Son père le grondait un peu, son frère aussi, mais Tooru s'en fichait : il était jeune et les jeunes n'avaient pas de responsabilité, sinon celle de sourire poliment pendant les présentations.

À présent, Tooru aurait dû rester en bas, à côté de son frère qui discute comme un adulte avec les grandes figures des pays voisins. Son père le regarde avec un air fier, il le voit, et parfois il semble chercher Tooru du regard avant d'abandonner dans un soupir. Il y a six trônes de plus ou moins différentes tailles contre un mur, sur une grande estrade. Trois pays, une réunion politique importante, et trois monarques et trois épouses. Son père est seul, donc un siège est inoccupé, mais on ne peut pas ne pas le mettre. C'est ainsi.

Assis dans un siège du balcon, en hauteur de la salle, Tooru observe. De loin, ça donne envie et ça paraît beau. Il veut bien le reconnaître, avant il aimait bien ces belles soirées où on le remarquait, où on disait que les deux princes se ressemblaient si ce n'est physiquement au moins dans leurs sourires, qu'ils étaient beaux et bien élevés, que Tooru était adorable et qu'il avait un joli visage. On le lui avait répété de nombreuses fois : son frère deviendrait roi, et lui pourrait avoir ses propres terres non loin de là cour, devenir duc par exemple. Ça lui convenait.

À présent, il a l'impression que rien ne lui convient. Que ces regards l'énervent, que ces mots le blessent, et que son frère essaye de pallier à tous les manques en lui envoyant ce même air désolé. Il le voit, en bas, avec son verre d'alcool que Tooru n'a pas le droit de toucher, en train de sourire poliment à une reine descendue près des danseurs.

Avec une moue, Tooru entend son estomac gronder : peut-être aurait-il dû voler un peu de nourriture avant de partir se cacher. Il ne peut décemment pas descendre maintenant,et encore moins faire quérir une domestique. Il se trouve dans un balcon pour les représentations d'opéra et de théâtre, et le seul moyen de partir est de traverser le rideau rouge derrière lui, prendre le couloir puis les escaliers.

Il n'en a pas envie, alors il attend. Assis dans ce fauteuil rembourré, le ventre vide, écoutant distraitement la musique rythmée du bal.

— Je pensais qu'il n'y aurait personne.

Cette voix le fait sursauter, et Tooru se tourne vers le rideau. Entre-ouvert par une main, laissant apparaître un visage qui n'exprime absolument pas l'étonnement de sa voix, un garçon se tient là. Il le fixe sans rien dire quelques secondes, jusqu'à ce que le prince se redresse et se lève.

Ad Vitam Aeternam | UshiOiWhere stories live. Discover now