L'amour de ma vie

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Thème (approximatif) : L'immortalité

Il pleut. Il pleut sur mon visage. L'eau est glacée. Je lève doucement la tête, le ciel est bleu azur, pas le moindre nuage ne flotte au-dessus de moi. Et pourtant des gouttes solitaires roulent sur mes joues jusqu'à la commissure de mes lèvres. Elles ont le goût salé de la mer.
Seul devant la pierre de granit, sous le saule, j'écoute le vent en secouer les feuilles et, de mon enceinte portative s'échapper une vieille chanson. Elle me l'avait demandé, un soir d'hiver où nous parlions de la mort. Enfin, de sa mort.

La chanson prend fin et les gouttes sèchent déjà sur mon visage, je ne prends pas la peine de les essuyer et tourne les talons jusqu'à notre maison, plantée au milieu de l'immense domaine de nature sauvage. Elle l'avait choisi pour ça, après une jeunesse passée dans une ville trop grande, elle avait voulu être enveloppée d'une nature libre et luxuriante. Elle avait passé des années à l'explorer, et pourtant, de temps à autre elle rentrait en courant, essoufflée et ravie, les joues rougies, tout heureuse d'avoir découvert un endroit encore vierge de sa présence. Evidemment ces dernières années, elle ne courait plus, mais elle ne pouvait se résoudre à cesser ses interminables promenades dans le parc de notre demeure. Alors je l'accompagnais, offrant mon bras solide pour soutenir son corps, rendu moins assuré par les années, et nous marchions. Chaque jour un peu moins vite, chaque jour un peu moins loin, mais nous marchions.

C'était terminé tout ça. Et je n'ai plus envie de marcher ici, je n'ai pas envie de marcher sans elle. L'amour de ma vie m'a été enlevé, je m'assois dans mon fauteuil, un verre à la main. L'amour de ma vie... L'amour de ma vie est mort. Dans mon esprit embrumé par le chagrin je me mets, sans trop savoir pourquoi, à compter. Combien de fois mon amour est-il mort, depuis notre rencontre ? Sept ? Huit fois ? Oui, huit fois.

Notre première rencontre. C'était à Rome, sous le règne de Claude, ou peut-être de Néron. Quelle importance ? C'était à une soirée dans une villa à colonnes, décorée d'une grande fresque bleue à motifs géométriques. Une soirée organisée officiellement pour accueillir un chef barbare, officieusement pour l'assassiner. J'avais été invité pour parler de mes travaux, révolutionnaires en astronomie. A l'époque on louait ma grande culture, bien supérieure à celle de tous mes confrères intellectuels. Je n'aurais pas dû m'en vanter. J'avais déjà près de 300 ans d'existence, je n'avais pas eu à apprendre les grands évènements de l'histoire du monde antique, je les avais vécus. Mais, j'étais jeune encore, et je l'avoue, plein d'orgueil.

Dans cette salle enfumée par l'encens, où les nobles romains se vautraient dans la débauche en compagnie des plus jolies créatures, hommes comme femmes, moi je discutais. De quoi ? Avec qui ? Je ne m'en souviens plus. Mais je sais qu'au milieu d'une grande tirade comme j'aimais tant en faire, ma voix m'a soudainement été enlevée. Elle était entrée. Elle était... magnifique. Cette fois-là elle avait de longs cheveux noirs bouclés, et un port de tête majestueux, comme si elle surplombait la foule, sans la mépriser. Elle avait posé les yeux sur moi et, allez savoir comment, je l'ai reconnue. Reconnue entre toutes. Je savais qui elle était, je savais que je l'aimais. C'était l'amour de ma vie que je reconnus ce soir-là.

Je l'ai épousée, je lui ai donné tout ce que je pouvais, au final pas grand-chose. Et elle m'a donné tout ce qu'elle pouvait, c'est-à-dire tout.

Et puis elle est morte, assez jeune. D'une maladie des poumons dont on ne savait rien. Et mes connaissances, si admirables étaient-elles, n'ont pas pu la sauver. Aujourd'hui je le pourrais, mais à l'époque, nous ne savions rien. Et moi, présomptueux que j'étais, je ne savais même pas, que je ne savais rien. Sa mort me l'a appris.

Participations au concours d'écriture de TiboudouboudouCWhere stories live. Discover now