La chanson de la mariée

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Texte (approximatif) du concours : Mariage, le silence tombe sur l'assemblée au moment où le prêtre prononce les mots "Si quelqu'un s'oppose à cette union, qu'il parle maintenant ou se taise à jamais", quelqu'un s'opposera-t-il ?


Aujourd'hui c'est mon mariage. Ma mère place la dernière fleur blanche de ma coiffure dans mes cheveux et soupire d'aise. Je relève les yeux vers le miroir de la coiffeuse et mon regard me toise. Ai-je déjà été aussi belle ? Cela fait deux heures que ma mère et ma tante s'appliquent à me rendre digne de mon époux, belle pour lui. Elles ont enfoui sous mon maquillage tout ce qui pouvait détonner. Les cernes, preuve que je n'avais pas dormi depuis des jours, les boutons, émergés à cause de mes hormones bataillant depuis 2 mois et une cicatrice à la racine des cheveux, souvenir d'une chute faite après une soirée trop arrosée. Mais malgré tout leur travail, en cherchant au fond de mes yeux verts je vis bien qu'il y avait une chose qu'elles n'étaient pas parvenues à effacer. Le sanglot que je retenais était toujours là, tremblant au fond de mes prunelles. Ce sanglot-là ne disparaîtrait jamais, il resterait enfermé pour toujours sous mes paupières. Avec de la force, je parviendrais bien à le sceller à tout jamais, peut-être. Il le faudrait bien.

Ma tante se penche et murmure quelque chose à ma mère, sur le ton de la confidence. Je pourrais essayer d'entendre, mais ça ne m'intéresse pas alors je me concentre sur la dentelle de mon décolleté et le tissu de ma robe qui frôle mes seins. Ils me font mal aujourd'hui. C'est la première fois, probablement pas la dernière.

La porte s'ouvre et ma cousine passe la tête par l'embrasure. Elle sourit à mon reflet dans le miroir et je m'efforce de lui répondre avec douceur. Elle est si gentille... Elle l'a toujours été. Mais elle sait que mon sourire est forcé. Le sien aussi d'ailleurs, il est trop appuyé pour être naturel. Je la remercie en pensée, d'essayer de me communiquer un peu d'enthousiasme, elle sait pourtant que c'est peine perdue, mais elle fait de son mieux. Elle m'aime comme elle peut.

Je me lève du tabouret et lisse machinalement la longue jupe de ma robe immaculée. Quelle hypocrisie... Tout ceci n'est qu'une mascarade ! Qui pourrait y croire ? J'ai envie de renverser la coiffeuse pour que le miroir se brise. Que des milliers de bouts de verre s'éparpillent au sol comme une trainée de diamants. Parmi eux peut-être que je pourrais trouver un morceau assez long... Peut-être que j'aurais le temps de me jeter dessus et de transformer l'insupportable blancheur de ce tissu en un écarlate criard. Je chasse cette pensée d'un brusque mouvement de tête. Je ne veux pas mourir. Jamais.

Ma mère me regarde avec tendresse. Ma pauvre maman... Je l'aime de tout mon cœur, je l'ai toujours aimé malgré ce qu'elle pouvait penser de moi. Malgré la déception que je voyais grandir dans ses yeux en même temps que moi. Même aujourd'hui, qu'elle me conduit en prison, qu'elle décide pour moi quel avenir est le meilleur, je ne parviens pas à la détester. Ce n'est pas sa faute, elle fait ce qu'on lui a appris, elle fait ce qu'elle peut. Elle me prend doucement par le bras et m'entraine avec elle à l'extérieur. J'ai l'impression de flotter, mes pieds ne touchent pas le sol, j'avance comme un ectoplasme au-dessus du plancher, au-dessus des graviers, au-dessus des marches à l'extérieur de l'église. Mon père nous rejoint. Il ne m'adresse pas un regard. Cela dit je ne le regarde pas non plus. Surmontant le dégoût qu'il éprouve envers moi, il accroche mon bras au sien et ma mère nous laisse pour entrer dans le lieu saint avant nous.

Le silence tombe un instant sur nous, je n'entends même plus mon propre cœur battre. Mon père se racle la gorge avant de faire un premier pas à l'intérieur de l'église. Mon corps est trop lourd pour le suivre, je ne parviens pas à avancer, mes chaussures à talons sont trop petites pour mes pieds gonflés. Qu'il me laisse là ! Sur le parvis ! Pourquoi devrais-je entrer ? Remonter cette allée sous les regards de tous ces gens qui me méprisent ? Recevoir des sacrements auxquels j'ai cessé de croire en même temps que le Père Noël ou la Petite Souris ? Je ne veux pas ! Mais... si je n'ai pas la force de marcher, je n'ai pas non plus la force de résister à la traction de mon père. Un fantôme ne peut pas lutter, il se laisse flotter où les bourrasques de vent l'emportent. Alors je me laisse flotter jusqu'à l'autel où il m'attend.

Participations au concours d'écriture de TiboudouboudouCWhere stories live. Discover now