Chapitre 14 : Le Retour

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Rothaïde parvint à rejoindre Seinbur saine et sauve malgré un voyage périlleux. Elle s'était munie d'une carte qu'elle avait prise dans la chambre Bernon quand elle avait déposé la lettre. De Taniia, grâce à un cheval qu'elle y avait dérobé, elle avait rejoint Carvhill. Elle avait beaucoup culpabilisé de voler l'une des seules richesses de la ville, mais elle savait que ce n'était que pour mieux les aider par la suite. Elle allait changer les choses, elle l'avait promis à Bernon et elle se l'était promis à elle-même. Elle avait galopé pendant vingt-deux jours. Elle avait à peine dormi, tant du fait de l'empressement de retrouver son trône que par le besoin de s'occuper l'esprit pour ne pas penser au capitaine pirate.

La princesse ne s'était jamais sentie courageuse, mais en quittant l'homme qu'elle aimait, elle se découvrait une force insoupçonnée. Elle aimait cette facette d'elle-même, même si elle en souffrait également. Arrivée à Carvhill, elle avait réussi à monter à bord d'un navire pêcheur allant à Seinbur. Elle s'était faite passer pour une riche noble en achetant une belle tenue au marché, et avait payé grâce à des pièces d'or qu'elle avait pris aux pirates. Elle espérait qu'ils lui pardonneraient un jour : ses vols, ses mensonges, son départ. Ils lui avaient tant donnée et elle était partie presque traîtresse. Après trois jours en mer, elle avait enfin posé pied à Seinbur.

Rothaïde avait hésité avant de se présenter au château, s'imaginant repartir pour retrouver la vie dont elle rêvait tant. Mais elle n'avait pas cédé et elle avait retrouvé sa vie d'antan. Elle avait pensé que son long mois de voyage loin du pirate aux cheveux d'or l'aurait aidé à oublier ses sentiments. Après tout, elle l'avait connu à peine plus de temps. Mais cet espoir avait été vain : même s'ils ne s'étaient connus que trente-sept levés de soleil, le capitaine était marqué au fer rouge dans son cœur et elle ne pourrait jamais s'en défaire. En fait, elle ne désirait pas sans défaire.

Le château avait été heureux de la retrouver. Son futur époux aussi mais elle ne se faisait pas d'illusions : il aimait reprendre sa place de prochain roi. Rothaïde n'avait jamais aimée l'idée de se marier à ce comte que son père lui avait choisie dans sa démence. Mais le retrouver après avoir aimé si passionnellement un hors la loi était encore différent. Elle ne l'aimerait jamais. Elle ne lui voyait même aucune qualité, si ce n'était d'être un bon chevalier et un bon stratège. Mais il n'était pas comme Bernon. Aucun homme ne serait jamais comme Bernon. Elle se marierait, elle s'y était résignée. Le peuple désirait un roi, elle devait lui en donner. Mais leur mariage ne lui donnerait jamais ce que le pirate lui avait offert.

- Votre Altesse, le Comte de Foulque vous demande, la divertit de ses pensées sa servante personnelle.

Foulque était le comté du royaume qui regroupait les terres autour de Gribohl, Oaks et Drahc. C'était la contrée la plus riche du royaume, après celle qui entourait Seinbur.

- Faites-le entrer, merci Guéténoc.

La femme dont le ventre avait bien grossi depuis leur séparation s'inclina et ouvrit la porte des appartements royaux. Le futur époux de la princesse pénétra à l'intérieur de l'espace.

- Je vois que vous avez retrouvé une tenue convenable, la gratifia-t-elle.

Rothaïde ne répondit rien. La tenue qu'elle avait achetée à Carvhill et avec laquelle elle était arrivée au château était loin d'être inconvenable. Mais son fiancé était bien trop distant du vrai monde pour s'en rendre compte. L'aurait-elle compris, elle, avant de vivre aux côtés des pirates ? Elle n'en était pas sûre.

- Vous devez apprécier être de retour chez vous, continua-t-il.

Les mondanités exaspéraient dorénavant la jeune femme. Elle n'était revenue dans sa vie royale que la veille mais elle était déjà exaspérée par toutes les superficialités qu'elle n'avait jamais vraiment réalisées avant de partir. Pourrait-elle un jour se refaire à cette vie de luxe et d'hypocrisie ?

- C'est en effet un grand plaisir, c'est un confort presque indécent.

- Ne dites rien de sot Votre Altesse, ce confort est bien normal.

La princesse retint une grimace. Non, rien de tout ce qu'elle retrouvait au château n'était normal. Ni le petit-déjeuner tellement copieux qu'elle n'avait pu le finir, ni les dizaines et dizaines de servants qui s'étaient empressés de la déshabiller et de changer ses draps.

- Je désirerai vous parler, poursuivit le comte.

La brune se contenta de hocher la tête. Elle n'avait pas oublié son éducation royale mais n'avait pas l'envie de s'y investir. Son futur époux ne sembla cependant pas relever.

- Mes conseillers...

- Nos conseillers, le reprit-elle tout de suite.

Cette rectification sembla stupéfaire le noble qui stoppa son discours un instant. Finalement, il reprit :

- Nos conseillers m'ont informé que vous aviez demandé à lire le courrier qui était arrivé en votre absence ?

- Je crois avoir beaucoup de retard à rattraper, confirma l'héritière.

Le comte se mit alors à rire.

- Mais enfin, Votre Altesse, vous n'avez jamais lu le courrier !

Rothaïde ne se joignit pas à la joie de son fiancé. Il avait raison, mais les choses devaient changer.

- Il est vrai, mais je serais bientôt reine et il est grand temps que je m'intéresse à la politique de Centule.

L'homme face à elle retrouva son sérieux et la regarda avec méfiance.

- En tant que reine, votre rôle est d'assister votre roi.

- Ce n'est point comme cela que je désire procéder. Notre union sera officielle et vous conférera un titre royal, mais je ne resterai pas en retrait des affaires.

- Ce n'est pas...

- C'est ce que je décide et je suis en droit de le faire, coupa-t-elle court à la discussion.

Soudain, elle sentit une gifle frapper sa joue. Rothaïde faillit tomber sur le sol mais se retint de justesse. Elle déposa sa propre main sur son visage brûlant, choquée de ce coup qu'elle n'avait pu prévoir.

- En tant que reine et épouse, vous vous tiendrez à mes côtés sur le trône, mais ne pensez pas un instant que votre rôle sera plus que décoratif. Tâchez de retrouver vos bonnes manières, je ne saurai me contenter d'une puterelle comme femme.

Le comte quitta la pièce sans plus de paroles et laissa Rothaïde stupéfaite. Guéténoc voulut accourir vers elle pour soigner sa blessure mais la princesse refusa d'une main. Le Comte de Foulque l'avait frappée. Et cela avait beau être la première fois, elle comprit rapidement que ce ne serait pas la dernière si elle ne redevenait pas aussi docile qu'elle l'avait toujours été.

Rothaïde avait toujours été tenue à l'écart des conflits politiques, elle n'avait jamais réellement découvert la réelle méchanceté des nobles. Elle en avait eu des échos, mais rien de plus. Mais désormais, elle réalisait qu'elle avait été naïve de croire que son fiancé la laisserait gouverner à ses côtés. Il était avide de pouvoir, et il n'avait jamais prévu de lui donner plus qu'une vulgaire attention pour faire bonne figure devant le peuple. Mais elle était déterminée. Même si elle devait être frappée pour ses ambitions et sa détermination, elle continuerait de s'affirmer.

Pour son peuple.

Hors la loi et bientôt ReineWo Geschichten leben. Entdecke jetzt