Chapitre 6 : Les Rêves Agréables

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Lorsqu'il fallut reprendre la mer, Gausle et Sifard manquèrent à l'appel. D'un ton rieur, Eddo révéla que le couple avait désiré un peu d'intimité, et avait réservé une chambre en auberge. Il supposa que leurs activités avaient dû les retarder. Rothaïde pensa comprendre ce qu'il entendait par activités, mais elle devait avouer ne pas être sûre de se représenter ce dont il s'agissait exactement. Elle n'avait jamais eu de réelle éducation sur le sujet et n'avait entendu que des bruits de couloirs des servantes. Elle avait osé poser la question à Guéténoc quand celle-ci lui avait avouer être enceinte, mais sa servante était restée vague.

Finalement, le couple se pointa une heure plus tard. La princesse pensa que Bernon s'énerverait mais à part un petit reproche, il n'en dit rien. Tout l'équipage monta sur la barque puis sur le bateau, et ils reprirent leur route.

La nuit fut agitée pour Rothaïde, travaillée par la veille si particulière. Après avoir laissé leurs achats à la taverne, le capitaine avait tenu parole et lui avait montré les merveilles de l'arrière-ville de Carvhill. Là-bas, les maisons étaient plus modestes, mais tous les jardins étaient entretenus avec une telle précision et méticulosité que le paysage était à couper le souffle. Les oiseaux semblaient danser sur les fleurs câlines, tandis que les écureuils ne craignaient même pas les animaux de compagnies. Les chevaux hennissaient quand les chiens jouaient dans leurs pattes, mais ils se laissaient faire comme une mère auraient laisser son enfant tirer sur sa robe. Après avoir parcouru plusieurs ruettes, ils s'étaient installés sur une étendue d'herbe où Bernon s'était reposé, les yeux fermés, sans aucune inquiétude qu'elle ne tente de fuir. La princesse ne comprenait toujours pas. Pourquoi diable avait-il pris le temps de lui montrer cela ? N'aurait-il pas eu d'autres projets pour cette journée à terre ? Au bateau, il était toujours le plus occupé, n'aurait-il pas voulut se détendre seul ? Ou avec une femme peut-être, mais d'une toute autre manière que ce qu'il avait fait avec elle ?

Au matin, toutes les questions de la noble restaient sans réponse. Luslyne changea son bandage et lui recommanda de dorénavant laisser ses béquilles dans la cabine mais de ne pas trop forcer pour autant. Rothaïde réussit à sortir sur le pont et à faire quelques pas sans s'effondrer. Elle ressentait toujours un petit inconfort mais ce n'était pas comparable à la douleur qu'elle avait perçue quatre jours auparavant. Comment un si grand mal pouvait-il se résoudre en quelques jours à peine ? Luslyne devait être une excellente médecin.

Jusqu'au milieu de l'après-midi, l'océan fut aussi calme que la vie sur le bateau. La princesse cachée passa l'essentiel de son temps avec Eudoxie et Armad, jouant à des jeux qu'elle n'avait jamais expérimenté étant enfant. Elle n'avait pas eu la chance de grandir entourée de beaucoup de personnes de son âge. Son frère, qui avait quatre ans de plus, avait tenté de l'occuper pendant un temps. Mais ses fonctions d'héritier l'avaient bien vite rattrapé. Rothaïde s'était sentie tellement seule après cela. En fait, elle n'avait jamais cessé de se sentir seule. Malgré tous les serviteurs à l'affut de ses moindres besoins, elle n'avait jamais vraiment eu d'amis, de camarades. Etonnement, cette solitude l'avait quittée depuis son enlèvement. Elle était pourtant loin de tout ce qu'elle avait connue, mais les pirates autour d'elle, aussi monstrueux soient-ils, l'avait fait oublier cette tristesse solitaire.

Au début de la soirée, Bernon la fit demander dans sa cabine. Elle ne savait pourquoi il cherchait toujours à la voir, il ne s'attendait probablement pas à ce qu'elle cède à sa demande de mercenaire aussi rapidement. D'autant que, malgré de longues heures de réflexion, elle ne savait toujours pas comment lui répondre sans se trahir d'une façon ou d'une autre. S'enfuir à Arton restait sa meilleure option. Comme deux jours auparavant, Attala la conduisit dans des appartements vides et l'y laissa seule. Cette fois, la jeune femme originaire de Seinbur ne se fit pas prier et attrapa un livre dans la bibliothèque qu'elle entama assise à la table. Bernon arriva plus de deux heures plus tard. Il sembla vouloir s'en excuser, mais la surprendre en train de lire le prit au dépourvu et il en oublia ce qu'il désirait dire. Il l'avait pourtant déjà vue parcourir les lignes de poésies, Rothaïde ne comprenait pas ce qui l'étonnait tant.

- Luslyne m'a dit que tu n'avais pas utilisé tes béquilles aujourd'hui, ta cheville te fait-elle souffrir ?

La jeune femme nia de la tête, fermant soigneusement le recueil dans ses mains.

- Bien. Gausle nous apportera le repas dans un instant.

- Vous voulez que je mange de nouveau avec vous ? s'étonna l'héritière.

Il la considéra un instant sans répondre.

- N'avait-on pas convenu de se tutoyer ? évita-t-il la question.

La princesse ne répondit pas. Bernon attendit un instant puis s'afféra à son bureau. Il sortit la même carte qu'il lui avait montré avant de faire escale à Carvhill. Puis il la déposa de nouveau devant Rothaïde et lui montra du doigt un point de l'océan.

- Nous sommes ici, Arton est ici. Nous avançons lentement, nous arriverons sûrement dans trois jours aux matines.

Une fois de plus, la retenue captive hocha la tête et Bernon rangea le document. Il était étrange ce jour-là, il semblait nerveux. Il s'agitait autour de ses affaires et parlait moins naturellement avec elle. Sans réellement savoir pourquoi, Rothaïde osa demander :

- Y a-t-il un problème ?

- Je vais bien, répondit-il. La nuit a été agitée.

La princesse pensait plutôt interroger sur des difficultés à diriger le bateau mais le pirate semblait avoir pris la question personnellement. Cela l'embêta, elle ne voulait pas donner l'impression qu'elle se préoccupait de son état. Pourtant, elle demanda :

- Cauchemars ?

Elle ne savait pourquoi ces mots étaient sortis de sa bouche. Le pirate sembla tout aussi surpris qu'elle puisqu'il ne répondit pas tout de suite.

- Des rêves agréables plutôt, dit-t-il finalement.

Il tourna de dos à la jeune femme puis murmura :

- Tu étais présente.

La princesse ne comprit pas la réponse du capitaine. Qu'étaient des rêves agréables ? Et s'ils avaient été si confortables que cela, pourquoi la nuit de Bernon avait-elle été agitée ? Et que faisait-elle dans ses songes ?

Gausle la coupa dans ses réflexions en toquant à la porte. Elle servit le repas sur la table et souhaita une bonne soirée aux deux individus dans la pièce.

Le capitaine tira la chaise de Rothaïde puis voulut lui-même s'installer à la table. Avant cela, il regarda la princesse avec insistance. Puis, Bernon leva la main vers elle et l'avança vers son visage avec une vivacité maladroite. Terrifiée, elle ferma les yeux en attendant le coup.

Mais rien ne vint.

Quand elle entrouvrit de nouveau les paupières, la main du jeune homme aux cheveux d'or était toujours suspendu à quelques centimètres de son visage. La princesse comprit alors que le hors la loi n'avait jamais prévu de la frapper, il souhaitait simplement redresser une mèche de cheveux tombant sur son visage. En face, ce dernier réalisa également ce qu'elle s'était imaginée. À l'idée qu'elle ait pu penser cela, il semblait frustré, ou plutôt... blessé ?

Il retira sa main.

- Peut-être préfères-tu souper seule. Tu peux y aller, je dirais à Gausle de t'apporter le repas dans ta cabine.

Rothaïde ne comprit pas la réaction du pirate. Pourquoi était-il vexé qu'elle ait eu peur de lui ? Il la retenait prisonnière après tout, n'était-ce pas normal ?

La jeune femme finit par se lever de sa chaise et se dirigea vers la sortie.

- Tu sais... la retint-il avant qu'elle ne franchisse la porte.

Il sembla hésiter un instant. Finalement, il baissa le ton de sa voix et termina sa phrase :

- On détruit les maisons et on pille, c'est vrai. Mais on ne blesse jamais les villageois.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant