Lettre de Rothaïde

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Cher Bernon,

Le mois que j'ai passé à vos côtés, à toi et le reste de l'équipage, a été la plus belle expérience de ma vie. Avant de vous rencontrer, je ne connaissais rien du monde dans lequel je vivais. L'océan, ses couleurs et ses merveilles. Carvhill, son marché et sa vivacité. Arton, ses habitants et ses couchers de soleil. Auprès de vous, j'ai souris, j'ai ris, j'ai aimé vivre. Et toi, tu as été le plus beau des miracles.

Mais entre les scintillements des merveilles de ce royaume, j'ai aussi découvert la pauvreté, l'injustice, la famine. Je ne regrette rien, car j'avais besoin de cela pour grandir et comprendre qui je suis. Hier, tu t'es excusé de m'avoir enlevée à ma vie d'antan. Pourtant, je ne pourrais jamais assez te remercier pour cela. J'ai découvert ce peuple que j'étais censée connaître, j'ai découvert sa réalité, ses malheurs et ses qualités. Si c'était à refaire, j'aimerais que tu m'emmènes sur ton navire un millier de fois.

Je ne me suis pas livrée à toi comme j'aurais voulu le faire. J'imagine qu'aujourd'hui, dans cette lettre, je n'ai plus besoin de me cacher. Alors voilà ma vie, celle que j'aurais aimé te raconter.

Mon vrai nom est Rothaïde. Je suis l'héritière de Centule, la fille de celui que tu hais tant. Bientôt, je me marierai, et je deviendrai Reine. Et c'est pour cela qu'aujourd'hui je te quitte.

J'ai toujours vécu emprisonnée entre quatre murs. Certes, ces murs étaient ornés d'or et de portraits, mais ils restaient des murs, des parois tellement opaques que je ne pouvais voir la vie, la vraie, celle que tu m'as montrée sans même le savoir. Je n'ai jamais eu d'amis, si ce n'était quelques serviteurs. Quant à ma famille, je n'ai rien eu qui pourrait se comparer à ce qu'Arton t'as offert. Ma mère est morte en couche, mon père avait bien trop de responsabilités pour s'occuper de moi. Quand il est tombé malade, mon frère ainé a fini par s'éloigner aussi. Malgré mon jeune âge, j'en comprenais les raisons. Cela ne m'empêchait pas de haïr cette vie. Je n'ai jamais manqué de rien, je n'ai jamais ressenti la faim, mais j'étais seule.

Après le décès de mon frère, les responsabilités sont tombées sur moi. Je n'ai jamais désiré gouverner. Après tout, on me disait que j'étais une femme, que ce n'était pas là mon rôle. Et la royauté m'avait déjà fait tant perdre. Tout ce que je voyais dans mon titre était la raison de mon malheur, de ma solitude. Ma tête a toujours été alourdie d'une couronne que je ne portais pas encore. Pourtant, aujourd'hui, je rentre chez moi pour ériger fièrement cet or sur mes cheveux bruns.

Et cela, c'est grâce à toi.

La personne que j'étais autrefois aurait tout quitté pour rester avec toi. Je rêvais d'un grand amour, d'une passion dévorante qui me ferait ressentir quelque chose, enfin. Tu m'as donné tout cela. Mais c'est justement parce que j'ai fait ta rencontre que je ne peux me résoudre à abandonner le peuple de Centule. Mon peuple. N'est-ce pas ironique ? Seule, j'aurais tout donné pour l'amour. Aujourd'hui, je suis encore plus amoureuse de toi que je ne le serais jamais de qui que ce soit d'autre, et pourtant je quitte la vie que tu m'offres. Tu m'as changée Bernon. Tu as fait de moi une personne aimante et généreuse, une femme qui veut plus que tout abroger les injustices et la souffrance de ce royaume. Une femme qui mérite d'être aimée par toi.

Mais maintenant, je dois te dire adieu.

Dans une autre vie, peut-être, nous aurions pu nous marier. J'aurais pu ne jamais rentrer à Seinbur, t'attendre sur la plage d'Arton ou bien naviguer avec toi, dormir dans tes bras chaque soir. Nous aurions peut-être eu des enfants, ou bien nous nous serions occupés de ceux d'Attala et Eddo, de Sifard et Gausle. Mais en tout cas, nous aurions été heureux. Mais cette vie-là, nous ne l'avons pas. Je ne peux vivre à tes côtés comme une pirate, car tu es un hors la loi et je serais bientôt Reine.

Tu as fait battre mon cœur bien plus tôt que je n'ai voulu l'admettre. J'ai aimé ton sourire, tes conversations, ta bonté, ton charme. J'ai tout aimé de toi. Je suis tombée irrémédiablement amoureuse de ton âme et la flamme dans ma poitrine ne cessera jamais de briller. Elle restera toujours douloureuse, car tu ne seras pas à mes côtés pour l'apaiser, mais je la chérirai car elle est la seule chose qui me reste de toi.

Je t'aime Bernon, comme je n'aimerais jamais plus. Et cela me tue de devoir m'éloigner de toi.

J'aurais aimé te serrer dans mes bras une dernière fois. T'embrasser et peut-être même plus. Mais je dois partir. Au moment où tu liras cette lettre, je serais déjà loin. Je suis désolé de t'avoir menti. Je n'avais pas le choix, mais je n'avais pas pensé que cela finirait par devenir un tel poids. J'espère qu'un jour tu pourras me pardonner. Peut-être même pourras-tu m'oublier et vivre la vie remplie d'amour et d'honnêteté que tu mérites. Même si ce n'est pas avec moi.

Je changerai les choses, je te le promets,

Avec tout mon amour, Rose.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant