Chapitre 3 : Le Capitaine

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Le pirate attrapa une chaise vers le bureau et la traîna dans un grincement désagréable sur le sol. Il la posa aux côtés du lit, le dossier face à Rothaïde, et s'assit dessus de sortes à faire face à la princesse, une jambe de chaque côté de l'assise.

- Comment t'appelles-tu ?

La jeune femme ne répondit rien, la terreur avait pris possession de son corps et elle ne semblait plus capable de bouger.

- Rose, c'est ça ? Attala m'a dit que tu t'appelais Rose.

Une fois de plus, l'héritière du trône resta silencieuse. Le capitaine souffla.

- Je suis Bernon, je dirige cet équipage.

Bernon. Le son sonnait étonnement harmonieux dans ses oreilles.

- Je ne t'ai pas amené ici de gaieté de cœur, mais j'ai besoin d'informations sur la princesse.

Le mercenaire marqua un temps d'arrêt dans l'espoir d'enfin entendre la voix de sa prisonnière, en vain. Il se leva de sa chaise et Rothaïde ne put retenir ses muscles de se tendre sous la peur. Le capitaine du navire le remarqua mais n'en dit rien. Au lieu de cela, il se mit à marcher dans la cabine.

- Que tu le veuilles ou non, tu vas rester avec nous un moment. Je ne compte pas te faire du mal, j'ai juste besoin d'informations sur le château de Centule. La princesse t'a lâchement abandonnée lors de l'attaque, tu n'as plus aucun intérêt à la protéger.

Même si ce qu'avançait le renégat était faux puisqu'il se méprenait sur son identité, Rothaïde ne put s'empêcher de le trouver idiot de penser que la princesse aurait dû rester auprès de sa servante. Elle n'aimait pas particulièrement tous les privilèges que lui conférait son statut, mais il était évident que protéger l'héritière du trône passait avant les liens d'amitiés. D'autant que, même si elle appréciait en réalité réellement Guéténoc, l'affection entre les domestiques et les nobles était plutôt une exception qu'une règle.

- Je n'ai pas besoin d'une réponse maintenant. Mais si tu veux retrouver ta liberté, je vais avoir besoin d'un peu plus de participation de ta part, ajouta-t-il en constatant une fois de plus son silence.

Retrouver sa liberté ? Comptait-il réellement la libérer si elle lui donnait les informations qu'ils désiraient ? Mais que dire ? Elle ne pouvait décemment fournir des informations sur la royauté, qui savait ce que les pirates prévoyaient ? Et puis, même si elle aidait les pirates à pénétrer à l'intérieur du château, ce qui semblait être leur projet, ils se rendraient très vites compte qu'ils s'étaient trompés de princesse. Son portrait était affiché sur tous les murs du château, sans compter que tout le personnel royal devait s'inquiéter de sa disparition et discuter de son cas. Elle pouvait toujours mentir, mais comment s'assurer que tous les pirates seraient emprisonnés à temps et qu'elle s'en sortirait indemne ? Si elle ne trouvait pas la manipulation parfaite, les renégats se vengeraient sur elle. Or, même si elle aurait aimé être plus courageuse, elle craignait la mort et la torture plus que tout au monde.

- Attala m'a dit que tu étais blessée...

Il laissa sa phrase en suspens mais ladite Rose ne saisit pas l'occasion de faire vibrer sa voix. Le capitaine souffla une seconde fois depuis le début de leur conversation et finit par dire :

- Suis les instructions de Luslyne, je préférerai que tu te rétablisses vite. On t'apportera des béquilles, utilises les si tu veux sortir mais ne dérange pas mon équipage. Le vent est difficile à maîtriser ces temps-ci.

Et sur ces mots, il quitta la pièce et laissa Rothaïde dans sa réflexion.

Perdue dans cette cabine sombre malgré la nouvelle bougie, la princesse observa sa cheville bandée. On s'occupait étonnement bien d'elle. Bernon n'avait même pas été véhément. Pourtant, elle était leur prisonnière, non ? Elle se serait attendue à ce qu'ils prennent plaisir à la torturer, ou au moins la voir souffrir de ses blessures.

Malgré les indications médicales contraires, la jeune femme décida de se lever de son lit. Puisqu'elle n'avait toujours pas de béquilles, elle récupéra sa planche de bois qu'Attala avait laissée près de la table de chevet, et avança vers le bureau. Ce dernier était encadré d'une petite bibliothèque presque vide. Les quelques parchemins hasardeusement agencés étaient vierges, et seuls trois livres régnaient sur les étagères, recouverts de poussières. Il s'agissait de trois recueils de poésies d'Albrai Sihr, un célèbre auteur du siècle dernier. Elle avait déjà lu l'immense majorité de ses poèmes, mais n'ayant rien de mieux à faire, elle décida de parcourir de nouveau quelques vers.

Perdue dans sa lecture, Rothaïde sursauta de nouveau quand elle entendit la trappe s'ouvrir. Elle aperçut rapidement Attala, deux béquilles de fortunes en main. Elle chercha la noble des yeux un instant avant de l'apercevoir au bureau.

- Tiens, dit-elle en lui tenant les bouts de bois. Viens, je vais t'aider à sortir, tu dois manger.

Sans un mot, la princesse attrapa les béquilles et avança vers la trappe. Un pied en équilibre, Attala l'aida à se hisser hors de la cabine. Une fois sur le pont, elle prix le temps d'observer les alentours qu'elle avait à peine entrevu un peu plus tôt. Une étendue bleue s'étendait jusqu'à l'horizon. Le soleil était déjà bas mais pas au point de teinter le ciel de rose. Le bateau semblait à la fois immensément grand du fait de la hauteur des mâts, et à la fois si petit ainsi perdu au milieu de l'océan.

- Avance, lui recommanda la pirate rousse en la poussant délicatement.

Plus loin sur le pont, plusieurs pirates étaient regroupés. La majorité étaient des femmes, les hommes s'occupant probablement de diriger le navire de l'autre côté de ce dernier.

- Voici Rose, c'est la prisonnière de Bernon, annonça Attala une fois devant ses camarades.

La simplicité avec laquelle la renégate prononça le mot prisonnière fit frissonner Rothaïde.

- Rose, tu connais déjà Luslyne. Ici c'est sa sœur aînée, Gausle.

Gausle aurait pu être la mère de Luslyne. Elle ne paraissait pas bien plus âgée que sa cadette, mais son air mature et sa coupe courte lui donnait une apparence maternante. Ses yeux bruns étaient plus clairs que ceux de la doctoresse, comme si le soleil avait fini par les éclairer.

- Ici, c'est Eudoxie et son frère Armad.

Rothaïde s'étonna du jeune âge des deux enfants, elle leur donnait à peine douze ans. Eudoxie devaient mesurer quatre pieds et demi. Elle avait de longs cheveux bruns tout particulièrement lisses, et des yeux bleus qui faisaient concurrence à l'océan. Ses joues étaient joufflues et ses dents du bonheur lui donnaient un air innocent. Son frère avait hérité des mêmes caractéristiques, à l'exception de ses pupilles d'un noir profond. Il était un peu plus petit que sa sœur, et pourtant, ladite Rose était prête à mettre sa main à couper que les deux enfants étaient jumeaux. Mais que faisaient-ils dans un équipage de pirates ? Etaient-ils retenus captifs eux aussi ? Pourtant, ils lui faisaient le même effet que Luslyne : à l'aise dans cet environnement, presqu'à leur place.

- Et puis, tu connais aussi Eddo.

Rothaïde détourna son regard à l'instant où elle reconnut l'homme. Il s'agissait du pirate brun qui lui avait infligé toutes ses blessures. L'équipage ne semblait pas gêné à l'idée de présenter la victime à son agresseur. Pourquoi en était-elle étonnée ? Ils étaient des hors la loi après tout.

- Tu auras l'occasion de rencontrer le reste de l'équipage plus tard. Assis-toi, tu dois reprendre des forces.

Attala tira la manche de la princesse vers le bas, la forçant à s'asseoir entre le petit Armad et Gausle. La pirate rousse décida, quant à elle, de faire le tour et de s'installer aux côtés d'Eddo. Elle l'embrassa ensuite langoureusement. Comment une si petite femme, plutôt accueillante aux premiers abords, pouvaient-elles être tombée amoureuse d'un monstre comme lui ?

Rothaïde ne fixa pas le couple bien longtemps, l'homme la terrifiant toujours autant. La facilité avec laquelle il l'avait assommée avec le manche de son épée lors de l'attaque lui rappelait en permanence son inhumanité. D'autant plus que les souvenirs de Seinbur en feu n'étaient pas près de la quitter.

Hors la loi et bientôt ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant