Chapitre 14

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Ils étaient allongés dans le noir. Sur le plafond, les étoiles phosphorescentes que Will avait collées scintillaient doucement. C'était la seule source de lumière dans la chambre. Il n'y avait pas un bruit, rien de plus que les battements de leurs cœurs. Mais Nico décida de parler. De briser un silence parmi tant d'autres. Sans se retourner vers Will, sachant qu'il ne supporterait pas l'air de pitié qui serait inscrit sur le visage de l'élu de son cœur, il débuta, presque machinal.

— J'avais huit ans. On était allés passer la journée dans un parc d'attractions. Percy était venu avec nous pour la journée. Je l'adorais, il était mon modèle. Il aimait les montagnes russes et les attractions à sensations. Je pense que je devais l'agacer, à tout le temps le coller, alors il a suggéré l'attraction la plus mouvementée de tout le parc. J'étais terrifié, mais je voulais le suivre. Pour me rassurer, ma mère et Bianca sont venues avec nous. Elles étaient juste derrière.

Son pouls s'emballa alors qu'il se rappelait la lente montée, la peur qui, déjà, nouait ses entrailles. Qu'il était petit, à l'époque. Trop petit.

— L'un des wagons n'était pas bien dans l'axe des rails. Il s'est décroché. Elles sont tombées. 

Il y avait tant de détails dont il ne parvenait pas à parler, et bien d'autres encore qu'il avait certainement oubliés. L'angoisse qui l'avait saisi quand il n'avait pas vu apparaître les cheveux ébouriffés de sa grande sœur, son idole, le regard pétillant de sa mère. L'incompréhension en entendant les premiers cris. La terreur. Le vide qui s'était ouvert en lui — les mots n'étaient pas assez forts pour peindre la violence de ce qu'il avait alors éprouvé. La culpabilité. La colère. C'était sa faute. C'était pour lui qu'elles étaient venues. Non, pas la sienne. Percy. C'était lui.

Will le serra fort contre lui, fort, très fort, de toutes ses forces. Comme s'il voulait absorber Nico en lui, faire fusionner leurs corps et leurs âmes et leurs peines. Comme s'il voulait lui voler sa douleur pour la faire sienne, pour le délester de ce fardeau.

— Tu n'étais qu'un enfant, murmura-t-il comme s'il avait saisi son cheminement de pensées. 

— Je n'étais qu'un égoïste. J'ai suivi mon cousin. Mais c'est à cause de lui qu'elles sont mortes. C'est parce qu'il a choisi cette attraction. Il aurait dû savoir que je voudrais le suivre, et qu'elles ne me quitteraient pas. C'était toujours comme ça. Il aurait dû savoir.

Nico sentit Will se tendre à l'entente du fiel qui dégoulinait de sa voix. Il n'avait pas prévu de laisser filtrer tant de rancune, tant de colère amassée au fil des années, tant de ressentiment et de tourments violents. 

— Lui aussi n'était qu'un enfant, ajouta doucement Will.

Nico sentit ses entrailles se tordre. Ainsi, son propre petit ami ne prenait pas son parti. 

— Tu penses qu'il n'est pas responsable, constata-t-il d'une voix froide.

— Je pense que tu as trop de rage en toi, et qu'elle n'est pas dirigée envers la bonne personne. Ce n'est pas lui que tu détestes tant, Nico. Je t'ai promis de t'épauler, parce que je t'aime, parce que je ne veux pas te quitter. Mais tu ne peux pas te laisser la colère te ronger. Tôt ou tard, elle te détruira. Et je ne veux pas être là pour voir ça.

Ouragan. Carnage et destruction. Nico se força à garder un air calme, les paupières closes, pour ne rien laisser paraître de son déchaînement intérieur. En cet instant, Nico aurait pu haïr Will. Oui, il l'aurait détesté de tout son cœur, de tout son être, s'il n'avait pas tant eu raison, s'il n'avait pas mis le doigt précisément sur ce qui faisait tant de peine à Nico, et qu'il s'efforçait de masquer derrière une colère de petit garçon. Il s'y raccrochait comme à un doudou abîmé, qui sent fort et aux poils collés, parce qu'elle était rassurante, parce qu'elle était là, parce qu'il avait besoin de pointer quelqu'un du doigt, parce qu'il avait besoin de blâmer un responsable, parce qu'il avait besoin que tout ça sorte, parce qu'il la trimbalait partout depuis toujours, parce qu'elle lui permettait de ressentir quelque chose sans s'effondrer dans l'oubli de la tristesse.

Ce n'était pas contre Percy qu'il était en colère. C'était contre lui-même. Cet enfant collant et ennuyant, qui ne laissait pas une seconde de répit à son cousin, à personne, toujours présent, toujours partout, sautillant, riant, braillant, un peu trop fort, un peu trop longtemps, un peu trop souvent, cet enfant encore trop enfant, qui avait peur de tout, de son ombre presque, qui n'osait pas monter dans ce fichu wagon, ce même wagon qui avait causé l'implosion de son monde, la mort de ses femmes, leur irrévocable disparition, c'était sa faute, évidemment, la colère lui permettait d'oublier la culpabilité, masque bien pratique mais

oh

qu'il avait faux.

  

  

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:)

si ça vous rassure y'a mon coeur qui pique

Fight me [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant