TREPAS, ME VOICI(juin 846)Mike Zacharias

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La proue du second ferry disparaît beaucoup trop lentement dans le fleuve, et je réalise alors que nous sommes les derniers à tenir

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La proue du second ferry disparaît beaucoup trop lentement dans le fleuve, et je réalise alors que nous sommes les derniers à tenir.

Quand nos camarades de la rive ouest ont été débordés par les titans, trop occupés à défendre les civils, j'ai compris que notre heure allait venir. Ces monstres n'ont pas tardé à nous lorgner depuis le bord, courant parallèlement à nous, anticipant leur repas facile. Ils étaient devenus trop nombreux pour que nous puissions nous en charger efficacement à bord. Comble du malheur, les passagers se sont mis à leur crier dessus, à les exciter, comme si c'était la seule manière pour eux d'oublier leur terreur.

Ils ont d'abord joué avec le bateau de tête, le faisant tanguer d'un côté à l'autre et arrachant ses mâts. J'ai cru jusqu'au bout que nos soldats allaient les repousser et tenir le coup, mais nous n'avons pu qu'assister impuissants à leur anéantissement progressif... Leurs appels à l'aide me hanteront pour le restant de mes jours... Aucun de nous n'a pu se porter à leur secours, car nos ferries s'étaient bien trop éloignés au fil de la progression ; nous avons repêché une dizaine de civils mais tous les explorateurs sont morts...

Constatant la situation critique, je me suis mis en quête d'un quai où accoster. Il en existe plusieurs, éparpillés tout au long du fleuve, mais nous n'avons pas encore réussi à en trouver un.

Ensuite, ce fut le tour du bateau de queue. Lui aussi fut malmené comme un jouet par les titans, et la vaillance de nos camarades fut grande, mais aussi vaine ; les civils piquaient les géants à l'aide de harpons et de fourches, comme s'ils ne pouvaient se résoudre à gâcher les minutes qui leur restaient à ne rien faire. Les lourds étais de bois transportés pour les travaux ont fait basculer le bateau, et tous ont fini à l'eau. Encore une fois, nous n'avons pu que tenter de les repêcher, en espérant contre tout attente que notre ferry n'attirerait pas les titans. Un des nôtres s'est noyé devant mes yeux, emporté au fond par le poids de son dispositif... Il se débattait contre la mort qui le guettait, il ne voulait pas mourir... N'avoir rien pu faire à part lui envoyer une échelle de corde inutile, c'est ça qui me poursuivra...

Nous voguons depuis plusieurs minutes en réussissant à repousser les titans qui nous assaillent, mais je sais que nous ne tiendrons pas longtemps. Nous avons encore des réserves de gaz en quantité mais il suffit d'une embardée pour que nous finissions tous à l'eau. L'un de nos mâts s'est brisé déjà... Erwin, sais-tu ce qui se passe ici ? Es-tu seulement encore vivant ? J'ai vu un signal de détresse en provenance de la tête de colonne, serait-ce que...

J'essuie la sueur qui me coule dans les yeux, et regarde le dos de ma main, rougi par le sang. Mes hommes sont encore là, mais l'afflux de survivants récupérés sur notre embarcation risque de devenir problématique. Nous devons vite accoster et rassembler ces gens sur la terre ferme. Des chevaux sans cavaliers sont dispersés un peu partout sur la berge, nous n'aurons qu'à nous mettre en selle et tenter de trouver un abri, ou au moins mettre de la distance entre eux et nous.

Mais pour aller où ? Retourner en arrière ? Nanaba se pose près de moi et m'inflige exactement la même question. Ecoute, le plus important c'est de descendre d'ici. Les ferries ont été des véhicule pratiques et sécurisés tant que la ligne de défense sur notre flanc tenait le coup ; maintenant, ce sont des cercueils flottants. Nous devons rejoindre ce qui reste des troupes à pieds, trouver Erwin aussi. J'ai besoin de ses ordres...

Gelgar se met à crier, haut au-dessus de nos têtes, qu'il aperçoit un quai sur notre droite. C'est parfait, tout le monde se met en place pour descendre ! A ce moment, un titan se jette à l'eau, suivi par trois de ses semblables, et se met à courir en pataugeant pour nous intercepter. Pas question ! Occupez-vous des passagers, moi, j'accueille ceux-là !

Je m'accroupis sur le bastingage, la main bien agrippée au rebord, et attends qu'ils soient à la bonne distance. Le moindre faux mouvement et je finis à l'eau. Je ne me suis jamais senti si concentré sur une cible... Je calcule déjà le bon angle pour en tuer le plus grand nombre en un seul passage, car tandis que je serais sur eux, le ferry continuera d'avancer, et donc de s'éloigner. Si je veux avoir une chance de revenir, je dois tout boucler rapidement. Je hurle aux passagers de sortir les rames et de prendre de la vitesse tandis que je les éliminerai. Je prends un énorme risque mais si ça peut leur permettre de fuir plus vite...

Je m'élance sur le plus proche et tranche sa nuque proprement. L'angle pour atteindre le second n'est pas évident et je suis obligé de tourner autour avant de l'abattre. La chaleur dégagée fait s'évaporer l'eau et je n'y vois plus rien à un moment. Je ne dois pas perdre de vitesse ni d'altitude sinon je suis mort ! Je rebondis sur le bras du troisième, cherchant sa nuque dans le brouillard, et parviens à l'atteindre par miracle. Mais je ne vois pas le quatrième... Le ferry commence à trop s'éloigner, je dois revenir !

Je m'éjecte du cadavre flottant avant qu'il ne disparaisse et mets les gaz à fond pour rattraper le bateau. Je tends le bras au maximum pour attraper le rebord et manque de perdre l'équilibre. C'est un vieil homme - que j'ai déjà vu - qui m'aide à remonter, tout en appelant d'autres passagers en renfort. Ils me hissent à bord et je constate alors que le débarquement a commencé... et que nous ne sommes pas seuls !

Des titans attendent les réfugiés à terre et mes hommes sont déjà au travail pour s'en débarrasser. Je dois aller les aider, laissez-moi passer ! Les civils, paniqués, se mettent à courir afin de tenter de leur échapper, ou d'attraper des chevaux restés sur place - la vue de toutes ces selles vides me met en colère ! - et je me sens démuni pour leur faire garder leur calme. C'est peut-être la fin...

Non, on va se battre jusqu'au bout ! On va protéger ces gens, quoiqu'il en coûte ! Rassemblez-vous et cessez de gesticuler, ça les excite !

C'est alors que les nuques des géants se mettent à exploser en masse. Des ombres rapides et puissantes cinglent les airs et les monstres s'abattent à terre les uns après les autres, comme frappés par la mort elle-même. Je reconnais le cheval blanc qui vient vers moi... Tu as survécu, vieux frère ?! Erwin, où es-tu ?

Il fond depuis le ciel et retombe sur sa selle sans aucun heurt. Ses cheveux sont à peine ébouriffés mais son visage est rouge et noir à cause des combats qu'il a dû livrer pour arriver jusqu'ici. Derrière lui galopent ce qui reste des explorateurs, ainsi qu'une fine colonne de civils encore vivants. Merci de l'aide, ça fait du bien de te revoir ; mais je dois bien dire que cette expédition est un échec cuisant. Que fait-on ? On bat en retraite ?

Je fais mon possible pour paraître détaché et confiant, mais je n'en mène pas large en vérité. Deux ferries remplis de gens, coulés au fond du fleuve... Je me sens coupable de ça... Mais je ne dois pas le laisser paraître, sinon les civils vont paniquer encore plus... Alors je prends exemple sur Erwin et garde un visage fermé.

Il me répond que nous retournons à Valburga avec les survivants, et que le reste du régiment, à savoir les escouades de Hanji et Livaï, nous rejoindrons plus tard, quand ils se seront débarrassés des titans dans la forêt. J'espère qu'ils s'en sortiront...

J'attrape une monture au passage et je ne me sens pas mécontent de m'assoir de nouveau sur une selle.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant