DANS LE DOUTE, ABSTIENS-TOI(juillet 846)Erwin Smith

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Je fais craquer mes épaules et m'étonne du bien que cela me procure

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Je fais craquer mes épaules et m'étonne du bien que cela me procure. Cela semble faire des heures que je suis là, à lire et écrire. Personne n'est venu m'interrompre. Mike et Livaï sont épuisés de leur voyage - surtout Mike, après sa mésaventure -, et Hanji ne rôde pas dans les parages, fomentant des plans pour m'amener à financer un autre projet fantasque.

J'ai récolté pas mal de reçus durant mon périple. Après avoir décompté le montant total, je serais en mesure d'envoyer une commande finale à Rein. Je dois me rendre au plus vite à la banque de Trost pour effectuer les virements. Avec un peu de chance, Hanji rentrera avec une moisson intéressante. Ce sera pour demain, je pense.

Je saisis mon verre de vin et le porte à mes lèvres. Les nouvelles de cette semaine ont été pour le moins inattendues. Je vais devoir m'occuper d'envoyer des soldats à la cité industrielle, comme promis. Si cela peut permettre à Rein de tenir ses engagements, ce ne sera pas un petit sacrifice ; et les explorateurs ne peuvent pas rester ici à ne rien faire. Cependant, le périple de Mike donne une autre lumière sur tous ces évènements. Je ne peux plus ignorer qu'on cherche activement à nous nuire. Je n'ai personnellement pas eu de soucis sur la route, mais...

Il y a des espions parmi nous. Je dois les débusquer au plus vite, sinon nous ne serons pas libres de nos mouvements. Je dois étudier les profils des nouveaux. Je m'apprête à sortir la liste de mon tiroir quand j'entends des cris étouffés dans le couloir, ainsi qu'un pas précipité. Mes muscles se tendent, prêts à anticiper la moindre urgence, et aussi le potentiel danger, capables de franchir cette porte.

L'individu entre dans la pièce en catastrophe, sans avoir pris la peine de frapper. Conscient après coup de sa maladresse, Moblit Berner se fige, tout droit, le poing sur le coeur, avec sur le visage l'air de quelqu'un qui retient sa respiration. Que se passe-t-il, Berner ? Je comprends que c'est grave. Il fait partie des soldats les plus attachés au protocole d'ordinaire. Il s'écarte de la porte et livre passage à une jeune femme en civile, dont il me donne le nom dans un souffle angoissé.

Sofie Maja, la fille de Rein. Ici ? Si loin ? Pourquoi ? Elle aussi semble à bout de souffle, et je lui propose de s'assoir dans mon divan avant de s'expliquer. Elle me remercie mais affirme que cela ira, et qu'elle n'a pas le temps de se reposer. Tel père, telle fille. Berner danse d'un pied sur l'autre, comme impatient de me dire quelque chose, mais je pense que c'est à elle de le faire. Elle commence enfin à me raconter toute l'histoire.

Mithras, la place principale, la harangue de Hanji devant les nobles, les reçus offerts par dizaines... Je suis sans aucun problème son propos jusqu'à ce que son visage s'assombrisse. C'est là qu'elle me dit qu'il y a eu un "accident" ; non, une tentative de meurtre. Sur Hanji ? Où est-elle ?! Comment est-ce arrivé ? Le coupable n'a pas pu être retrouvé, mais Hanji a été admise dans un hôpital civil réputé. Son état est préoccupant, les médecins veulent la garder en observation.

Je sens que Berner veut formuler une objection, mais je le fais taire pour le moment. Vous me dites que le tueur court toujours ? Elle hoche la tête. Elle est restée à son chevet aussi longtemps qu'elle le pouvait, en mettant son travail de côté, mais on a fini par lui dire de partir. Je vous remercie pour votre soutien. Vous avez fait tout le trajet depuis Mithras en une seule journée ? Elle a chevauché de nuit pour arriver le plus vite possible. C'est donc cela, ses traits tirés...

Il faut vite faire quelque chose. Dans cette situation, il est hors de question que Hanji reste là-bas, en territoire ennemi. Si son agresseur veut retenter sa chance - et si j'en crois le rapport de Mike, ces gens ont des passe-droits -, il n'attendra pas trop longtemps. Se faufiler dans l'établissement pour terminer son oeuvre sera sans doute facile, et il dispose d'autres méthodes pour arriver à ses fins. Il faut tirer Hanji de là.

C'est alors que Berner claque des talons bruyamment en me faisant face. Il n'a pas besoin de me le dire, mais il le fait quand même. Il se porte volontaire pour se rendre à la capitale et ramener son capitaine à Trost. Cela va de soi, je n'imaginais pas envoyer quelqu'un d'autre. Vous allez prendre toute l'escouade scientifique, qui fera une bonne escorte ; car le danger peut aussi vous guetter. Je vais vous remettre une missive que vous remettrez au médecin en chef afin qu'il ne fasse pas d'histoire. Quant à moi, je réserve une place pour Hanji dans l'hôpital le plus proche du QGR.

J'écris le mot en vitesse, le signe et le remets à Berner. Je sens en lui une colère inhabituelle qu'il se force à contenir. Votre capitaine a besoin que vous gardiez la tête sur les épaules. Vous devez faire au plus vite, chaque heure compte à partir de maintenant. Ne dites à personne d'autre où vous allez. Les choses seront plus sûres une fois que vous serez à ses côtés. Berner se précipite hors du bureau, ma missive dans la main. Quant à vous, mademoiselle Maja, votre dévouement vous vaut bien notre hospitalité. Je vais vous offrir une chambre pour la nuit, et ensuite vous rentrerez quand bon vous semblera. Votre père m'a mis au courant de vos problèmes ; il semble que votre famille soit intimement liée au bataillon d'exploration, à présent, vos ennemis sont les nôtres. N'oubliez pas d'être prudente... Avant de se lever, elle fouille dans une poche de sa veste et en retire une liasse de feuillets qu'elle me tend. Il s'agit des reçus que Hanji a collectés et qu'elle a tenu à me faire parvenir au plus vite. C'est une grande marque de confiance que de vous les avoir donnés ! Le régiment se souviendra de votre intégrité sans faille !

Elle hoche la tête et s'apprête à sortir mais elle entre en collision avec Livaï, qui, attiré par le bruit, vient s'informer de ce qui se passe. Je lui raconte rapidement toute l'affaire, et il parvient encore à râler contre Hanji, pour ne pas avoir réussi à se tenir tranquille et s'être attirée des ennuis. Je te le concède, mais sa survie est notre priorité absolue. Dis-moi, Livaï... tu n'as pas connu de difficultés particulières durant ton voyage ? Tu m'as parlé de ton affaire avec ce noble, nommé... comment déjà ? Deltoff ? Tu as eu des soupçons, non ? Il me reconfirme que même s'il a douté de sa sincérité et a refusé de toucher au thé, il ne peut apporter de preuve qu'on ait essayé de le tuer. Je vois... mais tu as bien fait de suivre ton instinct.

Mademoiselle Maja, nous nous verrons demain. Le caporal va vous montrer votre chambre. Prenez une collation au mess dès que vous le voudrez. Nous ne pouvons rien faire de plus tant que Hanji ne sera pas revenue parmi nous. Essayez de dormir.

Livaï s'éclipse avec la jeune femme, et je reste pensif, appuyé contre mon bureau. La nouvelle m'a plus chamboulé que je ne l'ai laissé paraître... D'abord cette tentative de tuer Mike à Karanes, et maintenant Hanji peut-être mourante... Nos ennemis passent à la vitesse supérieure, et je vais devoir suivre le rythme. Que rien n'ait été tenté sur moi quand je me suis rendu à la cité industrielle me laisse perplexe... C'est une nouvelle stratégie ? S'en prendre à mes subordonnés pour me mettre en mauvaise posture ?

Peut-être bien. Mais mes lieutenants sont parmi les humains les plus coriaces des trois Murs. Ils sont plus durs à tuer que des titans. Nos ennemis vont s'en rendre compte. Je me dirige vers mon coffre-fort personnel et m'apprête à en ouvrir la serrure. C'est alors que je constate la présence d'éraflures suspectes...

Quelqu'un... a essayé de l'ouvrir ? Essayé... ou réussi ?...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant