TIMIDES RETROUVAILLES (février 846) Moblit Berner

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N'allez pas si vite, chef ! Je ne vois pas grand chose dans ma situation !

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N'allez pas si vite, chef ! Je ne vois pas grand chose dans ma situation !

J'essaie de regarder mes pieds pour m'assurer de ne pas buter sur une pierre, et entends Nifa haleter derrière moi, tout aussi chargée. Chef Hanji nous a ordonné d'apporter du matériel en haut du Mur Rose, et elle est actuellement préoccupée par l'emplacement où déposer tout cela. Nifa et moi suons sous le soleil d'hiver pour transporter des appareils de mesure, notamment une longue et lourde perche de bois, les longues-vues à lentilles diverses, les liasses de rapports des études précédentes, portant essentiellement sur les travaux effectués dans le port de Trost... Mais heureusement, nous n'allons pas loin.

Le major Erwin, accompagné du caporal Livaï, est déjà sur place et nous les rejoignons rapidement. Apparemment, tout ceci semblait prévu, car Smith indique une direction précise, près du fleuve, et chef Hanji décide de monter le camp de façon à pouvoir faire des relevés sur ce terrain précis. J'aperçois pas mal de titans dans les parages ; je ne peux pas dire qu'ils m'ont manqué...

Nifa et moi déposons notre chargement, aidés par le caporal, qui reste étrangement silencieux, comme s'il se sentait peu concerné par ce qui se passait. S'il est là, c'est que nous allons peut-être devoir nous risquer hors du Mur...

Je remarque alors que Mike Zacharias est déjà suspendu sur la façade extérieure - j'aperçois le haut de sa tête levée vers le major qui lui donne des ordres - et que le caporal se prépare lui aussi à descendre en rappel. Nous sommes presque à l'aplomb du fleuve traversant Trost et je devine qu'ils vont y descendre pour quelque chose. Mais chef Hanji n'a pas jugé bon de nous donner tous les détails. Elle aime le mystère et prend un malin plaisir à ne jamais nous expliquer ses projets à l'avance, à moins que cela ne soit indispensable.

Des gardes curieux nous observent de loin, se demandant sans doute ce que nous comptons faire. Je me pose aussi la question tandis que nos deux soldats d'élite se mettent en place pour descendre. Je me penche par-dessus le parapet et note que Zacharias se trouve plusieurs mètres sous le caporal. Ensuite, le major leur fait passer la perche graduée en bois solide longue de plusieurs mètres, et je devine alors ce qui va se passer.

La perche bien en main, les deux hommes descendent lentement le long de la façade jusqu'à ce que Zacharias se retrouve deux mètres au-dessus du flot tumultueux. Chef Hanji n'en perd pas une miette et je dois la retenir par son col pour l'empêcher de tomber. Le caporal, bien arc-bouté sur ses jambes, fait ensuite glisser la perche de ses mains et Zacharias la laisse filer également jusqu'à ce qu'elle touche l'eau. L'instrument disparaît alors et continue de s'enfoncer sur plusieurs mètres. Il leur faut procéder avec prudence, lenteur et harmonie afin que la perche ne leur échappe pas des mains.

Je m'éloigne un moment et vais compulser les quelques dossiers archivés que nous avons amenés. Je ne tarde pas à trouver un très ancien relevé datant probablement de peu de temps avant la construction de l'écluse - sur laquelle nous n'avons d'ailleurs aucune information concrète - et note qu'il ne figure dans ce rapport aucune mesure précise sur la profondeur à cet endroit. Je devine alors qu'il s'agit d'une nouvelle stratégie pour une future sortie. Le major Erwin veut-il que nous avancions par le fleuve ? Mais si c'est bien de cela qu'il s'agit...

J'entends un bruit d'éclaboussure et un juron lancé par le caporal. Je reviens me pencher sur le rebord et constate la fébrilité de chef Hanji ; en effet, un titan a remarqué les deux soldats pendus à leurs câbles et essaie de les atteindre en tendant le bras, qu'il a diablement long... Mais il ne semble pas vouloir s'approcher de l'eau. Chef Hanji griffonne ses observations sur son carnet de notes. Elle utilise un petit appareil afin de calculer d'ici le gabarit du titan et en déduit qu'il s'agit d'un huit mètres.

Le major ne semble pas inquiet et laisse ses subordonnés finir le travail. Zacharias vient se poster au plus près de l'endroit où la perche s'enfonce dans l'eau, l'observe quelques secondes et crie quelque chose au caporal. Puis ils commencent à remonter avec la perche, en rythme, afin de ne pas se gêner. Le titan en bas lève le bras en même temps qu'ils s'éloignent, et semble presque triste de voir ses deux proies potentielles lui filer sous le nez.

Le caporal reprend appui sur le parapet et le major l'aide à remonter ; puis ils halent la perche afin de dégager Zacharias de son poids et tout le monde se retrouve de nouveau sur le Mur Rose. Zacharias et Livaï annoncent alors que la profondeur à cet endroit est de treize mètres. Le major se caresse le menton, l'air soucieux, et le caporal annonce qu'il y a peu de chance d'échapper aux titans par cette voie. Je comprends tout maintenant... C'était une idée ingénieuse, et je me suis longtemps demandé pourquoi on ne l'avait jamais tentée...

Je me permets tout de même d'intervenir. Le fleuve est peut-être plus profond ailleurs... Je sais que ce n'est pas plus sécurisant, mais... Et puis, l'eau n'est pas l'élément naturel des titans, ils y sont sans doute plus lents et patauds, donc plus faciles à éliminer. Chef Hanji saute sur mes épaules et me félicite de mon optimisme. Sa bonne humeur m'avait manquée !

Elle interpelle ensuite le caporal pour lui ordonner d'attirer les titans vers le fleuve. Il se renfrogne et lui rétorque qu'elle ne peut pas lui donner d'ordre. Le major intervient alors et annonce que cela sera étudié plus tard ; en attendant, si nous voulons continuer à observer les titans et à noter leurs faits et gestes, nous avons jusqu'au coucher du soleil. La perche de mesure doit être ramenée au centre de gestion des eaux fluviales. Chef Hanji décide de passer la soirée ici avec les titans et je me sens obligé de l'assister. Nifa ?...

La jeune fille est assise sur le parapet, les jambes dans le vide, un carnet à dessin dans les mains, et je vois son crayon filer sur le papier. Je me penche par-dessus son épaule et admire son oeuvre. Elle est douée... mais si je puis me permettre... Excuse-moi, mais je pense que tu devrais ne pas perdre d'énergie à ajouter tous ses petits détails qui ne servent à rien... Si tu veux dessiner un titan de façon efficace et utile, tu dois en premier lieu situer les volumes de son corps.

Je m'assois à côté d'elle et lui prends le crayon des mains. C'est celui-là que tu dessines ? C'est ressemblant mais tu n'as pas saisis son essence... Dessiner un titan ce n'est pas comme dessiner un humain ou un animal ; ils ont tous des corps difformes et des proportions sans cesse différentes. Les techniques académiques ne te seront pas d'un grand secours pour percevoir ces volumes étranges. Détailler les cheveux ou le grain de la peau, c'est bon pour les portraits, mais ici tu dois aller à l'essentiel de façon claire.

Je commence à dessiner moi-même le modèle qu'elle a choisi et je sens mes bonnes vieilles mains se ranimer après cette longue hibernation de presque trois mois. J'ai hâte que tout le monde revienne...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant