DANS LE DOUTE, ABSTIENS-TOI (juillet 846)Reto Seppel

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Je prends le temps d'essuyer ma lame sur un chiffon que je jette ensuite dans un tas d'ordures

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Je prends le temps d'essuyer ma lame sur un chiffon que je jette ensuite dans un tas d'ordures. C'est pas mon meilleur coup ; je suis même pas sûr que ça ait porté correctement. Ma cible a eu comme un mouvement de recul au moment où j'ai sorti le couteau. J'avais bien fait gaffe d'être dos au soleil pour qu'il y ait pas de reflet dessus. Mais ces gars doivent avoir un sixième sens...

Enfin, si j'en juge par le sang, je l'ai au moins blessé sévèrement. Au pire, ça servira de leçon. Je pensais pas tomber dessus aussi facilement. Quand on m'a informé que le capitaine Hanji Zoe serait sur Mithras aujourd'hui, Messire a pas tardé à me mettre sur le coup. J'ai attendu et tourné un bon moment sur la place en étant même pas sûr de trouver ma cible. J'avais qu'un vague signalement - cheveux bruns en bataille, lunettes, une fâcheuse tendance à se faire remarquer - et je me doutais bien qu'il viendrait pas se balader en uniforme, ce type.

Je me faisais prodigieusement chier à attendre en vain quand le nom de ma cible a retentit sur la place, gueulé via un porte-voix. J'en croyais pas mes oreilles. Je me suis rapproché, l'air de rien, et j'ai vu le type sur l'estrade, qui correspondait bien à la description. J'y croyais pas ! Ca, pour se faire remarquer, il y allait pas de main morte ! Y'avait du monde, à l'écouter ! Je l'avais repéré, il s'agissait maintenant de l'atteindre. Y avait trop de monde autour et ma silhouette sombre faisait comme une tache noire en plein milieu de la place inondée de lumière.

Alors j'ai décidé d'attendre mon heure. Je me suis dissimulé près d'une des sorties, en espérant qu'il viendrait par là. J'ai eu un bol pas possible, ça m'a dispensé de le filer dans les rues. Quand il a commencé à marcher vers moi en sautillant - vraiment bizarre, ce mec - et en faisant attention à rien, le soleil s'était un peu caché et je passais davantage inaperçu. J'ai sorti ma lame, pointée vers lui, puis j'ai marché, tête baissée, de façon à pas me faire remarquer. Quand il a atteint l'arcade qui menait sur la rue, j'avais déjà frappé. Ma lame n'a pas dévié sur son manteau ; elle est bien rentrée dans la chair, même si je sais pas trop où. J'avais visé le coeur, mais son mouvement de dernière minute a dû diriger le coup vers son flanc ou ses côtes. J'ai même pas l'impression qu'il s'en soit rendu compte tout de suite, et je me suis pas arrêté pour lui demander. J'ai tracé ma route, en ne ralentissant pas une seconde, pour disparaître au plus vite.

J'ai pas été poursuivi ou interpellé, y 'avait pas de soldats sur la place aujourd'hui. Pas que ça m'aurait gêné, un pot de vin suffit pour se tirer d'un mauvais pas. Et puis, je suis presque intouchable, trop utile à Messire. En y pensant, je vais devoir quand même m'informer de ce qu'il est advenu de ma victime avant de faire mon rapport. Question de principe. J'ai bien attendu que ça se tasse, je peux revenir sur mes pas sans trop de souci. Hmm, par précaution, je vais jeter le couteau aussi.

Je m'en débarrasse dans une poubelle, puis revient en marchant tranquillement. Je suis pas à l'abri que quelqu'un reconnaisse ma dégaine, donc je retire mon manteau, en retourne les coutures et le repasse sur moi dans l'autre sens ; la doublure en est marron sale, ce qui permettra à personne de faire le lien. C'est un tailleur drôlement futé qui me fait mes costumes. Je cache mon chapeau dans une poche intérieure et je ressemble déjà plus à ce que j'étais quelques minutes plus tôt. Je suis prêt à retourner sur la place, pour prendre des infos.

Le soleil a déjà bien baissé depuis tout à l'heure, mais les nuages n'y sont pas pour rien. C'est comme si un énorme marteau gris se trouvait suspendu au-dessus de la capitale... Cela dit, il y a encore des passants. Je vais pas aller poser des questions directement, ça serait louche. Je me dirige à pas lents vers l'endroit où j'ai fait mon coup, espérant y trouver ce que je cherche. Là, voilà. Une grosse tache de sang sur le pavé. Les gens l'évitent avec dégoût mais peuvent pas s'empêcher de la regarder quand même. Alors je fais pareil. Je passe à côté, fronce le nez, fais mon délicat, puis tourne autour, signifiant bien que je me demande ce qui s'est passé. Il manque plus qu'une commère pour me renseigner... Ces nobles en ratent pas une, en général.

Comme de juste, une grosse dame, qui semble attristée et toujours un peu sous le choc, vient vers moi et me dit qu'elle a assisté à la scène. Sa voix tremble encore tandis qu'elle me raconte qu'elle connaissait la victime de vue, qu'elle venait de lui faire un gros chèque pour son régiment, - le bataillon d'exploration, précise-t-elle - et qu'elle s'était montrée très courtoise avec elle. Un charmant jeune homme, plein d'énergie. Elle ne l'a pas quitté des yeux tandis qu'il s'éloignait de la foule, puis elle l'a vu s'écrouler sur le pavé. Vous avez du avoir peur, ma bonne dame. Et ensuite ?

Elle a accouru pour voir ce qui se passait mais une jeune fille étrangement vêtue était déjà au chevet du capitaine du bataillon. Elle a vu qu'il saignait, il s'est allongé sur un banc, et quand elle a constaté la blessure, elle s'est vite détourné pour ne pas défaillir. Il était touché gravement ? Assez pour aller à l'hôpital, elle a entendu la voix faible de la victime le mentionner. Vous êtes sûre qu'ils y sont parvenus ? Par où sont-ils partis ?

Elle m'indique la sortie est, et je situe tout de suite dans quel établissement ils sont allés. Le grand hôpital de Mithras. C'est bon à savoir, ça. Calmez-vous, ma bonne dame, vous allez vous évanouir ! Je suis sûr qu'il s'en sortira, les explorateurs sont des durs à cuire ! Et... est-ce qu'on sait qui a fait ça ? Quelqu'un a vu l'assassin ? Elle reste évasive et affirme qu'elle n'a vu personne en particulier, elle était concentrée sur le capitaine et n'a rien vu d'autre. Cependant...

Un autre témoin, un vieux bonhomme à moustache grise et au visage rond, affirme avoir vu un grand type habillé de noir quitter précipitamment les lieux, et il est sûr qu'il est entré en contact avec la victime. Mais il n'a pas vu son visage, car il portait un large chapeau. Oh ! J'espère qu'on le retrouvera et qu'il paiera son crime ! Même les rues de Mithras ne sont plus sûres de nos jours, mais où va le monde, je vous le demande !

Les deux richards approuvent de la tête, et je les laisse en plan, ravi de ce petit compte-rendu. La cible est blessée gravement, je sais où elle se trouve, et personne ne m'a reconnu. Voilà qui devrait être utile pour une phase deux, vu que la phase un n'a pas été concluante. Soudoyer des infirmiers ne devrait pas être trop difficile ; je me vois mal aller moi-même là-bas pour lui régler son compte. Faut juste espérer qu'il y reste assez longtemps pour que j'ai le temps de lui faire son affaire. S'il pouvait crever de lui-même, ce serait le mieux.

Apparemment, les deux autres cibles - le caporal Livaï et le capitaine Zacharias - ont réussi à se tirer de leurs embûches, si on pouvait au moins en finir avec celui-là... Je sens l'odeur de son sang, oui... je vais rôder autour de l'hôpital et trouver un moyen de l'achever. Je sais pas encore. Je vais passer les prochaines heures à chercher.

Heureusement, ma tête est toujours pleines de bonnes idées quand il s'agit de tuer...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant