Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

L'EAU QUI MENE A LA MER(février 846)Erwin Smith

La herse ne va pas tarder à se lever. Les membres de la garnison de Trost nous observent en silence tandis que le son de la grosse chaîne résonne dans tout le quartier. Les canons, là-haut, devraient se taire bientôt, une fois que les titans près du Mur seront tombés ; il n'est pas dans mes plans de faire pleuvoir la mort sur nos ennemis. Pas de cette façon en tout cas.

L'excitation d'Hanji est palpable. Elle ne se trouve pas dans mon champs de vision, mais derrière, avec le chargement. Cependant, son bavardage incessant me parvient depuis plusieurs minutes. Elle semble confiante, et cela me rend également plus sûr de moi. Ce matériel de pointe va faire ses preuves aujourd'hui, mais je me sens moi aussi comme mis sur la sellette. Ils attendent tous que cette sortie soit utile et fructueuse. Je ne suis pas certain que tous les explorateurs aient compris en quoi ce qui va se passer aujourd'hui pourra réellement changer leurs vies... mais ce n'est pas important. Le principal c'est qu'ils exécutent mes ordres et m'aident à concrétiser le projet. Ils ne s'en trouveront que mieux plus tard.

L'escouade de Mike se trouve à ma gauche, celle de Livaï à ma droite. J'aperçois mes deux lieutenants, devant leurs hommes, en tournant légèrement la tête. La jument noire s'ébroue, impatiente de s'élancer. Mon étalon se met à piétiner aussi, anticipant le moment où la voie sera libre devant nous. C'est la seconde fois que je me trouve devant cette porte, à cette place. Ce sera à moi d'impulser le mouvement en avant, comme Keith le faisait autrefois pour nous. C'est une tension particulière... Le territoire de l'autre côté nous est familier, il était le nôtre, mais quand la herse sera levée, nous serons en terre hostile.

Les dents métalliques se soulèvent enfin de façon visible - le poids du mécanisme est si important que cela prend toujours un certain temps avant que le processus ne commence réellement. C'était toujours à ce moment précis que je me remémorais mes feuilles de route, passant en revue les dangers et imprévus potentiels, échafaudant des plans de fuite efficaces en cas de besoin... En tant que major, ce sont des choses auxquelles je dois songer deux fois plus dorénavant. Je ne peux plus penser uniquement pour mes équipes mais pour chacun des explorateurs derrière moi.

Je déglutis, en confiance, et laisse mon regard porter au loin par-delà la herse. La route est dégagée et je me prépare à m'élancer. Je n'ai pas de conseils ou de discours supplémentaires à donner à mes soldats alors je me contente du minimum. Je donne des talons pour la forme - ma monture est déjà en train de se propulser vers l'avant - et la cohorte se met à bouger en même temps que moi. La seconde expédition est lancée !

Je débouche à l'autre bout du court tunnel et le soleil assaille mes yeux. Le temps est avec nous, comme prévu. Je ne vais pas ordonner la formation de détection à longue distance car nous ne nous rendons pas assez loin. Cependant, des titans ne tardent pas à borner mon horizon. Ils sont éloignés, occupés à traîner dans la ville déserte de Trost-Sud, et font à peine attention à nous. Ils auront tout le temps de nous pister plus tard. Livaï devra s'en occuper.

J'oriente la trajectoire vers le sud-est. Hanji et moi avons fait des observations ensemble et nous avons choisi le bâtiment idéal pour nous poster. Si tout le monde joue son rôle, ce périmètre sera imprenable pendant la journée. Mon cheval allonge son cou avec vigueur, heureux de retrouver des grands espaces, et je sens mes muscles se détendre avec les siens. Même si j'ai pris le temps de retourner à l'entraînement, je me sens encore un peu rouillé... Livaï m'en a fait la remarque sarcastique lors de nos exercices communs et je dois bien avouer qu'il n'a pas tort. Mais déjà, je sens mon corps se déplier et reprendre vigueur au rythme de la course. Le roulement des sabots tambourinant derrière moi m'envoie des vagues d'énergie incroyables.

Nous arrivons au point de séparation. Livaï, qui galopait à côté de moi jusqu'à présent, commence à se déporter afin de trouver la place de son escouade parmi les décombres de la ville. Il me fait un signe de la main et je lui réponds de la tête. Il doit disposer ses troupes en arc de cercle à environ cinq cents mètres de distance de notre QG de la journée, afin de former une véritable nasse à titans. Aucun doute qu'il n'en laissera passer aucun, je lui fais une totale confiance pour ça.

Avec le reste de la colonne, nous nous dirigeons alors vers le fleuve, qui miroite déjà sur notre gauche. J'aperçois les grandes silhouettes de nos cobayes de l'autre côté ; certains sont allongés au soleil, les bras sous la tête, comme en train de dormir. Ils semblent profiter du beau temps... Mais je compte sur Hanji pour les secouer un peu ! Mike me devance et son escouade prend de l'allure afin de rejoindre les bords de l'eau. Hanji et moi ralentissons les explorateurs près du bâtiment choisi, une grande tour de garde idéale pour avoir une vue dégagée sur les environs. D'ici, je pourrais observer comment se comportent les troupes, si quelqu'un se trouve en difficulté et orienter les secours en cas de besoin. Hanji sera plus exposée car au plus près des titans, mais si tout se passe bien, elle ne risquera rien.

Je descends de cheval au moment où un titan égaré se presse dans notre direction. Aussitôt, une nuée d'explorateurs se mettent à voler autour, tels des guêpes prêtes à piquer, et une gerbe de sang ne tarde pas à jaillir de la nuque de l'imprudent. Bien, ils sont en forme ! Je ne suis pas sensé me battre alors je vais devoir m'en remettre à eux dans ce genre de cas, à moins que cela ne devienne désespéré.

Mais ce n'est pas prévu. Tout se passera du mieux possible.