MONDE, JE TE FAIS MES ADIEUX(juin 846)Mallory Vorster

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L'heure est bientôt arrivée

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L'heure est bientôt arrivée. Dans la réserve où sont entreposés les dispositifs de manoeuvre, tout le monde est en train de se harnacher. La gravité du moment nous fait fermer la bouche, aucun mot n'est échangé. Dans quelques heures, nous allons nous aventurer sur le territoire qui était autrefois le nôtre. J'ai hâte d'y être et de faire face aux monstres qui nous ont pris notre vie !

La première fois, nous avons dû les fuir, mais aujourd'hui, ce sont eux qui fuirons. J'ai confiance en mes capacités, et mes résultats sur les titans de bois ont été convaincants, paraît-il. Le cas échéant, nous serons aux côtés de valeureux soldats rompus à ces combats, qui bouffent ces géants au petit déjeuner ! Le major Erwin semble un homme digne de confiance, fort et sévère, tout à fait le leader qu'il nous faut. Il sait ce qu'il fait et où il va. Et qu'importe, j'y serais allé seul s'il avait fallu.

Je refuse de continuer à vivre ici, dans ces conditions, avec ma fierté et ma dignité bafouées tous les jours par ceux qui nous crachent dessus. Ils nous considèrent comme des étrangers alors que nous vivions juste de l'autre côté du Mur ! Je veux retrouver ma maison et mes biens, quitte à reconstruire, ce n'est pas un problème. Frock et Ulrika doivent avoir une belle vie, il y va de mon honneur de chef de famille. Le projet paraît insensé, la distance bien plus considérable qu'autrefois... mais je dois récupérer Maria.

Je serre une courroie sur ma cuisse et cherche ma femme des yeux. Je l'aperçois juste un instant avant de la voir disparaître tout d'un coup. Que se passe-t-il ? Je me fraie un passage parmi mes camarades et repère ma femme et mon fils en tête à tête, Ulrika à genoux devant lui. Frock, tu n'es pas censé venir ici. Nous serions venus te dire adieu avant de partir, tu sais ? Il lève les yeux vers moi et hoche la tête avec énergie mais il admet avoir eu envie de voir les explorateurs de plus près. Je comprends. C'est impressionnant, c'est vrai. Il tourne autour de moi et admire mon uniforme. Je lisse l'écusson aux ailes déployées sur ma veste et je me sens fier de voir mon fils écarquiller de grands yeux.

Et oui, papa et maman sont des explorateurs maintenant. Du moins seulement le temps de rejoindre la maison. Ensuite, on reprendra notre vie d'avant, comme si rien ne s'était passé. Je nous vois déjà dans notre petit jardin, avec la cabane que je t'ai construite dans le grand arbre, tu te souviens ? J'espère que les titans ne l'ont pas détruite... Frock proteste en affirmant que c'est la plus solide au monde et que rien ne pourrait l'abîmer. Tu as raison, ces gros monstres n'ont pas intérêt à y toucher !

Tandis que j'échange ces banalités avec notre fils quelques heures avant la sortie, Ulrika essaie de le prendre dans ses bras une dernière fois. Elle cache difficilement ses larmes. Je t'en prie, ne l'effraie pas ! Il doit croire que nous allons revenir ! Sa foi nous donnera de la force. Nous allons l'emporter, il n'y a pas d'autre issue ! Elle acquiesce de la tête mais ne parvient pas à cesser de sangloter. Alors le visage de Frock change petit à petit ; il comprend quelque chose que nous avons essayé de lui cacher depuis des jours, en minimisant les risques liés à cette expédition exceptionnelle.

Je vois son visage renfrogné, aux sourcils froncés, ses petits poings serrés sur ses hanches, nous regardant avec attention, attendant des réponses. Si sa maman pleure, c'est qu'il y a une raison. Ce n'est pas dans son habitude de pleurer. Alors je me résigne à jouer mon rôle de père. Je prends Frock par les épaules et le force à me regarder.

Ecoute, bonhomme, les choses sont compliquées à expliquer, mais je vais te dire ce qu'il faut que tu saches. C'est dangereux dehors. Tu ne t'en souviens peut-être pas mais les titans mangent les humains. Nous allons les affronter, maman et moi. Nous espérons revenir, mais il y a un petit risque... que nous ne puissions pas. Frock, ne commence pas à pleurnicher et écoute ! Il renifle pour refouler une larme. Nous allons tout faire pour revenir. Si la situation devient désespérée... nous prendrons des chevaux et nous reviendrons au Mur, quoi qu'il en coûte aux autres. Nous ne voulons pas te quitter, nous faisons ça pour toi, pour ton avenir. Alors nous ne t'abandonnerons pas si la reconquête est un échec. Mais si, malgré tout... nous ne revenons pas - Frock lâche un petit gémissement -, alors je te demande de vivre ta vie comme tu l'entends. Ne vis pas avec notre souvenir, va de l'avant. Ne laisse personne marcher sur les pieds du grand homme que tu seras. Tu es quelqu'un d'exceptionnel, tu es mon fils. Ne pleure pas ! Sinon, ta maman va pleurer aussi !

C'est bien trop tard, Ulrika est effondrée. Elle se blottit dans mes bras et je ne peux rien faire d'autre que lui caresser la tête pour la calmer. Nous avons fait ce choix, nous ne pouvons pas reculer. Le soleil ne va pas tarder à se cacher, et le disque argenté de la lune a déjà commencé à monter dans le ciel. La nuit sera claire. Le major est vraiment un grand homme très prévoyant, Frock ! Il a fait en sorte que cette lune éclaire le chemin de ta maman et moi. C'est un bon présage, j'en suis sûr !

Le pas d'un lourd cheval se fait alors entendre sur le pavé. La robe d'un blanc immaculé, la monture du major Erwin se met à parader avec son cavalier dans la cour. Tout le monde le regarde avec admiration, et comme un seul homme, nous frappons notre poitrine du poing pour l'honorer. Frock semble très impressionné par sa prestance, il en oublie même de pleurer. Smith prononce un petit discours inaugurant le départ, tout en signalant que les civils sont déjà aux portes de Trost et n'attendent plus que nous. Je l'avais déjà remarqué, la ville est littéralement remplie de réfugiés depuis quelques jours.

Le major est rapidement suivi de son état-major à cheval et des vétérans du bataillon. J'avoue avoir été surpris par la petite taille du caporal ; il n'est guère plus grand sur sa monture... mais je sais que le sous-estimer est une grosse erreur, je l'ai vu à l'oeuvre ; suivent les soldats de renfort venus des autres régiments, qui ne portent pas la veste des explorateurs. Il ne reste plus que nous pour compléter la formation. Je dois me trouver sur le flanc droit qui sera le plus exposé. Ulrika ne sera pas trop loin de moi, je crois, plus près du coeur de la colonne. Nous devons aller chercher nos chevaux et rejoindre nos supérieurs à la porte de Trost.

Frock, c'est la bonne, cette fois. Sois un homme et ne pleure pas. Attends-nous tant qu'il y a de l'espoir. S'il n'y en a plus... fais ce que bon te semble. Je lui fourrage les cheveux et éloigne sa mère avant qu'elle n'éclate de nouveau en sanglots. Il est fier de ses parents. Je veux qu'il garde de nous cette image de bravoure.

Ulrika et moi suivons nos camarades vers les écuries. Elle continue de hoqueter mais je crois qu'elle reprend ses esprits. Je me retourne juste un instant, une dernière fois, et observe Frock. Il reste les poings serrés, une vivante image de la fermeté, mais il ne peut plus empêcher ses larmes de couler. Une femme inconnue - l'épouse ou la soeur d'un soldat, sans doute - le prend par les épaules pour le réconforter.

Je réalise alors... que je ne lui ai jamais dit. Je ne lui ai jamais dit que je l'aimais, ce petit...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant