Chapitre 38 : Le valet qui pisse

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- Je t'en prie Anna, entre, dit Marie de Monseuil sur un ton excité.

C'était l'heure du thé. La jeune sœur de Georges et son amie Louise Vermeil causaient comme deux pipelettes, assises autour d'une table ronde dans un salon aux allures d'une chambre intime.

Marie, tant attachée à Anna, arrêta naturellement sa conversation en la voyant s'avancer avec un plateau de service. À ses yeux, elle était un trésor qui brillait de courage. La nature lui avait donné la force d'être une femme singulière et authentique, loin des domestiques à la personnalité faussement modeste ou introvertie, fixés davantage à la riche propriété qu'à ses résidents. Impatiente de la présenter à son amie Louise pour lui montrer combien elle l'aimait, elle épia chacun de ses gestes qui servaient les tasses, et déborda de sentiments : « Très bien », « Merveilleux », « Le thé a une couleur émeraude et il sent divinement bon ! », « Quelle perfection ! »

Anna écarquilla les yeux devant ses effluves de joie, et se dit qu'il n'y avait pas que le thé qui fumait, en imaginant facilement des vapeurs de bonheur monter en spirale au-dessus de sa tête. Marie était la personne la plus amicale et la plus accessible des Monseuil. Elle éprouva une sympathique réciprocité, mais elle ne comprit pas son exaltation et se demanda si la jeune aristocrate n'était pas une fois de plus dans une représentation théâtrale burlesque comme elle savait si bien le faire, malgré elle.

Anna abaissa le plateau et s'apprêtait à partir lorsqu'elle la rattrapa de justesse par la main.

- Non, reste, voyons ! Je me suis inquiétée de ton sort et tu me quittes sans rien dire ?

- Quoi ? Échappa Anna, d'un air naturel.

- La punition à Montchâteau ! Georges t'a-t-il fait du mal ?

Anna eut un sourire.

- Ce n'était pas si terrible, j'ai survécu.

À ces mots, Marie explosa de joie et leva les bras au ciel.

- J'en étais sûre ! Dieu soit loué ! Nous avons prié, Anna !

Elle se pencha vers son amie Louise et lui saisit la main, l'humeur allègre.

- Tu remercieras encore bien chaleureusement Thomas de ma part. Anna, c'est grâce à lui que tu es saine et sauve ! Le frère de Louise, Monsieur Thomas Vermeil, a insisté auprès de Georges pour que tu ne sois ni renvoyée ni maltraitée !

Anna eut un sourire attendri. Une douce chaleur se logea dans son cœur en repensant à son merveilleux déjeuner à Montchâteau. « Non, se dit-elle. Ce n'est pas grâce à Thomas, mais grâce à Georges. Et il m'a chéri en m'offrant un bon repas sans me demander des explications sur mon comportement fautif ! Il a peut-être une apparence froide, mais il n'a pas le cœur gelé. Si vous saviez comme je suis heureuse d'être la seule personne à le comprendre et à connaitre la sensibilité qu'il cache, mais si vous saviez comme je le serais encore davantage si vous cherchiez un petit peu plus à l'aimer ! »

- Je remercie votre frère, Mademoiselle, dit Anna en s'inclinant légèrement face à Louise.

Ainsi, soit-il. Il fallait qu'elle respecte la demande de Georges : ne rien dévoiler de ses faveurs. Marie fut surprise par sa manière distinguée de témoigner son respect devant son amie et bafouilla des mots sans suite : « Que... ? Anna... ? Tu es... ? »

- Je suis certaine qu'il sera touché par ta délicatesse, dit Louise avec un gentil sourire. Et je suis très heureuse de te rencontrer, je dois dire que j'avais même hâte ! Je n'ai entendu que du bien à ton sujet. Mon frère, monsieur Thomas Vermeil, t'apprécie beaucoup. Il m'a dit que tu étais une domestique très particulière et que tu avais un don pour transformer les moments que vous avez passés ensemble en précieux souvenir.

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant