Chapitre 57 : Le secret de Montchâteau

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- La voilà ! s'exclama la vieille domestique Édith en voyant entrer Agathe dans la chambre d'Anna. Nous vous attendions ! Dépêchez-vous de nous montrer les robes ! Mademoiselle Rouille n'a pas que ça à faire ! Elle attend depuis tout à l'heure pour être habillée !

Agathe poussa un soupir de soulagement en déposant sur une table plusieurs boites enroulées de ruban de soie qui lui embarrassaient les bras.

- Le maitre m'a envoyé chercher des robes simples et peu sophistiquées en décrétant que vous n'aimeriez pas celles qui sont trop voyantes, se justifia-t-elle devant Anna en sortant d'un coffret cartonné une tenue bleu-turquoise avec un col montant.

Anna sentit dans sa voix une pointe d'agacement. Elle se serait bien passée de leurs compagnies, d'autant plus que depuis qu'elles connaissaient la liaison qu'elle entretenait avec leur maitre, elles se forçaient à répondre à ses besoins avec une fausse gentillesse alors qu'elles portaient sur leurs visages des marques de mépris. Elles n'admettaient pas qu'une domestique soit devenue la favorite de cette demeure et tournaient la situation en dérision dès qu'Anna avait le dos tourné. Dans le fond, elles attendaient le jour de son départ avec impatience.

- Je la trouve très belle, mais la couleur est un peu vive, non ? demanda Anna d'une voix hésitante en suspectant qu'elles n'allaient pas apprécier sa question.

- C'est certain que cela vous change de votre robe de domestique, répondit Édith, les lèvres pincées qui la ridèrent un peu plus. Cependant, il est déjà tard dans la matinée, ne soyez pas difficile et habillez-vous.

Anna plaqua la robe contre elle. Elle n'avait jamais porté une aussi belle tenue devant Georges excepté au bal, car Marie l'avait habillée comme une aristocrate pour qu'elle se fonde dans la haute société. Un sentiment l'attrista, malgré elle. Elle ne pouvait pas se plaindre du premier cadeau de son bien-aimé, mais elle craignait de porter un costume plutôt qu'une robe. Au lieu de paraitre élégante et de faire fondre son cœur, elle ressemblerait peut-être à une ridicule pauvrette déguisée en riche dame comme un jour de carnaval.

- Là, regardez ces jolies manches et les précieux boutons aux poignets, se réjouit grossièrement Agathe en l'incitant à s'habiller sans plus tarder.

- Est-ce que je serais belle ? demanda Anna avec une pointe de vulnérabilité dans la voix.

Elle regretta aussitôt de leur avoir montré son manque d'assurance. Pourquoi cherchait-elle leur soutien ? Dans le fond, peut-être qu'elle espérait recevoir une part de leur complicité qui lui donnerait le sentiment réconfortant d'être pleinement acceptée à Montchâteau. Mais les deux domestiques étaient bien trop éloignés d'elle. Elles n'avaient pas le bon cœur d'Amandine et de Paulette. Lorsqu'elles devaient s'attarder auprès d'Anna pour lui rendre même le plus petit service, cela les insupportait, car elles pensaient qu'elles recevaient des ordres. Qui pouvait se permettre d'avoir la protection de leur maitre ? Qui donc parlait le langage de son cœur ? Une domestique ? Surement pas ! Quel affront ! Depuis le temps qu'elles le servaient, il n'y avait jamais eu de femmes dans cette demeure. Il n'y avait jamais eu d'autres que lui. Et celle qui avait obtenu le grand Monseuil était leur égale ? Elles jalousaient la place qu'elle avait prise, et la liberté qui s'offrait à elle. Anna se rendit compte qu'elle ne devrait plus jamais leur confier ses parts de faiblesses, car elle ne ferait que leur donner le bâton pour se faire battre.

- N'importe quelle femme serait belle dans une robe de haute couture, décréta Édith sur un ton sec.

- Qu'est ce que je fais des autres robes ? chuchota Agathe à sa collègue qui quittait la pièce, la mine austère.

- Rangez les dans une armoire, je doute qu'elles lui servent un jour.

Anna fit semblant de n'avoir rien entendu et se déshabilla sans aucune pudeur face à la plus jeune domestique.

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant