Chapitre 46 : La toile de l'amour

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À travers les champs, Georges fonçait au galop vers la grande Demeure. Enveloppée dans son manteau, la tête contre son torse, Anna lui semblait si froide. D'horribles pensées envahissaient son esprit et le terrifiaient : et s'ils ne parvenaient pas à rejoindre la grande Demeure à temps ?

Il donna vigoureusement un nouveau coup d'étrier à sa monture.

« Ne me quitte pas », répétait-il dans sa tête en serrant plus fort son bras autour d'elle.

Dans un immense effort, Anna passa une main derrière sa nuque. Elle ne supportait pas de voir son visage creusé par l'inquiétude. Tant de mots décapités par le froid ne pouvaient pas sortir de sa bouche. Elle devait simplement les contempler dans son for intérieur : « Merci. J'ai l'impression que l'on est tout le temps ramené l'un à l'autre. Ne t'affole pas, je vais bien. J'irai toujours bien. Je serais toujours avec toi. »

Alerté par son geste inattendu, Georges baissa la tête et plongea son regard dans le sien. Quelque chose de chaud glissa dans le creux de son cœur.

- Merci, chuchota-t-elle.

Mais Georges ne vit que son visage blanc cadavérique et ses lèvres violacées. Un instant, il eut une immense peur. Anna comprit et le consola avec un sourire apaisé. Alors, l'espoir revint, il le traversa de l'intérieur comme une ligne bleue dans un ciel ombragé.

Georges amena son visage au creux de son cou. Il ne voulait plus jamais la quitter. Plus jamais de distance. Il était prêt à l'attendre toute sa vie s'il le fallait.

Lorsqu'ils arrivèrent à la grande Demeure, il sauta rapidement de selle et attira Anna contre lui. Elle noua ses bras autour de son cou et ferma les yeux. Sans réfléchir, il se hâta vers l'arrière-cour. Il n'avait jamais mis un pied dans le compartiment des domestiques, mais il n'avait pas le temps de l'emmener ailleurs. Il sentait à peine le mouvement de sa respiration !

En montant rapidement les escaliers étroits en pierre, une domestique qui descendait dans sa direction le reconnut et le fixa, les yeux écarquillés. Anna était trempée dans sa robe de travail et se cramponnait au cou de Monsieur de Monseuil !

- Où est la chambre d'Anna ? demanda-t-il d'une voix forte.

- Mon... Monsieur... est-ce bien vous ? demanda la jeune femme, au teint devenu rouge-écarlate.

- Dites-moi où est sa chambre !

Qu'elle soit oui ou non sur son passage, il n'avait pas l'intention de ralentir sa cadence. Elle le comprit tout juste à temps, et se colla au mur pour le laisser avancer.

- Au deuxième, étage, Monsieur. La chambre 23, Monsieur.

Puis, elle échappa un cri perçant en se faufilant vers le dortoir. Personne n'avait jamais vu le grand aristocrate dans ces lieux !

- Monsieur de Monseuil est ici ! Il est ici ! cria-t-elle pour alerter les autres.

Des silhouettes au loin réagirent et s'approchèrent de plus près pour s'informer de la nouvelle. Certaines arrêtèrent leurs taches ménagères et d'autres sortirent de leurs chambres. Très rapidement, les escaliers et le couloir furent encombrés.

Georges lutta pour avancer dans la foule bruyante. Tout le monde parlait en même temps, les visages rivés sur la scène qui paraissait surnaturelle, et horrifiés de voir que quelque chose de grave était arrivé à Anna.

Madame Pichon poussa les filles pour se frayer un chemin. Elle venait d'apprendre la nouvelle, mais elle voulait en être sûre. Lorsqu'elle tomba nez à nez avec le maître de la grande famille, ses jambes fléchirent, et elle ne comprit plus ce qu'elle disait :

Le fabuleux destin d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant