Le fabuleux destin d'Anna

Chapitre 63 : Les cendres du passé

Anna avait la sensation de n'avoir plus rien entre les mains, si ce n'est que les morceaux d'un bonheur totalement détruit. Elle ferma les poings sur ses genoux. La rage tordait son ventre de douleur. Le chagrin lacérait son cœur à coup de fouet brulant. Elle avait envie de crier, mais rien ne la libérerait de la souffrance qu'elle ressentait. Elle se sentait vaincue.

Après avoir entrepris un voyage pour sauver son orphelinat de la misère, elle avait mené une lutte contre la méchanceté de madame de Monseuil et maintenant elle savait où la route l'avait menée. La dernière conversation avec la dame ne sortait pas de sa tête. « Cela ne sert à rien d'aller pleurer auprès de Georges. Je lui ai tout raconté ». Anna couvrit son visage dans ses mains. Des cris s'étouffèrent dans sa gorge. Elle comprenait à présent qu'il connaissait déjà la vérité lorsqu'ils s'étaient croisés. Il l'avait vue, mais il avait préféré l'ignorer. « Non » gémissait-elle intérieurement en regrettant toutes les occasions qu'elle avait manquées pour lui parler du contrat. Elle ne voulait pas le regarder partir. Ce n'était pas possible, il ne pouvait pas la quitter en lui laissant cette dernière image ! Ils s'étaient embrassés d'amour. Leur relation était bien trop belle, bien au-delà de tout !

Le soleil était monté haut dans le ciel, il avait balayé leurs parts d'ombres, leurs manques, leurs doutes ; leurs cœurs étaient devenus chauds et paisibles. Comment avait-il pu redescendre dans la terre si vite ? Ils ne pouvaient pas se séparer de cette façon. Anna sentit son cœur se briser. Georges ne voudra plus jamais la revoir. Le dégoût serait insurmontable, car elle avait trahi sa confiance. Et bientôt, elle sera loin. Tandis qu'elle retournerait à son ancienne condition d'employée à l'orphelinat, il continuera à mener sa vie d'aristocrate. Qui s'en inquiéterait ? Il ne l'attendra plus. Elle n'aura plus jamais accès à l'entrée de Montchâteau et ne fera plus jamais partie de son monde.

Anéantie par le chagrin, Anna s'effondra et se mit à pleurer. Les moments passés avec Georges fuyaient, chassés par ce vent de tristesse. Dans quelques années, que restera-t-il ? Un souvenir qui flotte au milieu d'un épais brouillard du passé ?

Anna poussa un gémissement et cacha son visage dans ses deux mains. Les larmes noyaient ses joues et coulaient le long de ses doigts. Elle ne voulait pas le perdre ! Tout, mais pas ça !

Boulversé par la scène qu'il avait sous les yeux, Thomas ne savait pas quoi dire ni quoi faire. Il avait perdu l'envie de lui poser toutes les questions qui lui étaient restées en tête sans réponses. La tristesse d'Anna et sa profonde détresse l'accablait. Que lui était-il arrivé ? Quel malheur l'avait frappée ? Il approcha sa main pour la consoler, mais au dernier moment, il n'osa pas toucher son dos arqué, si frêle et si fragile, convulsé par les sanglots. Il avait annoncé plus tôt à sa famille qu'il avait retrouvé sa sœur, mais il ne s'attendait pas à la voir écroulée sous le chagrin. C'était au-delà de ce qu'il s'était imaginé. La vision était insupportable.

Il songea à la chance qu'il avait eue d'avoir été retrouvé par un inspecteur lorsqu'il était enfant. Il se revoyait dans les bras de sa mère après quelques années de séparation. Il fut aimé et instruit, plus jamais il ne revit ses parents adoptifs qui l'avaient maltraité. Le hasard l'avait sauvé d'une mauvaise destinée, mais Anne ? Elle avait été abandonnée à son triste sort. Elle avait mené une vie d'errance en traversant tant d'épreuves difficiles et même si la vie la leur rendait, que connaissait-il d'elle ? Il se sentait affreusement étranger à ses chagrins, comme si sa longue absence le mettait à l'écart de sa vie. Malgré ce sentiment qui le brisait de l'intérieur, il fixa ses yeux sur elle avec l'admiration qu'elle lui inspirait et se répéta qu'il ne la laisserait jamais seule.

- Anna, chuchota-t-il.

Il s'inquiéta. Dans une pareille situation, lui donnerait-elle la permission de rester auprès d'elle ?