Chapitre 7

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Une heure plus tard, mon ventre gargouille et j'ai ôté ma veste, ce qui n'a déclenché aucune réflexion de la part de Yan, mais peut-être un coup d'œil de Marin. Trop furtif pour que je sois sûre. En même temps j'ai toujours mon pull en laine, celui avec des mailles énormes qui hurlent "passe ton chemin, y'a rien à voir". Mon cerveau est ramolli par toute cette oisiveté, je ne me fie pas à mes propres perceptions. J'ai très bien pu rêver ce regard.

Les deux hommes remontent sur le pont, rangent et chargent des caisses et des sacs. Je les regarde s'affairer en écoutant Yan babiller à intervalle régulier. Il parle d'une soirée et d'amis d'ami qui vivent une situation probablement extraordinaire dont je n'ai absolument rien à cirer. Et Marin n'a pas l'air plus intéressé que moi.

-C'est souvent que tu parles dans le vide comme ça ?

-Je ne parle pas dans le vide ! Vous m'écoutez non ?!

Yan a l'air outré et son regard me fait ricaner. Marin a relevé la tête, un sourire en coin.

-Ton frère je ne sais pas, mais moi depuis tout à l'heure j'entends juste blablabla !

-Oh moi, ça fait des années que ta voix est associée à un bruit blanc. Comme des acouphènes permanents.

Cette fois j'explose de rire. Marin laisse apparaitre des yeux rieurs et un petit rire rauque devant les grands gestes de dépit -absolument proportionnés- de Yan.

Puis on profite de la marée beaucoup plus haute pour repartir sans difficultés. À peine le moteur démarré, Yan, qui n'est pas resté outré longtemps- vient s'appuyer à côté de moi.

-Bon c'est maintenant qu'on chante Léo.

Devant mon absence de réponse, il enchaine.

-Je commence si tu fais ta timide.

« Tu es tombée du ciel
Moi qui voyais le mal partout
Si l'amour est encore sur terre
Rien n'efface les douleurs d'hier
Sans toi je n'aurais
Jamais pleuré autant de joie pour personne
Le Canon qui résonne

Ici sur pilotis
Refuge de mes amours englouties"

-Oula mec, arrête toi ! C'est complètement faux !

-Ah merci ! ça fait des années que je lui dis. Lance Marin depuis la cabine.

-Vous dites n'importe quoi. C'est Pascal qui m'habite !

La lumière se fait dans mon cerveau au moment où le bateau accelère. Je chancèle et me rattrape sur le rebord.

-Pascal Obispo ! Je n'avais même pas reconnu !!

Je me mets à fredonner, les yeux fermés.

-J'ai retrouvé la mélodie. Tu n'avais même pas le bon air. Marin, il n'avait même pas le bon air!

Et contre toute attente. Tuez moi ! Je ne me reconnais pas! Je me mets à chanter.

"...

Je suis tombé pour elle
Je n'ai d'yeux que pour elle
Ma maison, ma tour Eiffel
Quand mes amours prennent l'eau
L'île aux oiseaux

Au-dessus des marées
J'ai de l'amour à perpétuité
Pour Pyla sur mer, Arguin, Ferret
La pointe aux chevaux de mer, l'été
Arcachon, Piquey et Frédéliand

Les glaces sur la jetée
Pourraient bien me manquer

C'est ma tour de Babel
Mon phare, ma citadelle
Mon cinéma, mon repère
Mon oasis et mes amours à la poubelle
Et quitte à perdre pied ... »

Plan BWhere stories live. Discover now