Plan B

Chapitre 14

En fin d'après-midi, je pars à la recherche du Chien. Elle était dans mes jambes au moment du repas, mais je ne l'ai pas vu depuis un bon moment. Et puis c'est l'occasion de me retrouver seul avec moi-même. Passez des heures en compagnie de gens que je ne connais pas est un peu oppressant pour l'associable chronique que je suis. Avec des gens que je connais parfaitement aussi d'ailleurs.

Je passe un très bon moment. J'en suis la première étonnée. Les invités d'Adèle sont sympathiques et accueillants, sans une fois être envahissants. Je découvre qu'un repas de famille peut être simple et doux. Je n'ai pas vraiment de point de comparaison.

Mon père avait bien une sœur, qu'on allait voir de temps en temps mais elle ne s'est jamais mariée et les repas de famille ressemblaient plutôt à de long après-midi pluvieux autour d'un scrabble dans un salon poussiéreux. Cet après-midi ressemble plutôt à une partie de Dobble rempli de rire et de couleurs vives. Les enfants jouent autour des adultes qui alternent les discussions sérieuses et les blagues ridicules, l'évocation de souvenirs communs et les projets ensemble.

Je marche entre les bassins parcourant des yeux les alentours. Je siffle de temps en temps pour attirer l'attention de la fugueuse. Finalement, j'aurai bien aimé que Marin me suive. Plus que bien aimé, même. Depuis le baiser, nous n'avons pas été seul une fois, mais j'ai senti son regard glissé sur moi à chacun de mes mouvements. 

Bon, je n'ai pas beaucoup bougé en vrai, pelotonnée dans une chaise en plastique, bonnet sur la tête et une jambe repliée sous les fesses, j'ai surtout enchainé les parties de Belote avec Jean, le mari de Blandine, Yan et qui voulait bien se joindre à nous. Mais je sais qu'il ne m'a pas lâché des yeux. Parce que je l'ai suivi des miens. Chaque pas. Marin ne joue pas à la belote, il joue aux barbies. Il fabrique une balançoire entre ses bras tendus et berce les bébés grognons. Je ne sais pas ce qu'il a avec les enfants, mais eux l'apprécient c'est indéniable. Probablement que ce genre de vision ferait frémir les ovaires d'une paire de fille, mais les miennes ne sont pas programmées pour frémir. Je le trouve juste, toujours plus viril et sexy. Le mot est dit.

Des jappements me tire de ma rêverie. Le Chien revient vers moi, toute heureuse de sa longue balade. Je l'ébouriffe et ôte de ses poils quelques grandes herbes. Quand je reviens vers la cabane, le soleil s'est caché derrière les nuages d'automne et le vent s'est levé. 

Blandine et son mari sont partis, emportant les enfants d'Adèle et Hugues. Les derniers vestiges du repas ont été déposés sur la table à l'intérieur. Chacun s'est installé autour, pour échapper au vent cinglant. Les bougies ont été allumées et des plaids sont sortis des coffres pour couvrir les épaules ou les genoux. L'ambiance est aux confidences et aux souvenirs.

-Le truc, Marin, c'est que tu ne t'es rendu compte de rien. T'étais pas dispo à ce moment-là.

-Je sais.

-Après je ne te reproche rien. Les reproches c'est un truc que tu t'es imposé tout seul, hein, enchaîne Adèle. Bon attendez, je vais attraper le rhum dans le top case, je reviens.

Ce bout de femme donne des ordres et organise tout son monde autour d'elle avec douceur et fermeté. Je jette un rapide coup d'œil aux rescapés de cette journée d'anniversaire, des trentenaires surtout. Yan, Marin et Hugues, Adèle donc, qui vient de sortir, et un ami à eux. Les plus jeunes, comme les plus âgés ont décampés. 

Je me glisse sur une chaise en plastique en bout de table, Le Chien roulé en boule à mes pieds. Vu la teneur de la conversation, je me fais plus silencieuse que jamais. Ce qui est tout à fait dans mes cordes.

-Je me souviens que je ne comprenais rien à ce qui se passait. Ç'a été l'apothéose de "vos trucs de jumeaux", mime Yan avec ses doigts. Les parents étaient morts depuis à peine un an et plus aucunes portes n'étaient ouvertes. Vous ne parliez plus, il suffisait que vous vous regardiez pour que vous vous compreniez. J'avais à peine 13ans. J'étais seul au monde.