chapitre 1

55 18 6
                                    

5 juillet 2021… Cela faisait à peu près une heure que j’étais allongée sur mon lit. Habillée en noir, couleur du désespoir, pourtant j’espérais encore te voir apparaître devant moi, toute souriante, prête à exploser de rire, en voyant nos visages une fois que nous aurions compris que tout ça n’était qu’une blague de ta part.


Je serrai ta photo contre moi, je ne pus la lâcher. Le regard agrippé au vide, la bouche sèche et les joues humides. Maman frappa quelques coups à ma porte avant de me rappeler qu’ils n’attendaient plus que moi.


Très franchement Ana, je ne me sentais pas prête. Mon corps n’était pas prêt à se rendre dans ce cimetière. Mes yeux n’étaient pas prêts à te voir vêtu de ta plus belle tenue, apprêtée pour le moment de tes adieux. Mon cœur refusait de jouer au jeu du “acceptons et avançons”, et mon âme craignait de vouloir rejoindre son semblable. Comment trouver la force d’y aller ? Un enterrement était censé être le moment où l’on devait laisser partir l’autre. Le moment où on devait accepter qu’une âme devait aller se reposer car un autre voyage, l’attendait. J’avais donc le devoir de te laisser partir mais je n’y arrivais pas. J’avais encore besoin de toi alors il était hors de question de te laisser. Je passais peut-être pour une égoïste, mais c’était comme ça. Je ne pouvais pas affronter la vie sans toi, je ne voulais même pas essayer car je savais déjà que je n’y arriverais pas sans toi. De toute façon, je n’étais pas vraiment courageuse comparé à toi. Moi qui t’avais connu souriante, enjouée et dynamique, comment pouvais-je te regarder dans ce cercueil, allongée, sans vie, vide car tu n’étais plus là ? Tu n’étais plus là ? Mais où étais-tu bon sang ? Ne voyais-tu pas comme je m’inquiétais de ton absence ?


Mes interrogations répétitives n’eurent pour seule réponse, la porte de ma chambre qui s’ouvrit et maman qui me rejoignit sur le lit. Je sentis sa présence par le baisé qu’elle déposa sur mon arcade sourcilière. Ce petit geste eut l’avantage de décrocher mon esprit de l’inter monde quelques instants.

«Ma chérie, ça va aller, je sais que tu es forte et que tu vas y arriver» me dit-elle avec douceur afin de me donner la force de me lever.


Elle prit ma main et m’aida à me lever. Je décidai finalement de me laisser conduire par elle.


Après tout, il fallait bien que j’y aille.


Arrivée à la nécropole, proche de la ville voisine, l’attroupement de personnes, vêtues de noir eux aussi, nous indiqua que l’on était bien arrivé. Je ne pus faire que quelques pas avant de complètement me retrouver paralyser, en voyant Fatma au loin, près d’un cercueil blanc, entouré par des couronnes mortuaires de toutes les couleurs possibles. De là, mon cœur voulut s’enfuir en courant, pas certain de sa présence ici, mais maman me prit la main mais je voulus aussitôt la lâcher.


Je n’étais pas prête, je ne voulais pas être là, était- ce nécessaire ?


Malheureusement, je ne pus continuer d’hésiter plus longtemps car le regard de Fatma se posa vers nous, puis vers moi. Elle prit notre direction en me pointant du doigt. Elle me parut épuisée au départ, à cause des cernes qui entourait ses yeux, mais plus elles s’approchait et plus ses dernières devinrent invisibles, laissant place à un regard plus que sombre et menaçant.


« Que fais-tu ici ? » Hurla-elle en me pointant de son index.


Ma première réaction fut la surprise. Je me sentis perturber par son attitude, pleine de rage envers ma personne.


« Fatma, elle souffre aussi. Laisse la lui faire ses adieux » Dit maman, qui prit la parole afin de plaider en ma faveur mais cela n’eut pour effet que d’empirer les choses.


« Qu’elle aille souffrir ailleurs ! » rappliqua-elle aussitôt, la voix pleine d’agressivité.


« Tout ça est de sa faute à elle ! Qu’elle parte d’ici immédiatement ! » continua cette dernière.


Ses paroles me brisèrent un peu plus, je fixai le cercueil. Je regardai les couronnes de fleurs.


Sur certaines, il y avait marqué des petits messages. J’avais toujours ta photo dans les mains, je la regardais en me demandant ce que signifiait tout ça.


Je levai de nouveau les yeux, afin de trouver une réponse. J’aperçus nos condisciples de classe, nos professeurs et même le principal Moreno dans un coin. Aucun d’eux ne vint vers moi, ils se contentèrent d’observer le spectacle orchestré par Fatma, sans rien dire.


Peut-être étaient-ils d’accord ?


Je sentis ma poitrine se serrer, je n’eus plus qu’une seule envie et ce fut de partir très vite, car ma respiration se fit de plus en plus courte. Je reculai au fur et à mesure que Fatma avançait, puis arrivée assez loin, je tournai mes talons et me mis à courir. Je sentis mes yeux se remplir, mon cœur s’emballer et mes forces m’abandonner.


J’entendais ta voix. Je sentais ton délicieux parfum à la fleur d’Alun, qui flottait dans la pièce. C’était agréable de te sentir de nouveau. Je t’entendais rigoler. J’avais oublié à quel point tu aimais rire de tout et de rien. J’avais l’impression de te voir me gronder afin que j’ouvre les yeux, mais je n’en avais pas envie. Je ne voulais pas me réveiller. Je préférais rester ici avec toi. Je ne voulais pas y retourner car là-bas, ils m’obligeraient à faire comme si tu n’étais plus là. Comme si tu n’existais plus. Comme si tout ça n’était qu’un rêve. Non, moi je préférais rester là où j’étais si bien. Là où j’arrivais à respirer, là où sourire était une seconde nature, là où j’avais l’impression d’être envie. Là où j’étais avec toi…


Je quittai une fois de plus ce monde où tu existait encore, réveillée par le son de la porte de ma chambre, qui venait de résonner, laissant apparaître maman. Elle se posa sur le bord du lit et je sentis une main sur mon front. Mon regard se dirigea immédiatement vers la porte, qui se ferma aussitôt, me laissant de nouveau au point de départ.


Oui car c’était dans cette chambre où tout avait commencé. C’était ici même, que les premières lueurs de cette douleur dans mon cœur, étaient apparues. Ici, dans cette chambre, à l’instant où mes yeux s’étaient ouvert, maman qui pleurait et moi qui souffrait d’une affreuse douleur à l’arrière de la tête. Ici où elle m’avait serrée dans ses bras, ici où j’avais été frappée par la nouvelle de ton décès, ici où l’oxygène m’a semblé pour la première fois lourde et impossible à respirer.


Maman me regarda avec attention, tout en continuant de me caresser les cheveux. Son attention se voulut douce mais elle ne suffit pas à chasser mes pensées. Je regardai à ma gauche, où se trouvait notre photo, celle que je tenais toujours dans mes bras. Elle était posée sur la commode. Je fis signe de la tête à maman, afin qu’elle me la passe, ce qu’elle fit immédiatement. Je la pris donc et la serrai de nouveau contre moi.


Cette photo m’apportait un peu d’air, elle était comme un inhalateur. À vrai dire, plus je la serrais près de mon cœur, plus j’avais l’impression de te sentir. Je savais que c’était absurde mais c’était la seule chose qui m’empêchait de vriller.

Mon ange déchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant