7 (c). Frédérique

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Le lendemain, c'était le grand jour : le travail sur les bivouacs.

Mike, qui nous avait rejoints le matin, avait choisi le bivouac le plus près. On irait y travailler tous ensemble pour qu'il nous coache. Les fois suivantes, on pourrait se scinder en deux groupes.

Dès le début, ça a été houleux. Il fallait préparer le matériel. Tout le matériel. C'est-à-dire tous les outils (tronçonneuse et débroussailleuse comprises), les tentes et tout ce qu'il faut pour dormir, la nourriture, des ustensiles pour cuisiner et nos habits. Plus la canne à pêche de Matt, mais c'est pas ce qui prenait le plus de place finalement, vu qu'elle dépassait du canoé au moins autant que la débroussailleuse, mais en beaucoup plus léger. C'était digne d'une expédition au fin fond de l'Afrique tropicale dans les années vingt, manquait juste les chaises à porteurs et les beaux blacks torse-nu avec une feuille de bananier en guise d'éventail. Il nous fallait deux canoés rien que pour tout ce bazar-là. Et encore, une partie du matériel avait déjà été déposée sur place par hydravion, on l'avait vu passer la veille : les planches, les tasseaux, le revêtement du toit et la cuvette des toilettes, une brouette, deux pelles, les pierres, du ciment, de l'essence et des packs d'eau (enfin, pour l'eau, c'est ce qui était convenu. Heureusement qu'il me restait des pastilles d'hydroclonazone, sinon, on aurait attrapé la dysenterie !).

Bon, c'était la première fois, on n'était pas encore bien organisés ; on s'est juré qu'on ferait mieux les prochaines fois, hum hum. Mike a accepté d'aller négocier avec son chef la future dépose des débroussailleuses et tronçonneuse, ce qui nous libérerait de la place et surtout du poids dans les canoés. On n'a par contre pas réussi à ajouter les pioches et les scies dans le pack ; allez savoir pourquoi ! Quant au fait de se rendre sur les bivouacs en bateau à moteur plutôt qu'en canoé, c'était niet. OK, on n'avait pas le permis bateau, mais Mike, lui, il l'avait, non ?

Oui, mais non. Point à la ligne !

Une autre question ?

Il fallait donc ramer en plus du travail. La musculature du coéquipier de canoé était donc stratégiquement primordiale. Le choix s'était fait deux jours plus tôt, lors d'une discussion houleuse qui avait bien failli se finir en pugila. Mais j'étais satisfaite, j'avais réussi mon coup. Mon coéquipier serait désormais Jo. Bonne pioche, il faisait un excellent moteur. Comme j'avais déjà fait du kayak de mer dans ma jeunesse, je savais comment diriger le canoé.

Ce qui n'était pas le cas de tout le monde.

La palme revenait à Ti'Pierre et Olivia pour leur sens artistique : jolis enchainements de zigzags qui auraient sûrement été beaux vus d'hydravion. Nous évidemment, on se marrait au lieu d'aller leur expliquer les rudiments du pagayage. Ce qui a achevé d'exaspérer Olivia, qui bouillait au moins aussi fort que l'Etna en éruption. De loin, on l'entendait jurer en italien.

Ce qui ravissait Jo.

- Quelle langue merveilleuse, même les injures sont charmantes ! Oh, Livia, déclamait-il avec de grands gestes à risquer de faire chavirer le canoé, insulte moi mia bella, mi amor !

Je faisais la fière, mais après une heure de canoé, j'avais les genoux en compote, les chevilles en feu et un super mal de dos. Sans compter les bras qui commençaient à bruler, même si Jo, il faut l'avouer, faisait le gros du moteur. Parce qu'il y avait une position adéquate pour ramer sur ce genre d'embarcation, position que Mike nous avait à peine montrée. Rien à voir avec le kayak de mer en plastique hyper confortable genre pédalo. Evidemment, le temps que le corps prenne le pli et s'affranchisse des fourmis dans les jambes, on était déjà arrivés à destination. C'est couillon, mais les rames du canoé, contrairement à celles du kayak, n'ont qu'une pale, ce qui fait qu'on ne rame que d'un côté et malheur à celui qui s'est mal positionné : c'est dos tordu assuré qui finit tôt ou tard en séance chez l'ostéo. Sauf qu'il n'y avait pas d'ostéo dans notre forêt particulièrement bien préservée et aucun des Zaôtres n'avait eu la bonne idée de faire des études de kiné. Nous avec Jo, on avait résolu le problème : on changeait de côté à peu près toutes les cinq minutes, ce qui n'était pas idéal pour notre vitesse, mais on s'en fichait : on n'avait malgré ça aucun risque de se faire doubler par Ti'Pierre et Olivia et d'arriver les derniers.

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Kde žijí příběhy. Začni objevovat