33 (a). Frédérique

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Je m'étais réveillée tôt ce matin là (les oiseaux qui bavassaient ou la moiteur de la tente ?), j'avais rejoins les bords de la rivière où je m'étais installée sur un rocher à observer la rive courbée en face et les deux canards qui se baignaient. En guise de fin de nuit, je contemplais le décor de mon histoire qui finirait dans une semaine.

- J'avais d'la misère à dormir moé too. Trop chaud lâ.

Au son de sa voix, mon cœur avait fait un bond. C'était lui, c'était Tom, mon Tom. Je ne l'avais pas vu arriver. Et maintenant, il venait de s'assoir à mes côtés.

Mèche en bataille et sourire discret aux lèvres qui soulignait sa petite cicatrice sous l'œil gauche.

- Pis y'es-tu bon en maudit icitte ?

Magnifiques expressions québécoises. Et cet accent, cet accent chantant qui rallonge les voyelles et bute sur les t. Et sa voix, si fluide, si calme, si douce.

Mes yeux avaient bloqué sur la rive d'en face, je ne pouvais pas le regarder. Mon sang battait sur mes tempes à présent.

C'était la première fois qu'on se trouvait seuls depuis plusieurs jours. Je l'avais fui pour me préserver. Evidemment, ne pas se croiser était totalement impossible, parce qu'on était toujours tous ensemble avec les Zaôtres, alors on se voyait, on partageait même plein de moments communs, on jouait de la musique, on déconnait, mais je restais toujours un peu distante et j'esquivais dès que je voyais qu'on allait être seuls tous les deux.

Et là, sur mon rocher, seule avec lui, c'était juste impossible de fuir. Rester donc, faire comme si tout était normal, comme s'il était juste l'un des Zaôtres. Avoir une discussion normale. Mais je ne savais pas quoi dire. J'étais émue, j'avais la gorge serrée. « C'est un ami », je me répétais dans ma tête, « il faut que tu le considères comme un ami ». Et il m'offrait cette chance de le faire. Par où commencer ? Allez, je me lance :

- Ca va me manquer, tout ça : la forêt, les odeurs, les rivières, notre lac, la brume du soir, ce canard là, cette fraîcheur, cette lumière si particulière aussi. Et puis ..., vous, vous allez me manquer. Comme si on se connaissait depuis toujours, comme si on vivait tous ensemble depuis des années. Tous ces petits riens : le quarantième café d'Olivia à 10 heures tapantes,

- Avec oune démi soucré, rajoute-t-il en riant.

- Tu l'imites bien, dis-je en me marrant aussi. Y'a aussi la siesteu flash de Ti'Pierre, celle qui dure une heure, rajoutais-je avec plus d'assurance maintenant et cette complicité qu'ont les amis.

- Come on !

- Non, j'exagère pas, je l'ai même chronométré l'autre jour ! Et puis, tu me connais, ce n'est absolument pas du tout dans mes habitudes d'exagérer !

- Mets-en, ça s'peut pâs ! Pis y'a les ronflements de Jo, il ajoute.

- Ah non ça va pas me manquer ça ! Mais lui, si ! Et les petits pas de Noz quand elle s'apprête à faire une connerie. Dire qu'elle pense que personne ne la voit !

- En plein çâ ! Un peu comme Boulette final'ment !

On rit de plus belle, en continuant notre liste à la Prévert un brin pervertie.

- Le bidouillage de Matt, Matt'Gyver, j'enchaine hilare.

- And who's the boss ? crie-t-on en chœur, imitant Matt qui vient de réparer un truc.

- Les théories de notre émérite professeur Benj

- You know what ? ajoute-t-il en bombant légèrement le torse et en recoiffant sa jolie mèche blonde ondulée à la manière de Benj.

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Where stories live. Discover now