35. Pierre

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J'ai encore lâché le stylo en repensant à nous. C'était vraiment bien les Beaux Lacs avec toi, Benji, Noz et le reste de l'équipe. Benji et Noz, c'est bizarre, j'ai du mal à les replacer dans la forêt. On a tellement de souvenirs à Vancouver. Pas au début de l'année, vu que j'étais tout le temps parti en semaine d'étude avec l'UV. Mais après, quand on est devenus colocs avec Noz. On était tout le temps fourrés ensemble tous les deux. Benji venait squatter assez souvent le soir pour une petite soirée tranquillou pour se mater un film ou pour se taper une bonne grosse bouffe avec les copains. Les copains rentraient sans frapper, s'installaient sur le canapé et préparaient la bouffe et les bières en nous attendant. Mais la nuit, le canapé était réservé pour Benji, vu qu'il habitait en ville. C'était vraiment l'appart du bonheur. C'est sûrement pour ça que je n'ai pas essayé de te rattraper. Je nageais dans l'insouciance et la tranquillité de la jeunesse dorée. On n'avait pas beaucoup de cours et en plus ils étaient intéressants, pas trop de boulot à produire non plus et des potes partout. Et surtout Noz, toujours souriante, toujours espiègle, au coucher comme au réveil. Bref je me laissais vivre et même si on s'appelait souvent, j'avais l'impression que tu étais de plus en plus loin. Tu me parlais de gens que je ne connaissais pas, tu me racontais des anecdotes dont je ne savais pas si elles étaient futiles ou importantes pour toi. Tu étais toujours dans mon cœur, mais si loin. Alors un jour, j'ai craqué. Je t'en ai déjà parlé, mais tu n'as pas voulu avoir le détail. Alors que c'était trois fois rien. Et ça a été la seule fois, alors qu'en tant que petit français à Vancouver, tu te doutes bien que des sollicitations j'ai eues.

On était tellement ensemble et tellement complices, avec Noz que je ne savais plus si elle était une sœur ou une amante. C'était lors de l'une de ces BZZR party, celle où les gourdes de bière ne coûtent pas cher. On s'est retrouvé à s'embrasser je ne sais plus comment, je n'en avais pas conscience avant que Benji intervienne. Il m'a sorti un truc du genre : Fais pas le con avec Noz, c'est une fille bien. Et tu as pensé à Mary ? J'étais étonné de la situation : embrasser une nana sans s'en rendre compte, la classe ! Et j'étais fier aussi parce que Noz, c'est quand même un joli brin de fille. Et puis j'étais et passablement énervé car franchement éméché. Je lui ai répondu un truc malin du style : c'est quoi ton problème mec ? Noz a vu que ça commençait à dégénérer, elle a voulu intervenir, mais j'insistais du style : qu'est-ce que tu as, tu es jaloux ? Benji a fait le type supérieur, genre laisse tomber mais avec un air bizarre, et il est parti, alors je l'ai suivi. On est allé s'expliquer un peu dans un coin. Enfin, s'expliquer, c'est un bien grand mot : je n'arrivais pas bien à aligner les mots et je tenais difficilement debout. Je devais d'ailleurs sentir la sueur car j'avais les cheveux tout collés. Je n'arrêtais pas de le prendre dans mes bras en lui disant qu'il était mon super pote et que je l'aimais. Moi en mode bourré dans toute ma splendeur de mec hyper lourd, mais confident et franc. Et entre les lignes, j'ai compris qu'il n'était pas jaloux, mais complètement amoureux de Noz depuis un sacré bout de temps. On a discuté d'elle, on a discuté de toi. Il m'a fait réaliser à quel point je t'aimais encore. Quand Noz est revenue, je lui ai glissé dans l'oreille : tu embrasses délicieusement, mais ne le prends pas mal, je serais mieux avec Mary dans mes bras et toi avec Benji. J'étais encore gris, mais j'ai vu leur regard, il était beau. J'avais envie de te serrer contre moi ma petite Mary. Après ça, Benji ne dormait plus sur le canapé !

Bon tout ça n'a rien à voir avec la forêt. Sauf que cet été là, Benji était sûrement déjà en amour avec Noz, comme tu disais. Enfin, il n'a jamais voulu l'avouer. Et pareil pour elle peut-être, mais je n'ai rien vu.

Nous, tu te souviens, on nageait dans le bonheur aux Beaux Lacs. J'ai gardé le petit mot que tu m'avais glissé dans ma poche pour la première fois. Tu l'avais écrit sur le papier de ton cahier qui te servait pour ton étude. Une feuille perforée au format A4 ou presque, pliée en 16, une ligne bleue tous les centimètres et une marge rouge à gauche. Tu avais écrit à l'encre turquoise : « Je te trouve bien cute et toute de même avec ma façon de penser ... C'est rendu que c'est tough cette affaire-là. Ca fait que je passe de très très bons moments en ta compagnie. J'ai pas dormi de toute la nuit passée, j'arrêtais pas de penser à notre discussion. ... C'est tout mêlé dans tête asteure... Te voir me met de très très bonne humeur ... Pis faite attention à toi. Promis ? » J'adore tes points de suspension, ça me rappelle tous ces moments où je voulais tellement t'embrasser.

J'ai trouvé une autre lettre de nous, que j'avais écrite après l'anniversaire de Benji, tu te souviens ? Moi je m'en souviens très bien. Tu étais occupée à poser des questions aux potes et moi, je t'observais d'un peu plus loin. Tu étais belle dans le soleil. J'avais prévu de soigner ma gueule de bois en botanisant, mais la fleur que je voulais décrire, c'était toi. Alors j'ai déchiré une feuille de mon carnet, j'ai écrit puis je suis allé t'embrasser. Tu n'avais pas fini ton entretien, tu étais un peu gênée, mais quand tu as lu cette lettre, tu m'as dit que tu la trouvais magnifique ! Tu n'étais pas très exigeante, la page était déchirée n'importe comment. Et je ne m'étais pas super bien appliqué pour l'écriture. Mais bon, ça devait faire partie de mon style !

« Je suis désolé de ne pas trouver des jolis mots, comme les tiens de tout à l'heure au réveil. Je suis désolé de ne pas arriver à décrire ce que je ressens quand je croise ton regard, quand tu m'embrasses, quand tu viens de m'embrasser et que tu te mords la lèvre supérieure et que tu fronces les yeux, comme si tu avais fait quelque chose de mal, comme si c'était interdit, comme si ce n'était pas possible. Mais si, tu vois, c'est possible. Tu prends l'air d'une pitchoune qui vient de piquer des cerises chez le voisin et qui a les doigts et les lèvres tous rouges. Mais avec toi, les cerises sont des bisous. Un bisou volé. J'aime ça les bisous volés. J'aime tes bisous volés. J'ai envie de t'en voler des millions de bisous. Je suis drogué, j'ai envie de t'embrasser et que ça dure une éternité, tant pis si on a l'air niais devant les autres, ça m'est bien égal, il n'y a que toi qui compte. Toi, ma jolie petite fleur, avec tes longs cils, ton sourire et ton grain de beauté sur le bout de ton nez. Je te vois sourire là, ne souris pas, ça me trouble et j'ai envie de t'embrasser ! Je voudrais t'en voler encore et encore des bisous. Je ne peux pas attendre plus longtemps. »

Je ne sais pas pourquoi cette lettre est là. Peut-être me l'avais-tu rendu après Vancouver ?

J'ai aussi trouvé d'autres mails de nous deux dans mon carton des affaires québécoises, avec le carnet. Je ne te copie pas tout, parce qu'il y a beaucoup d'intendance et d'organisation de nos rencontres. Tu te souviens le week-end qu'on avait passé ensemble à Tadoussac ? On s'était ramassé une pluie du tonnerre sous la tente, mais je m'en fichais puisque tu étais avec moi. Et on avait vu des baleines dans la baie. C'étaient mes premières baleines, et même de loin avec mes jumelles, je les trouvais extraordinaires. Tu n'avais pas trop rigolé pour le retour, parce qu'on avait galéré à trouver une voiture qui veuille bien nous prendre en stop, mais moi, je l'ai adoré ce week-end. Et c'était notre dernier ensemble avant mon départ pour Vancouver. Après, je t'avais écrit cet e-mail.

« Ma petite fleur,
Merci de cette jolie dose de bonheur, qui me fera tenir dans la joie et la bonne humeur (comme dirait l'autre). Je sais que tu es dans mon cœur et je pense être un peu dans le tien. Je ne sais pas quand on se reverra, ni si on se reverra. J'aurai sûrement une crise de manque, mais ça valait le coup. Cette dose de bonheur était juste ce qu'il fallait. Pas d'over dose, juste du plaisir. Je suis prêt pour affronter l'ouest, j'ai la mega patate à faire peur à la pile alcaline comme chantent les petits gars de chez moi.
Tu resteras dans mon cœur comme une jolie tranche de bonheur (avec du foie gras et des oignons confits). Je sais que tu seras heureuse, parce que tu me l'as promis et je crois en tes promesses.
Adieu ma petite fleur. »


Je ne sais pas trop quoi écrire d'autre. J'ai revu Rapha et Fred, pas ensemble tu t'en doutes ! On a fait quelques bonnes fiestas avec Fred. Je lui ai fait découvrir les fêtes de Bayonne avec mes potes du rugby, et elle a si bien accroché qu'elle est revenue plusieurs fois. Elle n'a pas trop changé, toujours aussi sympa.

Pour là-bas, tu sais déjà tout, je te l'ai déjà dit quand tu m'interrogeais. Tu te souviens comment c'était dur de rester sérieux ? J'avais envie de t'embrasser et tu m'énervais avec tes questions !

Si vraiment tu trouves que ce que je viens de t'écrire n'est pas suffisant, n'hésite pas à m'appeler. J'aimerais bien entendre le son de ta belle voix.

Je te souhaite plein de bonheur ma petite fleur et bon courage pour cette étude et toutes les suivantes.

Je t'embrasse très fort,
En espérant te revoir bientôt,
à Tapachula ou ailleurs,
Pierrot.

PS : Ca ne te dirait pas une étude sociologique sur une équipe de rugby dans le Tarn ?

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)जहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें