29. Benjamin

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- Mary ?

- Oui Benji. C'est-tu correct avec ta mère ?

- Oui, ça va. Tu sais, j'ai beau avoir 35 ans, elle croit toujours que je suis son bébé. Si je ne la freinais pas, elle prendrait le premier avion pour venir me voir ce soir !

- Elle habite-tu loin ?

- Non, à Kelowna, à une heure de vol d'ici. Bref, je te parlais de Tom je crois.

- Oui, c'est rendu que tu m'disais qu'y'était resté chez toi pis Noz. Tu allais me parler de la party du millenium.

- Ah oui, pour la nouvelle année 2000, Noz, Tom et moi, nous étions allés chez des amis à Vancouver. On a fait une super grosse fête comme je les aime et on a fini dans mon petit bar fétiche pour trinquer avec le patron. La soirée continuait un petit peu plus intime et les copains s'attablaient autour d'une bière locale pour refaire le monde. C'est le moment que j'ai choisi pour parler à Tom. J'avais un deal à lui faire, ça faisait plusieurs jours qu'on y travaillait avec Noz. C'est même elle qui avait eu l'idée et étonnement elle avait réussi à garder sa langue.

- Ben voyons donc !

- Oh ce n'était pas extraordinaire, juste une idée toute bête : lui proposer un nouveau départ pour ce nouveau millénaire. Je lui ai dit quelque chose comme « Ecoute Tom, Noz et moi, nous avons remarqué que tu ne sors jamais sans ton appareil photo. Alors à partir de lundi, tu travailles chez Hiro, le photographe de la 10ème avenue, à l'arrêt de bus de UBC. Tu feras du développement, du tirage et quelques portraits. Ce n'est pas un job de folie, le salaire n'est pas énorme, mais tu ne peux pas rester passif. Et puis Hiro m'a dit qu'il te formerait à la photo. C'est un pro, et il est très sympa. » Je redoutais sa réponse, parce que je ne lui avais pas laissé le choix. Et puis implicitement je lui reprochais de se laisser aller et de vivre à nos crochets.

- Pis ?

- Il m'a pris dans ses bras pour une accolade très longue. Il a juste dit merci, il avait les larmes aux yeux. C'était rien pourtant, mais ça m'a fait pleurer aussi. Pour détendre l'atmosphère, j'ai ajouté « Comme ça au moins, tu auras l'occasion de développer toutes les photos que tu as faites. Et tu pourras nous les montrer ! » Le lundi soir suivant, il est rentré tard et s'est endormi directement sur le canapé. Pareil les jours suivants. On ne savait pas s'il aimait ou pas. Il rentrait parfois en pleine nuit et il dormait quand je partais le matin à l'université. C'était pareil les week-ends, laissant Noz à ses sorties VTT entre copines. Au bout d'un mois, il nous a amené des photos et une liasse de billets. Les photos étaient magnifiques : c'était toutes celles qu'il avait prises lors de ses promenades à Vancouver et l'argent c'était pour participer au loyer. Noz s'est presque fâchée pour l'argent, elle lui a dit de le garder parce qu'il en aurait besoin et qu'elle préférait qu'il continue à faire un peu la cuisine plutôt que de payer pour un squat sur un canapé.

- Enwoille !

- Tu sais, elle était tellement énervée qu'aucun de nos colocataires n'a objecté !

- Ben voyons donc ! Pis avec Tom ?

- Quelque temps après, elle lui a demandé de faire des photos pour un évènement outdoor qu'elle organisait sur le North Shore. C'était une manifestation sportive sur un circuit forestier décoré par des artistes et elle venait de se fâcher avec le photographe officiel qui du coup l'avait laissée tomber au dernier moment. Tom a couvert l'évènement comme un professionnel. D'après les habitués, même mieux.

- Ah ouain ?

- Oui, il avait révélé avec splendeur les petits détails de cette journée. Certains hommes politiques et institutionnels n'avaient pas apprécié parce qu'il avait refusé de faire la photo de propagande, comme il l'appelait. Au lieu de ça, sur ses clichés, s'étalaient des sourires, des poignées de mains, des accolades, des gouttes de sueur, des regards, des blessures, tout ça sur fond de sculptures et de forêt. Ses photos étaient parfaites alors qu'il commençait tout juste.

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Where stories live. Discover now