30. Frédérique

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La vie dans notre forêt était devenue une routine. Nous partions avec nos canoës sur des emplacements toujours plus loin, armés de notre matériel. Nous maitrisions désormais complètement le maniement de nos embarcations et nous étions beaucoup mieux organisés. Nous abattions le travail presque deux fois plus vite.

Globalement, le programme c'était réveil vers sept heures, paquetage et chargement dans les canoës, répartition avec son binôme dans les canoës (Jo n'était pas gavé par ma faible musculature, alors j'étais restée avec lui), pagayer pagayer jusqu'au site à travailler. De là, pendant que certains déchargeaient les affaires, Ti'Pierre et Matt tronçonnaient les arbres qui avaient été choisis par les rangers quelques mois plus tôt et nous ramassions le bois et les aidions à le débiter en rondins. Quand c'était fini, ils débroussaillaient rapidement un espace pour la cuisine et un autre pour les tentes, pendant qu'on évacuait le reste des branches plus loin sur un tas qu'on faisait parfois brûler pendant qu'une troisième équipe se mettait à faire à manger. L'après-midi, par deux ou trois, on nettoyait le sol, on fignolait les découpes avec une scie à bras, un taille-haie ou un sécateur, on ramassait et on ratissait, on installait un coin à feu sécurisé qu'on fignolait avec deux rangées de pierre qu'on cimentait et on creusait le trou pour les toilettes à l'emplacement spécifié par les rangers. Le lendemain, il y avait atelier bricolage de la table, des bancs et de la cabane des toilettes. C'était opération scies, clous, marteaux et vernis. Le surlendemain, on s'occupait de la berge, de son accès en canoë et de la délimitation des secteurs avec les rondins et des panneaux.

Généralement, le travail était terminé en trois jours, parfois deux ou quatre selon la grandeur et l'éloignement du site. Ca semblait austère de prime abord, mais en fait, on arrivait toujours à se dégager un peu de temps pour la sieste (dans le hamac, la tente ou sous un arbre) et pour la baignade. Car il faisait toujours aussi chaud.

Et Matt trouvait toujours un moment pour pêcher, ce qui n'était pas pour nous déplaire, surtout qu'il s'occupait ensuite de l'éviscération et de la cuisson de ses prises sur le barbecue.

Et quand on avait tout fini, comme un rituel druidique ou une signature en bas d'un tableau, on peignait le nom du bivouac sur une planche, qu'on apposait ensuite à l'entrée du site, en signe de bienvenue. J'écris on, mais cette tâche était dévolue à Raphaëlle, qui, avec son joli coup de crayon, ajoutait toujours une petite touche personnelle, que ce soit un petit écureuil sympathique ou un arbre majestueux. Tout ça bien sûr en seulement quelques minutes de concentration et deux coups de pinceaux. Seul Caliméro pouvait me comprendre : oui, la vie était vraiment trop p'inzuste : elle avait un corps sublime, un visage de toute beauté, une chevelure ravissante et elle dessinait à la perfection. Les fées qui s'étaient penchées sur son berceau n'avaient oublié qu'une chose : la modestie.

Quant aux noms des bivouacs, ils avaient été décidés au préalable par le Parc, mais après âpre discussion avec Bob (c'est Ti'Pierre qui s'y était collé, comme d'habitude), nous avions eu le droit de laisser libre cours à notre imagination. Bien évidemment dans le respect de quelques règles de bienséance.

Le Parc des Beaux Lacs avait donc le plaisir d'accueillir ses visiteurs sur les bivouacs :

· du poisson noir (souvenir d'un barbecue trop intense),

· du bloc Ness (en face de trois rochers évocateurs sortant de l'eau),

· du sonneur nocturne (en référence aux ronflements de Jo),

· du petit bivouac dans la prairie (celui-là, il était dédié à la conjonction de sa localisation dans une petite clairière et de mes tresses qui m'avaient valu le surnom de Laura Ingalls ; comme quoi, il en fallait peu pour nommer un site !)

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Where stories live. Discover now