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   Keisuke soupira de frustration et ouvrit une fois de plus le dictionnaire près de lui. Comment pouvait-il ne pas connaître l'orthographe d'autant de mots ?! Il était si nul que cela ? Pour lui les mots s'écrivaient comme ils s'entendaient, mais apparemment non. Il fallait visiblement rajouter des traits à certains endroits, mettre des idéogrammes inutiles, mettre des barres inutiles puisqu'elles ne changeaient pas la manière de prononcer le mot, des espaces purement graphique... Vraiment, la grammaire et lui ça faisait deux. Il n'était pas doué pour la grammaire, ni pour l'orthographe, ni pour le lexique, ni pour la syntaxe, ni pour rien de ce qui concernait l'écriture et le japonais !
   Malheureusement pour lui, il était bien obligé de savoir écrire. C'était quand même un adulte, et le monde actif n'accepterait pas qu'il fasse des fautes à toutes les phrases. Mais ce n'était pas aussi simple pour lui, pourtant il faisait des efforts ! Il se forçait à écrire des messages à ses amis sans faire d'abréviations, et il essayait de lire des romans de lire des livres pour comprendre comment écrire... mais rien ne voulait rentrer dans sa tête. En plus, il n'était même pas dyslexique, ni même dysorthographique. Il était juste nul.
   Mais il devait bien écrire ce mail au propriétaire de l'appartement qu'il voulait louer, sinon il perdrait sa place. Il ne pouvait pas se permettre de lui écrire n'importe quoi... Ce mail le frustrait de plus en plus, Keisuke commençait sérieusement à en avoir assez. La solution la plus simple serait de demander à son petit ami d'écrire le mail à sa place, mais Kazutora ne sera pas toujours là pour le faire, il devait se débrouiller seul. D'ailleurs en parlant de Kazutora, qu'est-ce qu'il faisait ?
   Keisuke s'était installé dans le salon pour travailler, mais son petit ami n'était pas avec lui, pourtant il était à la maison.
   — Il est où Kazu, demanda-t-il à l'adresse de sa mère, qui était aussi dans le salon et travaillait également.
   — Dans ta chambre je crois, les chats sont avec lui, répondit sa mère sans lever les yeux de son ordinateur. Alors ce mail, ça avance ?
   — Ça avance avec des fautes, répondit Keisuke avec agacement. Le japonais c'est trop compliqué.
   — C'est pas le japonais qui est compliqué, c'est toi qui est trop nul, se moqua sa mère.
   — T'es aussi nul que moi ! Quand je montrais des mots de toi à l'école, mais profs pensaient que c'était un enfant qui les avait écrits !
   — Ils n'ont juste pas saisis la subtilité de mon japonais.
   — Bien sûr. On est aussi nul l'un que l'autre, donc t'es mal placé pour parler.
   — J'ai bien peur que tu aies raison, soupira sa mère. Je ne comprends même pas ce sur quoi je travaille... On fait une pause ?
   — Je pense que c'est le mieux à faire, dit Keisuke en refermant son ordinateur.
   — Pause télé ?
   — Pause zouzou ouais, répliqua Keisuke avant de se lever.
   — Tu m'abandonnes pour lui ?!
   — Zouzou first. Trouve-toi un chéri.
   — Pfff, tu mériterais que je te mette à la porte.
   — T'inquiète pas je vais bientôt partir de toute façon !
   Keisuke se leva et partit alors dans sa chambre pour retrouver son petit ami. Il entra prudemment, en essayant de ne pas faire trop de bruit au cas où Kazutora dormirait, et ferma la porte derrière lui. Kazutora ne dormait pas, il était assis en tailleurs sur le bord de leur lit, avec Peke J et Jiji roulés en boule dans ses bras. Il avait un casque vintage sur les oreilles et était tourné vers la fenêtre, il devait contempler le paysage. Keisuke s'approcha silencieusement de lui, et vit alors que ses yeux étaient perdus dans le vague, et qu'ils brillaient légèrement.
   Le jeune homme monta alors sur le lit pour le rejoindre, et caressa doucement sa joue pour qu'il remarque sa présence.
   — Ça va pas, demanda-t-il alors que Kazutora baissait son casque. 
   Son petit ami haussa les épaules.
   — Je me sens un peu seul, je réfléchissais juste...
   — Je peux te tenir compagnie ?
   Kazutora acquiesça, il posa sa tête sur son épaule et embrassa son cou, avant de reporter son attention sur le paysage derrière la fenêtre. Keisuke passa son bras autour de ses épaules et enfouit sa main dans ses cheveux pour le caresser tendrement. Il savait qu'il n'avait pas besoin de dire quoique ce soit, leur seul présence se suffisait l'un à l'autre. Être avec Kazutora le détendait et apaisait son cœur, et c'était réciproque, ils n'avaient pas besoin de parler.
   Kazutora réfléchissait beaucoup plus que Keisuke, le jeune homme le savait. Son cerveau tournait bien plus vite que le sien, même trop vite. Il courait sans s'arrêter, ses pensées déferlaient sans lui laisser de répit. Kazutora pensait sans limite, il se posait encore et encore des questions sur tout et rien, il revivait ses souvenirs, il imaginait le futur, tout ce qui pouvait arriver. Son esprit le laissait rarement souffler, et parfois, lorsqu'il pensait trop, ses pensées devenaient une torture et il pleurait. Mais quand Keisuke était avec lui, le flot incessant de songes qui traversaient son esprit se calmait un peu, la cascade de ses pensées devenait une paisible rivière, un long fleuve tranquille. Keisuke savait qu'il arrivait à apaiser sa conscience, et il était soulagé de pouvoir l'aider.
   Il n'avait pas besoin de lui demander ce qui n'allait pas, et il ne lui demandait jamais s'il voulait parler. Soit il forçait Kazutora à parler lorsqu'il allait trop mal, soit il le laissait se confier de lui-même. Parce qu'il savait que Kazutora se sentait suffisamment en confiance avec lui pour s'ouvrir à lui, et partager ses problèmes. Et Kazutora savait que Keisuke l'écoutait toujours, qu'il n'avait pas besoin d'attendre qu'il lui demande ce qui n'allait pas pour parler.
   C'était peut-être l'une des choses que Keisuke aimait le plus dans leur relation. Le fait qu'ils n'avaient pas besoin de se dire des « tu veux parler ? », ou alors « je suis là pour toi ». Parce qu'ils le savaient déjà tous les deux, ils savaient qu'ils se soutiendraient quoiqu'il arrive, et ils savaient qu'ils pouvaient se confier.
   Les deux jeunes hommes restèrent donc assis en silence, avec pour seul fond sonore le doux ronronnement de Peke J et Jiji. Ils contemplèrent ensemble le décor pluvieux de Tokyo, se câlinant silencieusement, et Keisuke put sentir les pensées de Kazutora redevenir légères. Il n'avait pas besoin de le regarder pour savoir que les larmes dans ses yeux avaient disparues. Il le savait, son cœur battait plus doucement à présent.

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On arrive à la moitié du recueil, j'espère que ça vous plaît pour l'instant !

I've got my eyes on youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant