🧋

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— Ta journée ne s'est pas bien passée, demanda Keisuke avec inquiétude.
— Si ça va...
— Tu as croisé ton père ?
— Non...
— Tu te sens mal ?
— Non j'ai rien...
— Il s'est passé quelque chose alors ?
— Keisuke, ça va vraiment, dit Kazutora en fuyant son regard.
Le jeune homme voyait bien que son petit ami n'allait pas bien pourtant. Kazutora devait passer la journée avec sa mère, et voilà qu'il débarquait au café où Keisuke travaillait, et qu'il avait un visage totalement décomposé. Keisuke était toujours heureux de le voir arriver à l'improviste au café, mais là il s'inquiétait.
Kazutora ne voyait pas souvent sa mère, mais parfois il passait quelques journées avec elle, et en général tout se passait bien. Ils se voyaient toujours dehors, Kazutora s'était fait renier par son père alors il n'avait plus le droit d'aller chez lui, et sa mère n'avait pas le droit de donner son avis dans cette situation. Alors ils se voyaient secrètement dans des cafés, des parcs ou sur des marchés, et ils se promenaient ensemble.
Voir sa mère faisait du bien à Kazutora, et il racontait toujours avec joie la journée qu'il avait passé à Keisuke. Mais aujourd'hui... il était venu le voir plutôt, et il n'avait pas l'air d'aller bien... Que c'était-il passé ?
Il était arrivé pendant que Keisuke faisait le service dans le salon, alors il s'était installé en silence au comptoir et avait attendu en se faisant aussi discret que possible, comme si au final, il regrettait d'être venu. Mais Keisuke l'avait évidemment tout de suite vu, il avait un détecteur à Kazutora qui marchait à la perfection. Et il avait immédiatement vu que le visage de son amoureux était plus triste que d'habitude, alors il avait immédiatement abandonné ses clients pour se précipiter vers lui.
— Kazu tu sais que tu peux tout me dire, dit doucement le jeune homme en prenant la main de son petit ami.
— Keisuke ça va, je voulais juste te voir...
— Pourquoi t'as cette petite tête toute triste alors ?
— C'est ma tête habituelle, dit Kazutora en continuant d'éviter son regard.
Keisuke soupira avec mécontentement et prit son visage entre ses mains pour le forcer à le regarder. Il lui jeta un regard perçant, en le fixant sans ciller, et essaya de lire dans les yeux de son petit ami. Ses yeux grands ouverts brillaient plus que d'habitude, ils avaient l'air tout déchirés...
— Qu'est-ce qui ne va pas mon cœur, murmura tristement le jeune homme.
Kazutora baissa les yeux avec honte.
— Tu penses que je ne fais aucun effort pour aller mieux, demanda-t-il d'une voix à peine audible.
— Quoi ?
Kazutora n'ajouta rien, et Keisuke le dévisagea sans comprendre.
C'était sa mère qui lui avait dit cela ? Elle lui avait reproché d'aller mal ? Elle avait critiqué son état mental ? Si c'était le cas, Keisuke allait rapidement partir lui dire deux mots.
C'était de sa faute et de celle de ce qui lui servait de mari si Kazutora allait aussi mal aujourd'hui. Son père l'avait blessé sous les yeux de sa mère, il l'avait brisé nuit et jour, il avait pris toute sa volonté et l'avait réduite en miette, il avait piétiné son cœur et l'avait déchiré. Il avait cassé son corps et détruit son âme chaque jour. Il l'avait fait chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année encore, encore et encore.
Et aujourd'hui, alors que Keisuke l'avait libéré de tout cela, il continuait d'exercer une emprise sur lui, et même s'il n'était plus là, il l'avait tellement anéanti que Kazutora ne réussissait pas à se relever correctement. Il essayait, il s'accrochait, il vacillait, tanguait, s'écroulait. Il se relevait, s'accrochait, titubait, tombait, se relevait, s'effondrait, se relevait, boitait, avançait, et retombait. Il essayait encore et encore, et Keisuke l'accompagnait, il faisait tout pour le faire tenir debout et avancer. Il le tenait à bout de bras, il le poussait, le hissait, l'élevait. Il l'enveloppait de sa lumière, dans un doux cocon d'amour, et reparaît petit à petit les morceaux brisés.
Il le recousait au fil de leur amour, il lui offrait les battements de son cœur pour faire battre le sien, changeait ses larmes en perles nacrées, cachait ses bleus sous ses marques d'amour, réchauffait son corps déchiré dans de tendres étreintes, et soignait ses idées noires avec sa joie. Il le sauvait chaque jour, et il le voyait se battre juste pour lui.
Alors il refusait que quiconque lui fasse croire qu'il ne faisait rien pour changer la situation, et qu'il était responsable de tout cela.
— Kazutora, dit Keisuke avec douceur. Tu es l'homme le plus fort que je n'ai jamais connu, et je suis incroyablement fier de toi, et de chaque pas que tu fais pour aller mieux. Et tu as le droit d'être fier de toi aussi, parce que tu possèdes la plus belle forme de courage qui puisse exister. Tu te bats tous les jours contre toi, parce que ton toi est ton pire ennemi, et même si tu craques parfois, tu continues toujours de te battre. Alors sois fier de toi pour tout ce que tu fais, parce que moi je suis déjà très, très fier de toi.
Kazutora ne répondit rien. Il ne put que lancer un regard plein de larmes au jeune homme, en serrant les lèvres pour ne pas fondre en sanglots. Keisuke caressa tendrement ses joues et sourit.
— Je t'aime, murmura-t-il près de ses lèvres, juste avant de l'embrasser.
Kazutora lui répondit par un reniflement.
Keisuke le lâcha et contourna le comptoir du café. Il attrapa un gobelet en plastique et le posa sur le plan de travail. Il réfléchit un court instant au nom qu'il allait mettre, puis il écrivit rapidement quelque chose au marqueur sur le plastique. Il saisit un petite bouteille de caramel chaud et en fit couler sur les parois du gobelet, puis il versa du café et du lait dedans. Il mit ensuite une généreuse dose de chantilly dessus, avant de maladroitement dessiner dessus un cœur avec du caramel. Satisfait, il planta une paille dans sa boisson, et se tourna vers son amoureux pour la lui donner.
— Tiens, ça réchauffera ton petit cœur, dit-il en souriant.
Kazutora rougit en lisant ce qu'il avait écrit, ce qui fit davantage sourire Keisuke. Il était adorable lorsqu'il rougissait. Kazutora se leva et passa à son tour derrière le comptoir du café, et vint se jeter dans les bras du jeune homme.
— Merci d'être là, murmura-t-il à son oreille.
— Merci d'être là aussi, répondit Keisuke en le serrant avec force contre lui.
— Je t'aime.
— Je t'aime encore plus. Mille fois plus.
— Ça m'étonnerait que ça soit possible.
— Mon cœur dit que c'est possible. Je finis mon service dans une demi-heure, tu veux rester ici ?
Kazutora acquiesça.
— Reste là alors, tu peux t'asseoir sur le plan de travail. Et ensuite je te ramène à la maison et tu me racontes tout.
— D'accord.
Keisuke reprit la boisson laissée sur le comptoir, et la donna à son petit ami, avant de planter un baiser sur sa joue et de partir s'occuper de ses clients.
Kazutora baissa de nouveau les yeux sur son gobelet, et relut ce qui était marqué dessus, un petit sourire au visage.
« Pour ma bombe atomique préférée, qui est aussi bonne et belle qu'une cuillère de miel. »

I've got my eyes on youWhere stories live. Discover now